Resume Introduction Les luxations du coude sont les plus frequentes apres les luxations d’epaule. Dans une grande majorite des cas, ce traumatisme est uniquement articulaire et d’un bon pronostic, la proximite anatomique des structures neurovasculaires pourrait etre responsable de lesions associees qui en fait se revelent tres rares. La prise en charge de ces traumatismes est discutee. Le but de cette etude etait d’analyser retrospectivement les resultats de neuf cas de luxations du coude compliquees de lesion de l’artere brachiale et de proposer, a la lumiere d’une analyse critique de cette serie continue, une attitude pratique coherente. Materiel et methode De 1999 a 2004, 357 luxations du coude ont ete traitees par l’equipe de traumatologie de l’hopital Purpan et 340 par celle de l’hopital de Rangueil ; ces deux services universitaires toulousains ont mis en commun leur serie et parmi elles, les sept luxations qui s’accompagnaient d’une rupture arterielle humerale responsable d’une ischemie. Au centre hospitalier regional du Mans entre 2001 et 2006, 138 luxations du coude ont ete traitees dont sont issues les deux cas avec rupture de l’artere brachiale. Dans ces differents sites d’accueil d’urgences, les luxations du coude ont ete prises en charge en ambulatoire dans la grande majorite des cas sur la base d’une reduction orthopedique sous breve anesthesie generale, avec evaluation de la stabilite puis immobilisation par attelle plâtree. En cas d’ischemie, la reparation arterielle etait assuree en collaboration avec une equipe de chirurgiens vasculaires. Cette attitude therapeutique similaire et la revision des patients selon des criteres identiques justifient la mise en commun de ces neuf observations. Il s’agissait exclusivement d’hommes d’âge moyen 37,3 ans (de 18 a 58 ans), victimes d’un accident sportif deux fois, d’une chute trois fois et de quatre accidents de la voie publique. Deux d’entre eux presentaient d’autres atteintes traumatiques. Les luxations etaient ouvertes six fois. De direction posterieure sept fois et posterolaterale deux fois, interessant les deux os antibrachiaux de maniere symetrique. Dans trois cas, l’ischemie etait complete avec l’abolition des pouls radial et ulnaire et main devascularisee. Dans les six autres cas, le tableau clinique etait subaigu : le pouls radial etait aboli, y compris apres reduction, mais la main restait vascularisee. Une arteriographie a ete realisee dans cinq cas apres reduction du deplacement confirmant l’interruption de l’axe humeral en moyenne 5 a 6 cm au-dessus de l’interligne du coude et retrouvant une intense collateralite responsable d’une opacification des arteres antibrachiales au tiers proximal. Une atteinte nerveuse du nerf median et/ou ulnaire etait suspectee cliniquement chez six patients en ischemie partielle principalement sur l’hypoesthesie pulpaire des doigts correspondants. Apres reduction, le coude restait stable cinq fois. L’immobilisation a ete confiee a une attelle plâtree. Dans les trois autres cas, la recidive spontanee de la luxation ou la presence d’une laxite frontale a impose la pose premiere d’un fixateur externe ou d’un embrochage en croix. Un pontage brachio-antibrachial a ete realise dans huit cas par interposition d’un greffon veineux inverse aux depens de la veine grande saphene six fois ou de la basilique homolaterale deux fois ; une suture termino-terminale a ete realisee dans un seul cas. La revascularisation a ete assuree entre quatre et 19 heures apres le traumatisme, soit en moyenne 10,5 heures. La veine humerale n’a pas ete reparee. Aucun geste de reparation ligamentaire n’a ete effectue. Des aponevrotomies antibrachiales ont ete realisees deux fois. L’immobilisation a ete de deux mois. Les gestes complementaires chirurgicaux ont ete effectues chez quatre patients : greffe cutanee de la zone d’ouverture traumatique du coude et de l’aponevrotomies pour trois, greffe du nerf median. Resultats Tous les patients ont ete revus avec un recul minimum de deux ans et moyen de 4,3 ans. Selon le score de la Mayo Clinic, les resultats etaient consideres comme excellent dans trois cas, bons dans quatre cas et mauvais dans deux cas. Aucun patient ne se plaignait d’une instabilite du coude. La flexion active moyenne etait de 125° (extremes 110° a 130°) ; tous les patients sauf un avaient une flexion active superieure a 110°. Les amplitudes de prono-supination etaient conservees chez tous les patients. Lorsque la luxation etait fermee, l’extension et la flexion active moyenne etaient respectivement –12,5 et 126° et le score totalisait 90 points ; lorsque la luxation etait ouverte, ces valeurs moyennes etaient de –41 et 125° et le score de 74 points. Le pouls radial etait percu de maniere symetrique au cote non traumatise chez huit patients. Chez un patient, le pouls radial n’etait pas percu ; l’echo-doppler montrait une thrombose du pontage. Il s’agissait du plus mauvais resultat, caracterise par une importante raideur avec un arc de mobilite de 40°. La reparation vasculaire avait ete effectuee avec un pontage veineux inverse a partir de la veine basilique homolaterale. Les radiographies montraient un coude centre dans tous les cas et des ossifications heterotopiques dans trois cas. Aucune lesion degenerative n’etait observee au plus long recul. Discussion La frequence de l’atteinte vasculaire associee a une luxation reste difficile a etablir car la litterature ne rapporte que des series courtes de cas cliniques sporadiques. La prevalence de cette association se situe entre 0,3 et 1,7 % dans les sites hospitaliers d’ou est issu ce collectif. Le risque de lesion vasculaire est probablement lie a l’importance du deplacement et secondaire a l’intensite du traumatisme ; un tel contexte represente un argument d’alerte diagnostique en faveur d’une atteinte vasculaire associee. Une ischemie partielle a ete retrouvee dans cette serie six fois sur neuf, comme souvent souligne dans la litterature. La rupture de l’axe arteriel brachial pose des problemes diagnostiques variables : parfois incontestables cliniquement avec abolition du pouls radial et pâleur de la main, ou moins evidents meme apres reduction de la luxation. L’evaluation de la vascularisation arterielle est systematique et obligatoire devant tout traumatisme osteo-articulaire. L’arteriographie apres reduction de la luxation s’impose en urgence, au moindre doute clinique eventuellement remplace par echo-doppler moins invasif ou un angioscannner. Les atteintes concomitantes du nerf median et/ou ulnaire sont frequentes vue leur proximite de l’axe vasculaire. En cas d’ischemie de plusieurs heures, le diagnostic est difficile car le syndrome paralytique fait partie du tableau de l’interruption vasculaire complete. La reparation vasculaire ne se concoit que sur un coude reduit et le restant dans sa position de fonction. Le geste de reparation vasculaire est lie aux constatations lesionnelles arterielles : suture directe en cas de section nette et integrite totale des parois sus- et sous-jacentes ou le plus souvent pontage inverse au moyen de la veine grande saphene. De nombreux auteurs ont insiste sur l’existence de lesions intimales s’etendant a distance de la rupture. Une recoupe en zone saine est ainsi necessaire afin d’eviter le risque de thrombose secondaire. Le geste vasculaire se faisant en flexion, il faut « prevoir » la future tension sur le tronc arteriel repare lors de l’extension du coude. Il est logique de prelever un greffon a distance du site lesionnel car le reseau veineux brachial est le siege de lesions traumatiques en regle non reparees d’ou la necessite de preserver le reseau brachio-antibrachial superficiel. La veine grande saphene est a ce titre une solution ideale : la longueur n’est pas limitee, le calibre est choisi en fonction de celui de l’axe brachial arteriel et son prelevement fait de maniere concomitante aux gestes du traumatologue. Les aponevrotomies de decharge sont necessaires en presence d’un syndrome de loge, de traumatismes tissulaires et veineux severes, et pour certains apres une ischemie superieure a quatre heures. La prise en charge du traumatisme articulaire en dehors de l’urgence de la reduction de la luxation reste discutee dans la litterature, en particulier le mode d’immobilisation et la necessite d’une reparation ligamentaire. La stabilite du coude apres reduction a ete l’element determinant de la prise en charge orthopedique et n’a pas ete differente de celles des luxations simples en dehors de la duree d’immobilisation articulaire. Ce denier point est une probable explication a la frequence et l’importance de ces flexums sequellaires constates dans cette serie, critere qui pejore nettement la plupart des resultats.