Résumé Objectifs La méthode phénoménologique se présente moins comme une technique thérapeutique que comme une attitude théorico-clinique dont les auteurs s’efforcent de dégager les aspects essentiels, cherchant à montrer comment l’esprit phénoménologique se traduit au niveau de la sensibilité clinique et de la façon d’être présent en consultation. Méthode L’approche phénoménologique porte une attention prioritaire à la façon d’être au monde du patient, à la relation qui le lie à soi, aux autres, à l’historicité de sa vie, autrement dit aux fondements même de son expérience vécue. Ces dimensions, rarement verbalisées de façon explicite, sont essentielles lorsqu’il s’agit de comprendre des phénomènes comme la difficulté fondamentale de contact avec autrui, l’expression somatique d’une souffrance psychique ou les symptômes plus « aberrants » d’une maladie. L’accès à ces dimensions s’ouvre dans la rencontre intersubjective, élément constitutif et fondamental de l’approche phénoménologique. Les auteurs cherchent donc à mettre en évidence comment, dans cet horizon intersubjectif, le travail psychopathologique et thérapeutique se pratique. Résultats Différents moments sont détaillés et illustrés par des vignettes cliniques : la mise en question de la possibilité même de la rencontre dans la maladie et le soin nécessaire à sa ré-émergence ; le travail de compréhension partagée du monde de l’autre et de la logique singulière qui sous-tend sa constitution ; l’attention au corps comme foyer co-constituant de la présence ; l’élaboration d’un diagnostic où la maladie se définit en référence aux dimensions de notre condition humaine commune, et non seulement en rupture avec cette dernière. Si, dans une perspective phénoménologique, l’intersubjectivité est l’espace de jeu où non seulement la prise en charge thérapeutique mais déjà le diagnostic s’élaborent et cherchent leur voie d’accomplissement, force est de reconnaître la radicalité de l’engagement en première personne du clinicien. Engagement dans l’avènement même, parfois précaire, d’une rencontre avec le malade ; engagement dans le fait de sentir et de penser ce qui se donne dans cette rencontre. Discussion Les auteurs dégagent les lignes de tension émergeant de la confrontation entre l’« idéal » phénoménologique et la réalité clinique, et insistent sur l’aspect transversal de la phénoménologie qui, sans être une technique en soi, veille à ce parti pris anthropologique auquel Minkowski nous invite : exercer une psychopathologie « à deux voix », ancrée dans la « rencontre humaine ». Le clinicien d’inspiration phénoménologique cherche à éclairer l’expérience du patient quant à sa forme de présence au monde, avec ses soubassements spécifiques au niveau du corps vivant-vécu. Il dégage la logique d’existence qui sous-tend les symptômes de la maladie. Il cherche avec l’autre à réinscrire ses modes d’être dans une trame partageable de sens, en veillant à ne pas renforcer l’aliénation par une description qui quitterait le terrain de l’intersubjectivité. Conclusion Toute souffrance psychique constitue en soi une forme particulière d’isolement ou de trouble intersubjectif. Tout « traitement » en psychiatrie a dès lors à se soucier de l’espace de rencontre au sein duquel les souffrances et les défaillances se déclarent. Il importe que celles-ci prennent un sens partagé – ce par quoi s’amorce d’un seul tenant le mouvement de compréhension et de soin. Il s’agit de pouvoir passer d’une situation éprouvée par le sujet comme le mettant « à part », aux marges de l’humain, à une situation où il puisse se sentir reconnu et reçu parmi « la communauté des hommes », ayant sa place dans un monde humain partagé. Aims The phenomenological method is not so much a therapeutic technique as a theoretical/clinical attitude . This paper endeavours to set out its main aspects, and to show how the phenomenological approach translates into clinical terms and the clinician's presence in consultation. Method The phenomenological approach gives priority to the patient's manner of being in the world, to his or her relationships with self and others, and to his/her life history, in other words the very foundations of the person's life experience. These dimensions, which are rarely put explicitly into words, are essential for the understanding of phenomena such as difficulty establishing contact with others, somatic expressions of psychic suffering, or the more “aberrant” symptoms of an illness. Access to these dimensions is gained in the course of intersubjective encounters, a fundamental component of the phenomenological approach. This paper thus sets out to show how, in this intersubjective perspective, psychopathological and therapeutic work can be undertaken. Results Different moments are detailed and illustrated by clinical vignettes: a questioning of the actual possibility of the encounter in the setting of an illness, and the care required to let it re-emerge; the work on a shared understanding of the world of the Other, and the singular logic underpinning the way it is formed; attention to the body as the shared receptacle of presence; the elaboration of a diagnosis in which the illness is defined in reference to the dimensions of our shared human condition, rather than merely in contrast or contradiction with it. While in a phenomenological approach intersubjectvity provides the field for interplay, where not only the therapeutic provision but also the upstream diagnostic process are deployed and achieved, it must also be conceded that there is a radical personal implication by the clinician. There is an implication first in the actual occurrence of the encounter with the patient, sometimes very insecure, and then in feeling and apprehending what is played out in that encounter. Discussion The authors demonstrate the tensions emerging from the confrontation between the phenomenological “ideal” and clinical reality, with emphasis on the cross-sectional aspects of phenomenology, which, although it is not a technique as such, is attentive to the anthropological stance suggested by Minkowkski: practising psychopathology with “two voices”, rooted in the human encounter. The clinician working along phenomenological lines seeks to cast light on the patient's experience in its relationship to the form of his or her presence in the world, with its specific underpinnings in the living-experiencing body. The clinician thus distinguishes the logic of existence that underpins the symptoms of the illness, endeavouring with the patient to place his/her modes of being in a construction within which meaning can be shared, while at the same time taking care to avoid reinforcing alienation by descriptions overstepping the intersubjective domain. Conclusion Any psychic suffering is a particular form of isolation or intersubjective disorder. Any “treatment” in psychiatry should therefore attach importance to the space for encounter where these sufferings and shortfalls can be addressed. It is important for suffering and shortfall to take on a shared meaning, since this enables both understanding and care provision. The need is to move from a situation experienced by the subject as placing him or her “apart”, on the fringes of humanity, to a situation where the subject can feel recognised and integrated “into the society of men”, with a place in a shared human world. [ABSTRACT FROM AUTHOR]