La perte, c’est le fait accompli de la poésie, expérience à partir de laquelle naît le poème. Où il y a perte, absence, manque, deuil, il y a prolifération folle de signifiants, la plénitude du langage répondant au trop-plein de l’absence. Car le poème fait deuil de ce qui a été perdu, de cette absence irréprésentable, hors de signification, que seul il désigne et signifie. Le poème coincide avec le manque, le vide, dont il ne cesse de se nourrir car le langage s’annonce voix (voie), tantôt excessive tantôt extravagante, que prend la perte pour parler (et ainsi présenter) son absence. A travers l’étude des expériences poétiques de Mallarmé devant la mort de son fils (Pour un tombeau d’Anatole), de Jacques Roubaud devant le décès de sa femme (Quelque chose noir), d’Avrom Sutzkever devant les bienaimés calcinés aux fours de la Shoah (Aquarium vert), et de Baudelaire devant « ce qui ne se retrouve / Jamais, jamais ! » (Le Cygne), tout en faisant appel aux études sur le deuil et le manque de Blanchot, Freud, Fédida et Pontalis, on essaie d’interroger la poésie comme expérience déchirante de la perte. Loss is the fait accompli of poetry, the experience out of which the poem is born. Where there are loss, absence, lack, and mourning, there is also the unbridled proliferation of signs; the fullness of language competes with the excessive abundance of absence. For the poem mourns what has been lost, that unrepresentable absence beyond meaning which it alone designates and signifies. The poem coincides with an emptiness, a void, from which it takes sustenance, because language is the voice (and the way), sometimes excessive and extravagant, by which loss speaks (and thus makes present) its absence. Through a study of the poetic experiences of Mallarme confronting the death of his son (Pour un tombeau d’Anatole), of Jacques Roubaud facing the loss of his wife (Quelque chose noir), of Avrom Sutzkever remembering those loved ones turning to smoke and ash in the ovens of the Shoah (Green Aquarium), of Baudelaire meditating on « what is never, never / Found again! » (Le Cygne), and by referring to studies on mourning and loss by Blanchot, Freud, Fédida, and Pontalis, we attempt to examine poetry as the shattering experience of loss.