Une partie importante de l’histoire évolutive des vertébrés est inscrite dans le registre fossile. La compréhension de cette histoire passe par l’étude de l’évolution des traits anatomiques et des relations de parenté (i.e. phylogénie) entre les différents taxons de vertébrés. Actuellement, la résolution imparfaite de la phylogénie des vertébrés soulève la question de l’optimisation des caractères utilisés dans les matrices de phylogénie. Pour répondre à cette problématique, cette thèse utilise une approche Evo-Dévo afin de comprendre l’histoire évolutive des vertébrés et les interrelations au sein des vertébrés. La croissance de deux espèces de vertébrés paléozoïques retrouvées dans le Lagerstätte du Dévonien supérieur de Miguasha (Québec, Canada) (380 millions d’années) est étudiée : l’anaspide Euphanerops longaevus (i.e. vertébré sans mâchoire ou agnathe) et l’acanthodien Triazeugacanthus affinis (i.e. vertébré à mâchoires ou gnathostome). La préservation exceptionnelle des fossiles du Lagerstätte de Miguasha en fait de bons candidats pour améliorer la résolution de la phylogénie des vertébrés et comprendre les grandes modifications évolutives ayant eues lieu à la période de transition entre les agnathes et les gnathostomes. Des techniques d’histologie, de microscopie électronique, de spectrométrie à rayons X ainsi que des dessins de précision et des analyses phylogénétiques sont utilisés afin d’exploiter au maximum le potentiel de ces fossiles. En effet, l’ajout de caractères développementaux aux caractères morphologiques déjà existants dans la littérature (rassemblés à partir de spécimens adultes le plus souvent), représente une solution pour une meilleure résolution de la phylogénie des vertébrés. L’attribution historique de Scaumenella mesacanthi à des stades de décomposition de l’acanthodien Triazeugacanthus affinis a été réfutée : Scaumenella représente des stades immatures de Triazeugacanthus et d'Euphanerops. Les résultats apportés par l’étude des ontogénies d'Euphanerops et de Triazeugacanthus sont inédits. D’une part, la nouvelle description d’Euphanerops, à partir de spécimens juvéniles et adultes, indique que le squelette interne de cet agnathe est composé d’une colonne vertébrale régionalisée, de longues nageoires paires ventrales s’étendant de la partie postérieure de la bouche à la partie antérieure de l’anus, de ceintures pelviennes ainsi que d’une paire d’organes d’intromission. Avant cette découverte, la présence d’un squelette axial et d’un squelette appendiculaire complexes n’était connue que chez les gnathostomes. D’autre part, la croissance de Triazeugacanthus, décrite à partir d’une série de taille de 178 individus, est continue et composée de trois stades ontogénétiques (larvaire, juvénile et adulte). Ces stades sont définis à partir 1) de l’étendue de l’écaillure (i.e. les écailles sont absentes chez les larves, elles sont en formation chez les juvéniles et l’écaillure est totale chez les adultes), et 2) de périodes de transitions déterminées par les alternances de paliers et de seuils de la trajectoire développementale. La progression de la minéralisation du squelette interne renseigne sur l’ossification d’éléments squelettiques cartilagineux (neurocrâne et éléments vertébraux) au cours de la croissance. En plus de l’ontogénie des spécimens complets, le développement d’éléments isolés a été étudié. Les taux de croissance des épines des nageoires différent entre les larves, juvéniles et adultes, ce qui indique que la croissance chez Triazeugacanthus est allométrique. La relation entre 1) la croissance des écailles et le patron de développement de l’écaillure, et 2) la croissance des spécimens complets indique que les écailles sont une bonne approximation de la croissance des individus et de l’espèce. Ce résultat est primordial étant donné que les séries de croissance sont rares dans le registre fossile (dû à la faible minéralisation du squelette des stades précoces) alors que les écailles sont abondantes. Concernant Euphanerops, ces découvertes impliquent que les mécanismes développementaux et génétiques, permettant la mise en place des appendices pairs et de la régionalisation du squelette axial, étaient présents bien avant l’émergence des gnathostomes. Quant à Triazeugacanthus, la préservation exceptionnelle, la large étendue de taille ainsi que l’abondance des spécimens complets font de la série de croissance de cette espèce une des ontogénies fossiles de gnathostomes les mieux connues. L’étude comparée des patrons et des processus de croissance de cet acanthodien au sein des gnathostomes informe sur une condition commune pour les gnathostomes retrouvée chez Triazeugacanthus. Malgré la présence de similitudes entre Triazeugacanthus et les ostéichtyens primitifs, la nouvelle analyse phylogénétique des gnathostomes indique que les acanthodiens sont à la base du groupe total des chondrichtyens soutenant ainsi l’hypothèse de la paraphylie des acanthodiens. En conclusion, cette thèse améliore la compréhension de l’évolution du système squelettique chez les vertébrés ainsi que la phylogénie des grands groupes de gnathostomes ; ces résultats permettent maintenant de poser la question des interrelations au sein du groupe total des vertébrés. _____________________________________________________________________________ MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : Développement, Phylogénie, Evolution, Dévonien, Acanthodien, Taphonomie, Anaspide, Miguasha