Jean-Paul Billaud, Bernard Hubert, Franck-Dominique Vivien, Unité de recherche d'Écodéveloppement (ECODEVELOPPEMENT), Institut National de la Recherche Agronomique (INRA), Laboratoire Dynamiques Sociales et Recomposition des Espaces (LADYSS), Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (UP1)-Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis (UP8)-Université Paris Nanterre (UPN)-Université Paris Diderot - Paris 7 (UPD7)-Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), Recherches en Économie Gestion AgroRessources Durabilité Santé- EA 6292 (REGARDS), Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)-Maison des Sciences Humaines de Champagne-Ardenne (MSH-URCA), Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)-Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA), Université Paris Diderot - Paris 7 (UPD7)-Université Paris Nanterre (UPN)-Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis (UP8)-Université Panthéon-Sorbonne (UP1)-Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA), and Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS)-Université Panthéon-Sorbonne (UP1)-Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis (UP8)-Université Paris Nanterre (UPN)-Université Paris Diderot - Paris 7 (UPD7)
International audience; On assiste depuis quelques années à des transformations significatives dans ce qui donne sens et valeurs aux activités des chercheurs : elles sont la traduction dans notre monde professionnel de grands changements qui touchent les conditions et la considération du travail humain, le développement, quasiment sans limite, de l'accès à l'information ainsi que les attentes politiques en matière de développement économique et d'innovation. Ces transformations, qui passent par des injonctions sous forme réglementaire ou incitative, mettent la recherche en tension entre trois pôles dont les points forts ne sont pas forcément compatibles : la projectifica-tion, l'utilitarisme et l'internationalisation. La projectification, qui touche bien d'autres secteurs professionnels que la recherche, s'inscrit dans la course à l'excellence et à la compétition entre individus, équipes, unités, établissements, tous soumis à des critères d'éva-luation reposant entre autres-à côté de la quantité et de la qualité des publications-sur les performances en termes de soumission de projets. La reconnaissance pro-cède davantage de la capacité à décrocher un projet (le montant du budget étant alors perçu comme signe de qualité) que de son contenu ou de ses futurs résultats. L'obtention d'une bourse de l'European Research Council (ERC) peut conduire l'institution du lauréat à lui allouer une prime individuelle au mérite 1 , alors même que les travaux sont projetés et non réalisés. Mérite que s'attribuent également les établissements, voire les sites de travail, puisque le score ERC et le score ANR sont parmi les critères d'évaluation les plus mis en avant par les évalués comme par les évaluateurs. Entraînées dans un marché concurrentiel féroce pour l'obtention de pro-jets, l'ANR ou la Commission européenne l'alimentant par leurs appels à propositions, équipes ou unités de recherche vivent ainsi au rythme du dépôt (communé-ment, soumettre un projet demande 6 mois de travail). On entre alors dans l'ère du recyclage pour courir après les guichets et effacer les échecs successifs dans des 1 Ce que le CNRS fait depuis 2010, suscitant récemment chez un des bénéficiaires un refus pour des raisons d'éthique. appels de plus en plus compétitifs (10 % de projets rete-nus à l'ANR, par exemple en 2015). On se fait de nou-veaux amis (tel laboratoire étranger en quête-nécessai-rement urgente-de partenariat), le plus souvent sans lendemain. On est tour à tour évaluateur et évalué, tel l'arroseur arrosé qui n'est pas dupe des chausse-trappes de ce nouveau mercato de la recherche. Un marché dans lequel on trouve également les investissements d'ave-nir (programmes Idex, I-site, Labex, Equipex, Instituts Convergences, Instituts Carnot…) que les unités, établis-sements de recherche, universités tentent de décrocher. Là encore, dans un contexte de baisse des soutiens de base, l'enjeu porte sur la recherche de moyens, loin d'être négligeables, mais également sur la reconnaissance par les autorités régionales, par le ministère, par la collecti-vité internationale. Combien de regroupements institu-tionnels, gages de succès dans ce type de concurrence, ne sont-ils pas d'abord l'expression de la quête d'une meilleure place dans les classements académiques internationaux ? Et qu'advient-il alors du laboratoire ou de l'université, relégués dans le second marché réunissant ceux qui n'ont pas eu accès à ces labels de reconnaissance ? Un deuxième ordre d'injonctions est celui qui vient d'une vision utilitariste de la recherche dont on attend, dans un monde résolument technoscientifique, des innovations pour soutenir le développement économique et l'emploi… si possible à court terme. Ces enjeux maillent, plus ou moins explicitement, les appels d'offres de recherche, qu'ils soient régionaux, nationaux ou euro-péens. Certes, l'utilité ultime de la recherche est sociale et la société ne se contente plus d'espérer du travail de laboratoire mais elle revendique d'y participer. Par-delà ce mouvement profond pour construire un nouveau rapport entre l'ordre des sciences et l'ordre démocratique, force est de reconnaître que, dans les faits, une vision très standard et descendante de l'innovation perdure. L'appel à des partenariats public/privé, à des liens ren-forcés avec le monde des entreprises (au coeur du programme européen H2020), charrie bien des incertitudes et des ambiguïtés