Pierre Zémor définit la communication publique comme « l’ensemble des messages émis par les pouvoirs publics et les services publics qui ont pour objectifs d’améliorer la connaissance civique, de faciliter l’action publique et de garantir le débat politique ». Au service de l’intérêt général, elle ne doit pas être confondue avec la communication électorale ou la communication politique. En ce sens, la communication du Parlement européen est communication publique. Toutefois, son premier objectif est de mettre en avant la nature politique de l’institution. Ne touche-t-on pas alors aux limites, ou du moins aux difficultés, de l’exercice : « gommer » le politique du discours institutionnel pour dépasser les intérêts individuels et se mettre au service de l’intérêt général, tout en s’appuyant sur les acteurs politisés de l’institution qui lui donnent sa raison d’être mais ne peuvent adhérer systématiquement à la parole de l’institution. Comment la légitimité est-elle alors produite ? Quel rôle joue ici la communication publique ? Cette interrogation ne se limite pas au Parlement, mais s’étend à d’autres institutions européennes, comme la Commission européenne : le cas de plusieurs commissaires européens s’exprimant publiquement contre, ou en tout cas différemment, de l’institution qu’ils représentent et dont ils sont censés porter la parole officielle a été signalé par de nombreux observateurs, en premier lieu desquels les journalistes. Une telle observation tend à valider l’hypothèse, que nous développons ici, d’une tension entre communication officielle de l’institution, consensuelle et neutralisée, et communication personnelle de ses acteurs, orientée et partisane. Pour ce faire, nous étudions la parole de l’institution au regard de celle de ses acteurs en prenant comme objets d’analyse plusieurs décisions ou politiques publiques discutées ou adoptées. « Le procédé de lissage de fabrication du discours institutionnel » que l’on constate au Parlement européen, pour reprendre les termes d’Oger et Ollivier-Yaniv, est analysé dans ce travail. A partir de là, il est démontré que ce procédé n’est pas sans poser problème par rapport aux objectifs poursuivis par l’institution européenne : comment communiquer sur des valeurs (action n°3 du plan d’action pour l’implémentation de la stratégie de communication) en les décontextualisant ? En effet, comme le décryptent Oger et Ollivier-Yaniv, le procédé de lissage ou de gommage du politique passe par la « décontextualisation des énoncés (qui) rend une déclaration intelligible en dehors et finalement indépendamment de son contexte d’énonciation et rompt la dépendance entre les énoncés et leurs énonciateurs originels, ou entre les énoncés et les destinataires originels. » Dans le cas des institutions européennes, le risque n’est finalement pas tant la manipulation politique, mais plutôt l’absence du politique. Autrement dit, nous nous interrogeons ici sur la frontière entre communication publique et communication politique : l’une et l’autre peuvent-elles co-exister sans tomber dans la propagande et la manipulation ? A titre d’exemple la stratégie de communication du Parlement est en effet clairement tournée vers les élections, qui constituent le point d’orgue de sa communication, sans pour autant que cela soit clairement affiché. On se situe alors dans la zone de « chevauchements inévitables » (Bessières) entre communication publique et communication politique. Notre travail se concentre sur la communication sur Internet, et plus particulièrement sur les réseaux sociaux. Nous rejoignons Gea Ducci et posons ainsi l’hypothèse suivante : la communication politique et la communication institutionnelle publique ne se distinguent pas facilement dans l’utilisation des réseaux sociaux. Nous souhaitons ici étudier les différents rôles et statuts, ainsi que la nature de la parole, selon qu’il s’agisse de « portes parole » de l’institution (au Parlement comme à la Commission) ou d’acteurs en « responsabilité politique » (députés ou commissaires). Il s’agira également de voir comment ces outils s’insèrent dans la politique de communication de l’institution et dans quelle mesure ils font se confronter « le parler neutre » de l’institution, qui au moyen du procédé de lissage tend à effacer « les traces de la conflictualité et des tensions internes » (Oger et Ollivier-Yaniv) et le « parler vrai » de ses acteurs qui cherchent à construire leur propre identité au-delà de l’institution. L’articulation de ces deux registres, au moyen des réseaux sociaux, n’est-il un procédé de coordination entre communication publique et communication politique et, dans le cas des institutions européennes, un moyen de dépasser les difficultés de communication observées depuis les années 80 ? Pour mener ce travail, des entretiens semi-directifs sont menés avec des professionnels en charge de la communication du Parlement européen, mais aussi de la Commission européenne. Qui sont-ils ? Quelles logiques d’action mettent-ils en place ? Quelles représentations d’eux-mêmes et des acteurs politiques développent-ils ? Comment élaborent-ils la parole officielle de l’institution ? Telles sont quelques-unes des interrogations auxquelles il s’agira de répondre. Le travail méthodologique intègre également l’analyse de discours : l’attention se concentre ici sur un corpus constitué des propos institutionnels et personnels publiés sur Internet. Enfin, des documents externes et internes illustrent nos propos. Une approche multidisciplinaire nous semble la mieux à même de développer ces axes de réflexion : l’apport des sciences politiques et de la science administrative à la recherche en sciences de l’information et de la communication, et vice versa, est sur ce sujet très important.