Depuis le début des années 1990, l’agriculture mexicaine connaît de profondes restructurations qui s’inscrivent dans un ensemble de réformes visant à accélérer l’insertion compétitive des exploitations sur les marchés agricoles, notamment dans le cadre de l’Accord de libre-échange nord-américain liant le Mexique, les États-Unis et le Canada depuis le 1er janvier 1994. Dans le domaine foncier, la révision, en 1991, de l’article 27 de la Constitution mexicaine a signifié la fin des redistributions foncières – à l’origine de la formation des ejidos –, et la réintégration aux marchés fonciers des terres distribuées dans le cadre de la réforme agraire (autorisation de leur cession définitive et/ou temporaire et de leur mise en gage). En instaurant par ailleurs un cadre institutionnel propice à l’émergence de marchés fonciers dans les ejidos via un important programme de titrage individuel des droits fonciers, la réforme devait contribuer à la mise en place de nouvelles dynamiques productives, en forçant la réallocation des ressources productives, notamment la terre, vers les structures les plus compétitives. Les concentrations foncières aux mains des plus « productifs » sont donc désormais possibles et même souhaitées, et cela, en totale contradiction avec le Code agraire qui interdit toujours la grande propriété au Mexique. Les questions foncières liées aux transformations productives et au changement institutionnel sont traitées ici à partir d’une étude de cas conduite dans différents ejidos des terres basses du Sud-Veracruz (bassins du Tesechoacan et du Moyen-Coatzacoalcos), où l’on observe depuis le milieu des années 1990 un développement important de la production mécanisée de maïs et de sorgho destinée aux marchés. Il s’agit notamment, après la révision constitutionnelle de 1991, de dresser un état des lieux des dynamiques foncières liées à la diffusion de la céréaliculture commerciale, lesquelles se manifestent par un accroissement marqué de la demande sur les marchés fonciers internes et externes aux ejidos. Il s’agit aussi de montrer comment l’accès des petits producteurs aux différentes ressources productives (terre, intrants et capital technique) s’organise aujourd’hui à différentes échelles, au sein des ejidos d’une part, mais également autour de l’intervention de nouveaux acteurs issus du secteur privé (agro-industriels, entrepreneurs et opérateurs agricoles, fournisseurs d’intrants et de services, etc.). Que ces derniers prennent part ou non à un récent phénomène d’acquisitions foncières – qui n’a toutefois ni l’ampleur ni les caractéristiques des grandes appropriations foncières ayant actuellement lieu dans certains pays du Sud –, ils jouent un rôle de plus en plus central dans les stratégies d’expansion des petites exploitations familiales et dans les processus locaux d’intégration commerciale. Dans le cas du bassin du Tesechoacan, le modèle d’intégration impulsé par les acteurs privés s’apparente à une forme d’agriculture sous contrat (sur le modèle développé par l’agrobusiness), tandis que dans celui du Moyen-Coatzacoalcos, le schéma fonctionne avant tout sur la base de relations personnalisées de type clientéliste. Dans les deux cas toutefois, les logiques d’intervention de ces nouveaux acteurs privés s’appuient sur un contrôle accru des exploitations familiales, tant en amont (accès aux ressources productives) qu’en aval (mise en marché) de la production. Par ailleurs, la présence du secteur privé bénéficie en premier lieu à une catégorie émergente d’ejidataires « capitalisés », dont le rapprochement avec ces nouveaux acteurs se construit autour de la prise de terres en location. L’une des conséquences est une différenciation socio-économique accélérée au sein des ejidos. Au final, l’analyse des processus productifs en cours dans les terres basses du Sud-Veracruz permet de mettre en évidence une tendance à l’accumulation et à la concentration de terres, aux mains d’une catégorie minoritaire d’ejidataires bien dotés en capital technique d’une part, et d’entrepreneurs privés contrôlant les accès aux ressources productives et aux marchés d’autre part. Since the early 1990s, Mexican agriculture has undergone major restructuration as part of reforms aiming to help the country’s farms take their place on agricultural markets. This is especially true with respect to the North American Free Trade Agreement, signed on 1 January 1994 by the United States, Canada and Mexico. As far as land is concerned, Article 27 of the Mexican Constitution was revised in 1991 to put a stop to land redistributions, linked to the creation of ejidos, and reintegrate land distributed as a result of the agrarian reform into property markets (in particular, it authorised permanent and temporary land transfers and using land as collateral). In addition, the reform introduced a new system of land title to ejidos in order to encourage emerging property markets. This was to support new forms of productivity by forcing the reallocation of productive resources (land in particular) to more competitive structures. Allowing the most productive to amass land was now possible and even desirable, despite contradictory provisions prohibiting large estates in the Agrarian Code. This study focuses on land issues linked to productive transformations and institutional change by observing several ejidos in the south Veracruz lowlands (the Tesechoacan River basin and middle reaches of the Coatzacoalcos River). Since the mid 1990s, mechanised production of corn and sorghum crops for the market has increased considerably. The study will examine the changes affecting land following the 1991 constitutional revision and the spread of commercial grain farming. In particular, the study will look into the increase in demand for land inside and outside ejidos. It will also show how small producers’ access to productive resources (land, inputs and technical capital) is organised on several levels – within ejidos, but also with new private sector actors (industrial farmers, companies, agricultural operators, and input and service suppliers, etc.). Whether or not the latter take part in the recent trend of land acquisitions – on a much smaller scale than the large-scale land acquisitions taking place in other developing countries – they play an increasingly important role in the expansion strategies of small family farms and local commercial integration processes. In the Tesechoacan basin, the integration model pushed by private sector actors resembles a form of contract farming (based on the agribusiness model). In the middle Coatzacoalcos River, it operates via a clientelistic system of personal relationships. However, in both cases, these new private sector actors intervene to increase their control over family farms, both upstream (by controlling productive resources) and downstream (by getting produce to market). Moreover, the presence of the private sector benefits a new category of “capitalised” ejidatarios, who build relationships based on renting land. Consequently, there are growing socio-economic differences between ejidos. Finally, by analysing the productive processes at work in the south Veracruz lowlands, the study highlights the increasing accumulation and concentration of land by two groups: ejidatarios with significant technical capital on the one hand, and private entrepreneurs controlling access to productive resources and the market on the other.