En dépit de son importance dans la formation de la société contemporaine, le syndicalisme apparaît comme l’un des parents pauvres de l’historiographie en Belgique. Il y a plus de trente ans, Jean Puissant déplorait que l’historiographie syndicale était essentiellement « produite par le milieu syndical lui-même » et que sa fonction était généralement « la commémoration, la légitimation, la contestation ou encore la célébration » (Archivium, vol.XXVII, 1980). Plusieurs auteurs ont, à partir des années 1960 et surtout des années 1980, entamé une approche scientifique de l’histoire syndicale. Mais, en raison du manque cruel d’études systématiques préalables, cette production historique récente, plus riche de perspectives scientifiques, est demeurée largement monographique, ne dépassant que partiellement les clivages sectoriels, régionaux et politiques. « Des synthèses restent à faire, écrivait Antoine Prost en 1997 à propos de la France, [car] aucun de ces travaux ne réussit à lier de façon pleinement satisfaisante l’histoire du travail, celle des travailleurs et celle du mouvement ouvrier. [.] Les nouveaux paradigmes de l’histoire ouvrière continuent à se chercher » (Cahiers d’Histoire, n°66, 1997). Ce constat s’applique incontestablement à l’historiographie syndicale belge. L’ambition de la présente thèse est de pallier l’absence d’étude d’ensemble sur le mouvement syndical belge de l’entre-deux-guerres, période essentielle dans le processus de mise en place du syndicalisme contemporain en Belgique. Cette période est en effet non seulement marquée par l’avènement d’un syndicalisme de masse, par l’intégration des syndicats dans des nouveaux systèmes de relations industrielles (reconnaissance généralisée des syndicats par le patronat et l’État comme interlocuteurs privilégiés dans la négociation du contrat de travail), par leur attribution à l’échelle nationale d’un rôle officiel dans la redistribution des secours étatiques de chômage, mais également par de profondes réformes des structures et des fonctionnements syndicaux (centralisation, concentration et rationalisation accrues). Notre étude tente d’analyser comment et suivant quelles modalités les diverses composantes du mouvement syndical ont participé à ces transformations sociétales (y compris en ce qui concerne le nouveau rôle qu’elles y acquièrent) en même temps qu’elles se sont trouvées transformées par elles. Globalement, elle propose une évaluation des influences réciproques sur la construction du fait syndical belge : - des trajectoires historiques propres aux différents courants syndicaux (en considérant la diversité des théories et des pratiques développées par chacun d’eux) ; - des transformations des relations industrielles (ce qui implique l’analyse des conflits du travail et leur régulation) ; - des réalités économiques, politiques et idéologiques nationales et internationales spécifiques à cette période. Cette approche globale nous a amenés, dans la première partie de notre thèse, à reconsidérer l’influence particulière du premier conflit mondial sur les évolutions spécifiques du fait syndical, des relations industrielles et des politiques sociales belges au cours des années 1919-1921. Afin de mesurer l’ampleur de ces changements, nous avons également procédé, dans la première partie de notre thèse, à un état des lieux de la situation du mouvement syndical belge avant la guerre. La seconde partie de notre étude est consacrée à l’analyse des processus qui, au cours des années 1918-1920, ont présidé à la mise en place de nouveaux systèmes de relations industrielles en Belgique et au « boom » syndical de l’immédiat après-guerre (chronologie, configuration par tendance, par secteur d’industrie, par région etc.). Le rôle joué dans ces évolutions par les différentes composantes syndicales, y est évalué en lien avec la situation sociale, politique et économique mouvementée de l’immédiat après-guerre. Enfin, l’étude des conséquences de l’ensemble de ces évolutions sur la doctrine, l’action et la structuration des organisations syndicales dans les années vingt et trente est l’objet de la troisième et dernière partie de notre travail. Une place centrale y est réservée à l’analyse des conflits, contradictions et tensions que provoquèrent ces mutations au sein du mouvement syndical socialiste, bien plus nombreux que chez ses homologues catholique, libéral ou neutre. Il s’agit notamment d’évaluer l’incidence qu’ont pu avoir ces tensions et conflits intra syndicaux sur la construction du mouvement syndical socialiste. --- Despite its undoubted significance in the development of contemporary society, trade–unionism remains the poor relation of Belgian historiography. Twenty-five years ago, Jean Puissant bemoaned the fact that trade-union historiography is, in essence, "a product of the trade unions themselves” and that its main purpose is "commemoration, justification, protest or celebration" (Archivium, vol.XXVII, 1980). From the 1960s onwards, and more especially from the 1980s, several authors have initiated a more scientific approach to the study of trade-union history. But a cruel lack of fundamental or systemic research has meant that this more recent history-writing, though promising in terms of scientific insights, has remained largely monographic in nature, barely going beyond sector, regional or political boundaries. "More synthesis is needed," wrote Antoine Prost in 1997, with reference to France, "for none of this research has provided a truly satisfactory history of labour, a history of working people and their movement… New paradigms are needed to define labour history" (Cahiers d’Histoire, n°66, 1997). These comments apply equally to Belgian trade-union historiography. The purpose of this thesis is to make up for the absence of synthetic study of Belgian trade-union movement in the inter-war period. It is a period crucial to the establishment of contemporary trade-union relations in Belgium, seeing a rise in mass membership and the establishment of a new industrial relations network, predicated on employer and state recognition of trade unions, as acknowledged partners in contract negotiations. It also considers how unions were offered an official role at a national level in unemployment benefit distribution and substantial organisational change within the movement itself (centralisation, concentration and rationalization). This study will attempt to show how and according to what models the various components of the trade-union movement participated in these changes. It will include an important measure of comparative study. It will show the role trade unions acquired over the period and how the changes affected the trade-union movement. Overall, it will attempt to evaluate the development of Belgian trade unionism as a historical fact, in terms of the mutual influence of: - respective historical trajectories of various trade-union currents (focusing on the different theories and practices developed by each) - the transformation of industrial relations (meaning an analysis of labour conflicts and their resolution) - national and international political, economic and ideological realities of the time. This overall approach will lead us, in the first part, to reconsider the specific influence of the First World War on particular developments in the world of the trade unions, on industrial relations in general and on Belgian social policy during the years 1919-1921. In order to gauge the extent of these developments, we also have, in this first part of the thesis, sought to offer an inventory of the Belgian trade-union movement as it stood before the war. The second part offers an analysis of the processes which, during the years 1918-1920, governed the establishment of new industrial relations systems in Belgium and the trade-union "boom" of the immediate post-war period (chronology, configuration by political tendency, by industrial sector, by region, etc.). The role played by different components of the trade-union world in these developments is evaluated, against the background of a troubled immediate post-war social, political and economic landscape. The third part of this thesis is devoted to a study of the consequences of these developments on trade-union doctrine, action and organisational structure during the 1920s and 1930s. The main focus is on conflicts, contradictions and tensions provoked within the Socialist trade-union movement, numerically far more significant than its Catholic, Liberal or neutral counterparts. The purpose is to determine the extent to which such internal tensions and conflicts may have affected the construction of a Socialist trade-union movement., Doctorat en Histoire, art et archéologie, info:eu-repo/semantics/published