51. Le lac Régille, les Dioscures et Cérès : de la crise romano-latine à la crise patricio-plébéienne
- Author
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Nicolas Meunier and UCL - SSH/INCA - Institut des civilisations, arts et lettres
- Subjects
Lac Régille ,foedus Cassianum ,Castor ,Pénates ,Cérès ,Rome ,Ligue latine ,Dioscures ,Haute République (Rome) ,Penates Publici - Abstract
Le début du Ve siècle av. J.-C. fut à Rome une période de crise importante. À la crise institutionnelle (les Tarquins venaient en effet d’être expulsés à la toute fin du siècle précédent, tandis que le régime républicain peinait à se mettre en place), s’ajoutaient une crise sociale (le célèbre conflit patricio-plébéien) et une crise des relations avec les peuples voisins (en particulier avec les Latins, que les Romains durent affronter lors de la difficile bataille du Lac Régille). Or durant cette même période se déploya une activité religieuse importante en termes de consécration de sanctuaires et d’instauration de cultes. Dans la présente contribution, nous reviendrons sur deux des nouveaux temples qui furent consacrés en cette période de crise : celui des Dioscures d’une part, celui de Cérès, Liber et Libera d’autre part. Il apparaît que ces deux sanctuaires sont bien plus étroitement liés encore que ne l’admet la tradition non seulement à la reprise du pouvoir, à Rome et dans le Latium, des Latins sur les Étrusques, mais aussi à la formation d’une nouvelle Ligue latine consécutivement à ce changement dans la situation politique. Ainsi l’érection d’un temple aux Dioscures, loin de célébrer une quelconque victoire romaine, serait plutôt une affirmation renouvelée de l’appartenance à la communauté des Latins ; car au moins jusqu’en 338 av. J.-C., les dieux jumeaux auraient bien été assimilés aux Penates Publici, ces derniers étant en réalité à l’origine les Penates nominis Latini. Quant au temple de Cérès, Liber et Libera, il serait à comprendre comme un sanctuaire fédéral directement impliqué dans le fonctionnement de la Ligue latine, l’instigateur du foedus Cassianum, Spurius Cassius, se trouvant être aussi – et ce n’est pas un hasard – le dédicataire du sanctuaire. Plus tard, la thématique du conflit patricio-plébéien servit manifestement aux Romains à dissimuler a posteriori la part prise par les Latins dans l’histoire de cette haute époque, ce qui amena à attribuer au temple de Cérès un rôle central dans l’activité plébéienne, un rôle qu’il ne possédait manifestement pas à l’origine. The beginning of the fifth century BC was a period of major crisis in the Roman history. To the institutional crisis (the Tarquins were indeed being expelled at the end of the previous century, while the republican system struggled to be implemented), were added a social crisis (the famous struggle of the orders) and another crisis in the relations with neighboring peoples (especially with the Latins, the Romans had to face during the tough battle of Lake Regillus). Interestingly, during the same period was displayed significant religious activity in terms of consecration of temples and establishment of worships. In this paper, I revisit the issue of two new temples consecrated in this time of crisis: that of the Dioscuri on the one hand, that of Ceres, Liber and Libera on the other hand. It appears that these two sanctuaries are much more closely related than tradition admits not only to the recovery of power in Rome and Latium, by the Latins over the Etruscans, but also to the formation of a new Latin league subsequent to this change in the political situation. Thus the erection of a temple to Castor and Pollux, far from celebrating any Roman victory, would rather be a renewed assertion of belonging to the community of the Latins; because at least until 338 BC, the twin gods were most probably assimilated to the Penates Publici, the latter actually and originally being nothing else than the Penates nominis Latini. As for the temple of Ceres, Liber and Libera, it should be understood as a federal sanctuary directly involved in the functioning of the Latin League, the instigator of the foedus Cassianum, Spurius Cassius, also happening to be - and this is not a coincidence - the dedicatee of the sanctuary. Later, the scheme of the struggle of the orders was clearly of use to the Romans for concealing a posteriori the part played by the Latins in the history of this early period, so that the temple of Ceres was assigned a central role in the plebeian activity, a role that it clearly did not have originally.
- Published
- 2015