La ville en guerre est un sujet de préoccupation prioritaire pour la géographie politique. Suite à des observations de terrain à Abidjan, Beyrouth, Mitrovica (Kosovo) et Sarajevo, cette intervention se propose de confronter cet espace particulier aux concepts de la géographie politique : les fragmentations urbaines redessinent la ville pendant une guerre de sorte à créer non plus un espace commun aux habitants, mais plusieurs micro-territoires qui se juxtaposent et se recomposent selon une identité en construction. Le jeu des acteurs politiques amènent les habitants d'une ville en guerre à reconsidérer leur espace de vie, leur espace approprié et leur espace identitaire. Les enjeux symboliques sont forts : des monuments, des places, des lieux religieux peuvent prendre une importance démesurée. De plus, les espaces vécus se distinguent en fonction de l'appartenance à un groupe (souvent ethnique, mais pas seulement : idéologique, social...) et recomposent l'espace approprié par les habitants en plusieurs quartiers qui se recomposent dans des revendications identitaires fortes. C'est pourquoi, les fragmentations urbaines deviennent un enjeu de compréhension du déroulement des conflits, des acteurs mis en scène, et de leurs conséquences spatiales. Ainsi, cette réflexion se propose, à partir d'études de terrain dans des villes très diversifiées, de dresser une typologie de la ville en guerre et des recompositions spatiales en œuvre dans le processus de paix. Tout d'abord, la ville mono-groupe est celle où seul le groupe "dominant" subsiste, les autres formant des petites minorités, parfois discriminées, au mieux ignorées. Ensuite, la ville multiculturelle doit se recomposer avec sa diversité ethnique, religieuse, sociale, etc., dans laquelle les acteurs politiques jouent un rôle tant pacificateur que déstabilisateur. Enfin, la ville divisée est une variante à la charnière des deux autres modèles, présentant la caractéristique de faire voisiner deux groupes majoritaires (ou plus), dans des quartiers bien distincts, de sorte que se créent deux villes juxtaposées qui évoluent en s'ignorant l'une l'autre. Ainsi, à travers les stigmates laissés dans l'urbanisme, la dérégulation économique, la déstabilisation et la réorganisation politiques, la guerre se fixe dans l'urbanité, de sorte à créer une nouvelle géographie politique de chaque ville qu'elle touche. Au-delà de la simple question de la reconstruction du bâti, la géographe politique permet ainsi une analyse des conséquences individuelles et collectives et de la recomposition de la ville pendant la guerre et dans l'immédiat après-guerre. La construction de la paix dans la ville en guerre peut donc se comprendre en trois temps : la survie (se nourrir, boire, s'abriter), la sécurité (se protéger, se soigner, s'éduquer), et la vie (se ré-concilier, travailler, se divertir). A la charnière entre géopolitique, géographie culturelle et sociale et géographie urbaine, la géographie politique offre de nombreux outils d'analyse pour comprendre la complexité de la ville en guerre.