Au sommet de l’échelle des peines avant 1981, la peine de mort était censée éliminer les pires criminels de la société. Les individus reconnus coupables d’assassinat ou de meurtre aggravé étaient voués, selon le code pénal, à la mort par décapitation, s’ils ne bénéficiaient pas de circonstances atténuantes. Sans surprise, ce sont des individus issus de populations déjà marginalisées qui en font les frais. Les condamnés à mort n’étaient cependant pas complètement irrécupérables : le chef de l’État disposant du droit de grâce avait toujours le pouvoir de les extraire de leurs fers et de leurs angoisses pour une autre forme d’élimination, avec la transportation en Guyane, malgré tout considérée comme une deuxième chance. De 1908 à 1914, seule une fraction minoritaire (environ un tiers) de ces condamnés était considérée comme vraiment irrécupérable, ne méritant pas d’indulgence, et donc de vivre. Pour étayer et produire ce caractère, le ministère de la Justice demandait aux magistrats ayant contribué à la condamnation, soit le procureur de la République, l’avocat général et le président des assises, des avis motivés. C’est l’étude de ces motivations qui fait l’objet de cet article en partant de l’analyse des rapports contenus dans les dossiers de grâce conservés dans les archives de la chancellerie ou de la présidence – rejoignant ainsi, dans la lignée de la sociologie morale, les préoccupations de récents travaux portant sur les justifications données par les acteurs de la chaîne pénale à leurs décisions. Outre les caractéristiques générales portant sur l’âge, la situation sociale ou familiale ou la situation de récidive, d’autres signes contribuent à incliner les magistrats vers l’exécution : il s’agit de l’attitude au procès, ou en prison, des marques du cynisme, voire de la monstruosité, laissant présager d’un échec de toute perspective de relèvement moral. Plus encore, la sévérité des magistrats est surtout imprégnée d’idées de rétribution, avec la question centrale de la responsabilité, ainsi que par des visées d’exemplarité. Elle montre une pratique du droit encore largement tributaire des représentations chrétiennes et plus largement spiritualistes, très éloignées des théories positivistes de « défense sociale » pourtant en plein essor. Before 1981, the death penalty was the ultimate punishment, reserved for the worst criminals. Unless they were spared due to mitigating circumstances, those found guilty of premeditated or aggravated murder were sentenced, in accordance with the penal code, to an ignominious beheading. These people often came from marginal backgrounds. However, criminals who were sentenced to death were not entirely beyond redemption. The President could always grant them pardons and spare them the guillotine. They were then sent to the hard labour camps in French Guyana – another form of elimination, but one which was considered a second chance. From 1908 to 1914, only a minority (less than a third) of these convicts were actually considered to be beyond any form of redemption and undeserving of survival. To help the President make decisions in these matters, the Ministry of Justice sought the advice of those who had worked on these cases (the judge and public prosecutors). Our intention is to look at how the magistrates justified their advice, with reference to reports stored in government and presidential archives. This study fits into a wider field – indeed, recent “moral sociology” studies pay close attention to how the various participants in the penal chain justified their decisions. Judges took into account some general characteristics relating to age, social status and recidivism. But, more than anything, the attitude of the criminal during the trial or in prison, and any display of cynicism, or even of outrageous behaviour, were key factors in the issuing of death sentences. These could be seen as signs that any attempt at “moral correction” would be doomed to failure. Moreover, the severity of the judges was underpinned by the concept of retribution. The issue of “responsibility” was then paramount. The need to create a deterrent effect was also important. The judges’ reports show us that Christian and spiritualist ways of thinking had a profound influence on the practice of penal law – far removed from the growing positivist theories of “social defence”.