Back to Search Start Over

« Plutôt danser que manger ! » Mémoires musicales et dynamiques de créolisation dans les récits d’anciens esclaves du Federal Writers’ Project de la Works Progress Administration (1936-1938)

Authors :
Martin, Denis-Constant
Publication Year :
2022
Publisher :
CIRESC, 2022.

Abstract

Ce texte propose une étude préliminaire des informations relatives aux musiques et aux danses pratiquées par les esclaves afro-étatsuniens, contenues dans les entretiens recueillis – plus de 2 000, collectés de 1936 à 1938 – pendant le New Deal de Franklin Delanoe Roosevelt par les enquêteurs du Federal Writers’ Project de la Works Progress Administration. Il présente les circonstances dans lesquelles danses et musiques pouvaient être pratiquées ainsi qu’une première analyse des répertoires chantés, des danses et des instruments de musique mentionnés dans les entretiens. Il vise à mettre en lumière les dynamiques de création qui se renforceront après l’émancipation et aboutirent au xxe siècle à l’invention de nouvelles musiques par les Afro-Étatsuniens et à identifier les éléments d’un stock mémoriel auquel musiciens et militants des droits civiques puisèrent dans les années 1950 et 1960. Dans ces entretiens, d’anciens esclaves eurent l’occasion d’évoquer leur vie, leurs activités et leurs attitudes face à la servitude. En dépit des nombreux défauts qui ont entaché le recueil de ces récits (enquêteurs sans formation sociologique ou anthropologique, blancs dans leur grande majorité, alors que le racisme était omniprésent dans les États où les entretiens ont été collectés), ils constituent une source d’information inestimable sur les expériences et les sentiments des esclaves, notamment en ce qui concerne leurs pratiques culturelles durant les dernières décennies avant l’abolition de l’esclavage. Ils évoquent à maintes reprises les moments où il leur était possible de faire de la musique, profane ou sacrée, et de danser ; les répertoires qu’ils pratiquaient ; les instruments qu’ils utilisaient. Ces textes, dont l’essentiel est désormais accessible sur internet, montrent que la musique et la danse constituaient des activités indispensables à la survie dans un univers de violence absolue et de déshumanisation. À partir d’un recensement des passages d’entretiens où sont mentionnées ces activités, cet article s’attarde sur les relations maîtres-esclaves – variables d’une exploitation à une autre, d’une brutalité sadique dans certains cas à un paternalisme relativement tolérant dans d’autres – et les stratégies d’appropriation d’éléments de cultures européennes ou amérindiennes développées par les esclaves. Il suggère que ces stratégies, dans le cadre de ces relations, analysées à la lumière de la théorie de la créolisation formulée par le poète et philosophe martiniquais Édouard Glissant, ont mis en mouvement des « dépassantes imprévisibles » à partir desquelles se sont développées des dynamiques de création. Celles-ci s’épanouiront après l’abolition et aboutiront à l’émergence de musiques originales au xxe siècle. En dépit de l’» oubli » de l’esclavage et des musiques qui y furent inventées qui toucha une partie de la population afro-étatsunienne dans la première moitié du xxe siècle et affecta les recherches sur les cultures afro-étatsuniennes, une mémoire pratique, notamment dans le chant religieux, n’en continua pas moins de s’épanouir, sans nostalgie ni idéalisation, dans le seul maintien dynamique de ce qui avait été amorcé aux temps de la subjugation. Les pratiques musicales et chorégraphiques des esclaves des années 1840 aux années 1860 ont ainsi constitué un stock mémoriel auquel il a été abondamment puisé à partir des années 1950 dans le cadre d’entreprises de renouvellement du jazz et des luttes pour les droits civiques menées par les Afro-Étatsuniens. This paper proposes a preliminary study of information on the music and dance of African American slaves found in interviews—more than 2 000, collected from 1936 to 1938—gathered during Franklin Delanoe Roosevelt’s New Deal by investigators of the Federal Writers’ Project of the Works Progress Administration. These interviews gave ex-slaves the opportunity to tell about their lives in general, their various activities, and their attitudes towards slavery. In spite of the many flaws that marred the interviews, because of the methods used to record the ex-slaves’ narratives (the investigators did not have any training in sociology or anthropology; the great majority of them were white; their putting questions to African Americans at a time when racism was still ubiquitous often induced a form of self-censorship on the part of their interlocutors), they represent an invaluable source of information about the lived experience of slavery and the slaves’ activities, especially their cultural practices. The ex-slaves interviewed recalled the moments when they had the possibility of making music, of singing and dancing, the repertories, secular or religious, they interpreted, and the musical instruments they played. These texts, most of which are now accessible on the internet, show that music and dance were activities that were indispensable to survival in a world of absolute violence and dehumanisation. Based on a survey of passages where the interviewees mention these activities, this paper considers the various types of master-slave relationships—from sadistic brutality to relatively tolerant paternalism—as well as the strategies of appropriation of elements of European and native Indian culture deployed by slaves, and analyses them under the lens of the creolisation theory elaborated by the Martinican poet and philosopher Édouard Glissant. In that perspective, the music and dances performed by the slaves appear to have set in motion “unpredictable overreaching forces” (dépassantes imprévisibles) that underpinned creative dynamics which culminated in the invention of original styles of music in the 20th century. In spite of the fact that slavery, and its music and dances, were deliberately “forgotten” by some sections of the African American population in the first half of the 20th century, affecting the research done on these practices, a practical memory survived, especially in the field of religious singing. Without nostalgia or idealisation, this was the only dynamic continuation of what had been created during the times of enslavement. This endowed the slaves’ musical and chorographical practices from the 1840s to the 1860s with a powerful potential, both humanly liberating and culturally creative, which provided an abundant source of inspiration for jazz musicians of the 1950s and 1960s, and for activists of the Civil Rights Movement. Este texto propone un estudio preliminar de las informaciones sobre músicas y danzas practicadas por los esclavos afro-estadunidenses que aparecen en las entrevistas realizadas –más de dos mil, entre 1936 y 1938– durante el New Deal de Franklin Delanoe Roosevelt por los investigadores del Writers’ Project de la Works Progress Administration. Se presentan las circunstancias en las que danzas y músicas podían ser practicadas así como un primer análisis de los repertorios cantados, de las danzas y de los instrumentos de música mencionados en las entrevistas. Se busca poner en evidencia las dinámicas de creación que se reforzarán después de la emancipación y que desembocarán durante el siglo xx en la invención de nuevas músicas por los afro-estadunidenses, así como identificar los elementos de un stock memorial al que músicos y militantes podrán recurrir en los años 1950 y 1960. En estas entrevistas, antiguos esclavos tuvieron la oportunidad de evocar su vida, sus actividades y sus actitudes frente a la servidumbre. A pesar de los escollos que afectaron la recopilación (investigadores sin formación sociológica o antropológica, en su mayoría blancos siendo que el racismo era omnipresente en los Estados donde se trabajó), los relatos constituyen una inestimable fuente de información sobre las experiencias y los sentimientos de los esclavos, especialmente en lo que se refiere a sus prácticas culturales en las últimas décadas previas a la abolición de la esclavitud. En muchos de ellos se evoca los momentos en que podían hacer música, profana o sagrada, y bailar; cuáles eran los repertorios; los instrumentos que utilizaban. Estos textos, que en lo fundamental ya están accesibles a través de internet, muestran que la música y la danza constituían actividades indispensables para la supervivencia en un universo de violencia absoluta y de deshumanización. A partir de un inventario de los fragmentos en los que se mencionan estas actividades, el artículo se interesa por las relaciones amos-esclavos –variables de una explotación a otra, desde una brutalidad sádica en algunos casos a un paternalismo relativamente tolerante en otros– y por las estrategias de apropiación de elementos de culturas europeas o amerindias desarrolladas por los esclavos. Se sugiere que estas estrategias, en el marco de estas relaciones, analizadas a la luz de la teoría de la creolización formulada por el poeta y filósofo martiniqués Édouard Glissant, pusieron en marcha “resultantes imprevisibles” (“dépassantes imprevisibles”) a partir de las cuales surgieron dinámicas de creación. Estas se desarrollarán plenamente después de la abolición y desembocarán en la emergencia de músicas originales durante el siglo xx. A pesar del “olvido” de la esclavitud, y de las músicas que fueron inventadas, lo que afectó una parte de la población afro-estadunidense en la primera parte del siglo xx y también las investigaciones sobre culturas afro-estadunidense, una memoria práctica, especialmente en el canto religioso, siguió desarrollándose sin nostalgia ni idealización, en la simple mantención dinámica de lo que había sido iniciado en tiempos de subyugación. Las prácticas musicales y coreográficas de los esclavos de los años 1840 a los años 1860 constituyeron así un stock memorial al que se pudo ampliamente recurrir a partir de los años 1950 en el marco de una renovación del jazz y de las luchas por los derechos cívicos llevadas a cabo por los afro-estadunidense. Este texto propõe um estudo preliminar das informações sobre as músicas e as danças praticadas pelos escravos afro-estadunidenses nas entrevistas realizadas – mais de 2000, recolhidas entre 1936 e 1938 – durante o New Deal de Franklin Delanoe Roosevelt pelos investigadores do Federal Writers’ Project da Works Progress Administration. Apresentamos as situações em que danças e músicas podiam ser praticadas assim como uma primeira análise dos repertórios cantados, das danças e dos instrumentos musicais referidos nestas entrevistas. Pretendemos destacar as dinâmicas de criação que se intensificaram depois da emancipação, resultando na invenção de novas músicas por Afro-Estadunidenses no século xx, assim como identificar os elementos de uma base memorial a que recorreram músicos e militantes dos direitos cívicos nos anos 1950 e 1960. Nestas entrevistas, antigos escravos tiveram a oportunidade de evocar suas vidas, suas atividades e suas atitudes perante a escravidão. Apesar dos muitos defeitos do recolhimento desses relatos (investigadores sem formação sociológica ou antropológica, brancos na sua maioria enquanto o racismo era omnipresente nos Estados em que foram recolhidos), eles constituem uma fonte de informação valiosa sobre as experiências e os sentimentos dos escravos, em particular no que diz respeito as suas práticas culturais durante as últimas décadas, antes da abolição da escravidão. Eles evocam muitas vezes os momentos em que era possível fazer música, profana ou sagrada, e dançar; os repertórios que praticavam; os instrumentos que tocavam. Esses textos, dos quais muitos estão agora disponíveis na Internet, mostram que a música e a dança eram atividades indispensáveis para sobreviver num contexto de violência absoluta e de desumanização. Partindo de um recenseamento das passagens de entrevistas em que são referidas essas atividades, este artigo considera as relações senhores-escravos — variando segundo o lugar, de uma brutalidade sádica em alguns casos até um paternalismo relativamente tolerante em outros — e as estratégias de apropriação de elementos das culturas europeias ou ameríndias desenvolvidas pelos escravos. Sugerimos que essas estratégias, no quadro destas relações, analisadas na perspectiva da teoria da crioulização elaborada pelo poeta e filósofo Edouard Glissant, movimentaram « aberturas imprevisíveis » a partir das quais se desenvolveram dinâmicas de criação. Estas irão florescer depois da abolição, resultando no aparecimento de músicas originais no século xx. Apesar do « esquecimento » da escravidão, e das músicas que foram então inventadas, envolvendo uma parte da população afro-estadunidense na primeira metade do século xx e influenciando as pesquisas sobre as culturas afro-estadunidense, uma memória prática, nomeadamente no canto religioso, continuou a florescer, sem nostalgia nem idealização, mantendo dinâmico o que tinha sido iniciado no tempo da submissão. As práticas musicais e coreográficas dos escravos dos anos 1840 até 1860 constituíram assim uma base memorial que foi bastante investida a partir dos anos 1950 no quadro da renovação do jazz e das lutas pelos direitos cívicos levadas a cabo pelos Afro-Estadunidenses.

Details

Language :
French
Database :
OpenAIRE
Accession number :
edsair.openedition...b0da4975bebd91f6700f90394b3e8514