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Chapitre 12. Épilogue
- Publication Year :
- 2022
- Publisher :
- Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2022.
-
Abstract
- Sur des bases tangibles, l’histoire de cet établissement a été restituée et replacée au sein de son territoire. On pourrait s’arrêter là. Certaines hypothèses, certes plus fragiles, méritent néanmoins d’être émises, au regard des abondantes données recueillies sur l’habitat gaulois.Les grandes phases identifiées à Paule s’inscrivent dans l’évolution générale observée dans l’Ouest. Sa fondation s’effectue lors d’un premier essor d’exploitations agricoles plus ou moins vastes, distantes de plus de 1 km les unes des autres qui prennent, de fait sinon de droit, possession de vastes terroirs pour les exploiter et les bonifier des siècles durant. Ce nouveau rapport à la terre apparaît à un moment de réchauffement du climat, aux vie et ve s. av. J.-C., mais aussi de développement de l’outillage en fer et de techniques culturales plus performantes qui permettent d’améliorer les finages par un travail constant, et d’abandonner la pratique antérieure qui consistait à déplacer les exploitations quand les terres étaient épuisées. En Bretagne, la production agricole est stockée dans des fermes où la part de l’élevage semble importante, avec un accès facile aux ruisseaux et des enclos dévolus au bétail. Le ive s. est marqué par la stagnation –comme à Paule– ou plus souvent l’abandon de ces exploitations. Le phénomène est moins marqué en Bretagne que dans d’autres régions, peut-être parce que le climat océanique a atténué le refroidissement.Les phases suivantes de Paule s’inscrivent dans un essor renouvelé de l’habitat dispersé, qui débute au iiie s. et s’accentue fortement durant le iie s., par « bourgeonnement » autour des exploitations les plus anciennes, peut-être du fait du morcellement des premiers terroirs au fil des héritages [fig. 334]. Durant cette période d’amélioration climatique, un nouveau système agraire se met en place, avec un réseau de plus en plus dense de fermes environnées de parcelles et reliées par des chemins et les solidarités familiales. La période est marquée, en Italie romaine, par d’importantes réformes agraires, qui traduisent un phénomène semblable d’appropriation de la terre, générateur de tensions sociales.Le réseau d’habitats dispersés observé dans l’Ouest semble polarisé autour de gués ou de carrefours où s’implantent, dès le iiie s. av. J.-C. des résidences majeures qui, la fouille de Paule l’a montré, ont abrité des familles aristocratiques. Durant le iie et ier s., des agglomérations dont la superficie va de quelques hectares à plusieurs dizaines d’hectares (135 pour la plus vaste actuellement connue) s’y développent ou sont créées ex nihilo. Certaines sont fortifiées, d’autres non. Si l’artisanat y est présent, on y trouve également de vastes entrepôts c’est le cas à Paule –ou des ensembles de greniers abritant les surplus agricoles. Les édifices composés de trois ou quatre corps de bâtiment récemment découverts en Gaule, près de résidences aristocratiques ou dans des villes fortifiées, s’apparentent par leur plan et leurs dimensions aux macella romains contemporains [fig. 335]. Il pourrait s’agir de marchés implantés le long des voies majeures et aux nœuds du réseau, à des distances compatibles avec l’acheminement des denrées ou du bétail, qui permettaient aux fermes des alentours d’écouler leurs surplus [fig. 336].Paule l’a montré : l’aristocratie contrôle ces dispositifs de stockage et d’échange, ainsi que la surveillance et l’entretien du réseau viaire. L’étude des habitats ruraux effectuée dans le chapitre précédent montre que ceux des groupes 2 et 3, soit 4,9 % du corpus, peuvent être attribués à une élite composée des druides et des chevaliers [fig. 338]. Les textes confirment cette proportion de l’aristocratie dans la société [fig. 339]. L’ordre des equites émerge dès le iiie s. av. J.-C. Il s’inscrit dans l’essor d’une aristocratie foncière qu’impose l’évolution des techniques de combat et la nécessité, pour les notables, de disposer de domaines suffisants afin de se doter des montures et de l’armement nécessaire [fig. 337]. La part de la noblesse, c’est-à-dire la haute aristocratie exerçant la magistrature et le commandement, est évaluée à 1 ou 2 % de la société : quelques centaines de chefs de famille dans chaque cité, qui prennent les décisions au sein d’assemblées [fig. 340]. Certaines caractéristiques du site de Paule permettent de l’interpréter comme une résidence noble : le caractère presque immémorial de cet habitat, occupé durant plus de cinq siècles ; les signes de l’importance attribuée au souvenir des défunts, qui se traduit par la construction de deux nécropoles familiales, par l’exposition de bustes des ancêtres les plus remarquables, notamment celui d’un barde ayant œuvré à la mémoire et au prestige du lignage, et par la construction d’un sanctuaire doté de monuments pérennisant, plusieurs siècles après l’abandon de l’habitat, la mémoire de ces ancêtres, comme à Saint-Herblain / Les Pellières, en Loire-Atlantique [fig. 341]. L’abondance des restes de banquets retrouvés à Paule est également caractéristique du mode de vie noble, tout comme l’importance des défenses qui traduit la contribution de cet habitat à la sécurité de la cité en temps de paix, et à sa défense en temps de guerre. Le lieu d’assemblée édifié durant la phase 5 atteste une fonction communautaire du site, bien au-delà de la famille qui y résidait. Cela n’en fait pas pour autant un chef-lieu de pagus, ces « pays » disposant d’un certaine autonomie politique et religieuse et réunis par synœcisme pour former la cité, à la manière des petites têtes (les pagi ?) qui, sur les monnaies armoricaines, sont reliées par des cordons à une tête plus imposante (la cité ?) [fig. 342]. Chez les Osismes, d’autres sites, plus vastes, apparaissent comme de meilleurs candidats. Le bandeau qui ceint le front des quatre statues de Paule rappelle celui que porte Dumnorix sur une monnaie éduenne [fig. 343]. Il pourrait constituer l’attribut d’une magistrature exercée par ces personnages au sein de leur cité. L’accumulation de ces signes, à Paule, permet donc d’interpréter avec certitude ce site comme la résidence d’un important lignage de la noblesse osisme.Quel a été le devenir de ces sites, une fois la Gaule conquise par César ? La plupart semblent abandonnés quelques décennies après le conflit, sans pour autant subir de destructions. Leur valeur stratégique était sans commune mesure avec celle des chefs-lieux de cité ou de pagus, plus vastes et dotés de défenses imposantes. Ce type de résidence, qui signait autrefois la réussite du notable, était devenu obsolète avec la réorganisation des territoires initiée par Auguste.Mieux valait désormais afficher son statut dans une demeure à l’architecture inspirée de l’Italie romaine au sein de l’agglomération désignée ou fondée comme capitale de la cité. Les plus anciennes monnaies enfouies dans le lieu de culte édifié à Paule traduisent peut-être, avec le double visage de Janus tourné à la fois vers le passé et l’avenir [fig. 344], cette ambivalence de la noblesse gauloise d’extraction, qui célèbre par des cérémonies, des rites et des monuments désormais inspirés par Rome la profondeur généalogique de son lignage. Based on tangible evidence, researchers have been able to replace the history of this establishment within the context of its region, and we could stop there. Some of the more fragile hypotheses merit discussion, nevertheless, considering the abundant data collected at this Gallic settlement.The main phases identified at Paule correspond to the general evolution observed in the West. The settlement was founded during an early development of large agricultural establishments situated more than 1 km from each other, thus taking, in fact if not by right, possession of vast lands to exploit and enhance them over centuries. This new relationship with the land emerged at a time of climatic warming during the 6th and 5th c. BC, as well as during the development of iron tools and more efficient cultivation techniques that improved the land quality through constant work, replacing the former practice of moving the exploitations when the land was exhausted. In Brittany, agricultural products were stored at farms where animal breeding appears to have been a major activity, and which had easy access to streams and enclosures devoted to the livestock. The 4th c. was marked by the stagnation—as at Paule—or often, the abandonment, of these farms.This phenomenon was less prevalent in Brittany than in other regions because the oceanic climate mitigated the cooling. The next phases at Paule took part in a renewed trend of dispersed settlements, beginning in the 3rd c. and strongly accentuated during the 2nd c. when these new establishments “bloomed” around the earlier ones, perhaps due to the fractioning of the first lands by successive inheritances [fig. 334]. During this period of climatic improvement, a new agrarian system was developed, with a dense network of farms surrounded by parcels and connected by roads and family solidarities. In Roman Italy, the period was marked by major agrarian reforms, reflecting a phenomenon similar to the appropriation of lands, and thus generating social tensions. The network of settlements observed in the West seemed to gravitate around fords or intersections at which, in the 3rd c. BC, major residences were built and housed, as shown by the excavation at Paule, aristocratic families. During the 2nd and 1st c., agglomerations whose surface area ranges from a few to a several dozen hectares (135 for the largest one currently known) grew or were created ex nihilo. Some were fortified, others not. While artisanal activities were present, we also find vast storehouses—as at Paule—or groups of lofts that held agricultural surpluses. The edifices composed of three or four buildings recently in Gaul, near aristocratic residences or in fortified villages, are similar in their plan and dimensions to the contemporary Roman macella [fig. 335]. These could be markets installed along the major roads and at the junctions of road networks, at distances compatible with the transportation of food and livestock, which would have enabled the nearby farms to sell their surplus [fig. 336].The site of Paule showed that the aristocracy controlled the storage and exchange mechanisms, as well as the supervision and maintenance of the road system. The study of rural settlements discussed in the preceding chapter shows that those of groups 2 and 3, equaling 4.9 % of the corpus, can be attributed to an elite composed of druids and knights [fig. 338]. Texts confirm this proportion of aristocracy in the society [fig. 339]. The order of the equites emerged in the 3rd c. BC. It was part of the development of a landowning aristocracy that imposed changes in combat techniques and the need, for the high-ranking citizens, to possess domains large enough to be equipped with the necessary mounts and weapons [fig. 337]. The proportion of nobles, meaning the high aristocracy that performed judiciary and commanding duties, is evaluated at 1 to 2 % of the society: a few hundred family heads in each city, who make decisions within the assemblies [fig. 340].Some features of the site of Paule permit its interpretation as a residence for nobles: the nearly immemorial nature of the settlement, occupied during more than five centuries; the importance attributed to the deceased, shown by the construction of two family necropolises, the display of busts of the most remarkable ancestors, notably that of a bard who contributed to the memory and prestige of the lineage, and by the construction of a sanctuary accompanied by monuments that preserved, several centuries after the settlement was abandoned, the memory of its ancestors, like at Saint-Herblain / Les Pellières in Loire-Atlantique [fig. 341]. The abundance of banquet remains fount at Paule is also typical of the noble way of life, as are the significant defense mechanisms reflecting the contribution of this settlement to the security of this city in peaceful times and to its defense during war times.The assembly site constructed during Phase 5 attests to the community function of the site, well beyond the family residing there. This, nonetheless, does not make it the capital of a pagus, these “countries” benefiting from a certain political and religious autonomy and united by synoecism to form the city, in the manner of the small heads (the pagi?) which, on the Armorican coins, are linked by cords to a larger head (the city?) [fig.342]. Among the Osismii, other larger sites seem to be better candidates. The band across the front of several statues at Paule recalls that worn by Dumnorix on an Aedui coin [fig. 343]. It could constitute the attribute of a magistracy exercised by these figures within their city. The accumulation of these signs at Paule thus permits a definitive interpretation of this site as the residence of an important lineage of the Osismii nobility. What was the future of these sites once they were conquered by Caesar? Most of them seem to have been abandoned a few decades after the battle, though they were not destroyed. Their strategic value was small compared to that of the city or pagus capitals, which were larger and equipped with more imposing defense mechanisms. This type of residence, which formerly represented the success of a noble, became obsolete after the reorganization of the territories initiated by Augustus. It then became more advantageous to display one’s status in a residence whose architecture was inspired by Roman Italy, and within an agglomeration designated or founded as the capital of the city. The oldest coins buried in the place of worship edified at Paule perhaps reflect, with the double face of Janus turned toward both the past and future [fig. 344], this ambivalence of the Gallic nobility, which celebrated, via ceremonies, rituals and monuments henceforth inspired by Rome, the genealogical depth of its lineage.
Details
- Language :
- French
- Database :
- OpenAIRE
- Accession number :
- edsair.openedition...2756ece6e9e9edc450a562d2b049fac7