Être ethnologue au Yunnan

En Chine, pays marqué par de profonds bouleversements socio-économiques au cours des trois dernières décennies, un champ d’étude extrêmement diversifié, captivant et complexe s’offre à l’analyse. C’est de mon propre cheminement analytique qu’il est ici question, au regard des changements que j’observe depuis 1998, liés à la province du Yunnan en particulier. Je dresse tout d’abord le tableau des principales métamorphoses vécues par une minorité locale : la branche sani de la nationalité yi, localisée dans le district de la Forêt de pierre. Je discute ensuite — en filigrane dans un premier temps, puis plus centralement — de la pratique ethnographique et de la conceptualisation en anthropologie. Le parcours intellectuel de l’ethnologue repose sur les relations tissées avec ses informateurs, lesquelles se transforment elles-aussi au gré et en miroir des terrains, et conditionnent sa compréhension des logiques de pensée en jeu dans ce qu’il ou elle observe. J’interroge ainsi la relation ethnographique « en mouvement » comme condition de possibilité de l’anthropologie, et les ambiguïtés qu’une telle « mise en lien » suppose. Je propose par ailleurs de réfléchir sur le « sens » qui émerge de l’observation au regard des changements sociaux : son appréhension et le décentrement qu’il impose. In China, a country marked by deep socioeconomic upheavals over the past three decades, an extremely diversified, captivating and complex field of study offers itself for analysis. Here I look at my own analytical development, in light of the changes I have been observing since 1998, linked to Yunnan province in particular. I begin by setting the scene of the main metamorphoses experienced by a local minority: the Sani branch of the Yi nationality, located in the Stone Forest. Then I discuss—implicitly at first, then more centrally—ethnographic practice and conceptualisation in anthropology. The ethnologist’s intellectual journey is based on relations established with their informants, relations that also undergo change, influenced by the fieldwork or mirroring it, and conditioning the ethnologist’s understanding of the thought logic at play in what they observe. Thus I examine the ethnographic relationship “in motion” as a condition of the possibility of anthropology, and the ambiguities that this kind of “connection” implies. I also reflect on the “meaning” that emerges from observation in light of social changes: its understanding and the decentring it imposes.