Normativité du sacré ou sacralisation de la norme ? Le débat sur les origines religieuses du droit chez H. S. Maine et N.D. Fustel de Coulanges

International audience; Science comparée du droit et science comparée des religions se rencontrent au moment du premier grand essor des sciences humaines, dans la seconde moitié du XIXe siècle. La place occupée par les prescriptions religieuses dans les lois des peuples anciens oriente alors naturellement les savants de l’époque vers l’hypothèse d’une origine religieuse du droit. Deux ouvrages fondateurs de l’anthropologie juridique imposent particulièrement ce questionnement dans la discussion scientifique : Ancient Law de H. S. Maine et La Cité antique de N.-D. Fustel de Coulanges. L’étude des thèses de ces deux auteurs révèle pourtant des points de vue inconciliables. Alors que Maine défend l’idée d’un simple entremêlement du droit et de la religion dans les sociétés anciennes, et même d’une captation primitive du droit par la religion – autrement dit, une sacralisation de la norme –, Fustel affirme que le droit des cités antiques a été directement engendré par leurs croyances religieuses – autrement dit, une normativité du sacré. La position défendue par Maine paraît a priori plus solide d’un point de vue empirique. Pourtant, la thèse de Fustel peut être utilement reformulée pourvu que l’on prête attention à sa méthode historique. Il apparaît que pour lui les croyances des Grecs et des Romains ne se donnent pas directement à l’historien mais doivent faire l’objet d’une reconstruction à partir des rites religieux et des pratiques juridiques. Autrement dit, l’idée d’un engendrement du droit par la religion défendue par Fustel est en réalité la présentation simplifiée de la reconstruction d’un système de croyances cohérent, sous-jacent à la fois aux rites religieux et aux pratiques juridiques. L’oeuvre de Fustel reste donc plus utile que celle de Maine pour le projet spécifique d’une anthropologie croisée du droit et de la religion.