Il y a 10 000 ans, sur les rives du fleuve Uruguay, dans le Sud du Brésil

On imagine volontiers les premiers pionniers préhistoriques des grands espaces de l’Est du continent Sud-américain (dits «Basses Terres» en opposition avec la cordillère des Andes, à l’Ouest) comme des chasseurs hors pair, à l’image des populations de la fin du Paléolithique européen ou des Paléoindiens nord-américains. Des chasseurs qui auraient prospéré, profitant d’une faune foisonnante et encore peu consciente des périls de la cohabitation avec Homo sapiens. Les avancées des études récentes montrent que, si la chasse n’a jamais été délaissée, les interactions avec le monde végétal ont fourni très tôt des ressources pour ces populations au moins tout aussi importantes que les apports carnés. De l’Amazonie au Sud du Brésil, une gestion de la forêt a été pratiquée, consistant à favoriser la concentration et le développement préférentiel de certaines espèces, sans nécessité d’une véritable domestication (Bush et al. 2016 ; Maezumi et al. 2018 ; Odonne et al. 2019 ; Pereira Cruz et al. 2020 ; Shock & Moraes 2019). Les vastes bassins hydrographiques, dominés par des fleuves aux dimensions considérables, constituent une autre spécificité de ces Basses Terres. Les deux principaux systèmes fluviaux sont celui de l’Amazone et celui du trio du Rio de La Plata (Paraná - Paraguay - Uruguay). Ces immenses cours d’eau sont considérés comme des axes privilégiés ayant permis l’exploration rapide de l’intérieur du continent et des circulations à longue distance (Bueno et al. 2013 ; Bueno & Dias 2015). En lien avec ce milieu et ce contexte de déplacement, la pêche constitue un moyen de subsistance complémentaire de la chasse et la cueillette. Peu évoquée pour les périodes antérieures à l’Holocène moyen, sans doute du fait de sa moindre visibilité dans les enregistrements archéologiques, la pêche est pourtant en théorie une solution idéale dans la situation des premiers pionniers de ces régions. Elle est inféodée à ces voies d’accès préférentielles que constituaient les fleuves. En outre, en contexte exploratoire, elle ne nécessite pas d’adaptation majeure tout au long de ces cours d’eau, sur des centaines de kilomètres, alors même que les environnements alentours peuvent varier considérablement, de même que les ressources comestibles qu’ils renferment. De l’embouchure d’un fleuve à sa haute vallée, un pêcheur pourra obtenir un surubí tigré (Pseudoplatystoma corruscans) ou un dourado (Salminus brasiliensis) selon les mêmes moyens techniques, alors qu’il aura dû adapter ses méthodes de chasse aux différents gibiers et contextes rencontrés le long du fleuve, entre par exemple, la mangrove, la forêt tropicale et les zones de savane. Et ceci sans parler des fruits, graines et autres végétaux, dont la consommation dans des écosystèmes encore inconnus peut s’apparenter à un jeu de roulette russe. Nous présentons ici les témoins d’occupations préhistoriques des débuts de l’Holocène trouvés dans la région de Foz do Chapecó, sur les berges du fleuve Uruguay, dans le sud du Brésil. Ils ont été découverts au cours d’un projet de recherches intitulé Les premières occupations de la haute vallée du fleuve Uruguay, en cours depuis 2013 dans le cadre du programme franco-brésilien sur les peuplements préhistoriques du Sud du Brésil.