La notion moderne de frontière renvoie tout à la fois à celle de limite administrative entre deux États et à celle de frontière militaire. Aucune frontière antique ne devrait mieux répondre à cette double attente que celle qui sépare l’empire romain de l’empire parthe, les deux grands États belligérants du début de notre ère. Idéalement située sur l’Euphrate, la frontière séparerait Romains et Parthes selon le modèle moderne des frontières naturelles. Or, aucun auteur ancien n’évoque de frontière bien délimitée entre Rome et le barbaricum ce qui invite à s’interroger sur les concepts, donc les mots, du vocabulaire antique que recouvre notre notion de frontière. Dans le vocabulaire administratif, les limites territoriales, les fines, séparent les provinces et les royaumes clients, comme en attestent les bornes épigraphiques. Le terme n’est jamais utilisé pour désigner les limites de l’empire romain, si ce n’est que pour rappeler que Rome est un imperium sine fine. De manière symptomatique, on ne dispose d’aucune borne marquant la limite de l’Empire. Il faut reconnaître qu’une limite administrative ne vaut que par consensus entre riverains, ce que rien ne laisse supposer dans les relations entre Rome et les Arsacides. Ces relations étant le plus souvent hostiles, on peut s’intéresser au versant militaire de la frontière, ce front qui doit marquer les zones de conflits entre les deux empires. La notion renvoie toutefois à la guerre moderne et on lui substitue souvent le terme latin de limes, compris comme une ligne défensive. Le terme désigne en réalité une route tracée par l’armée afin de pouvoir patrouiller un secteur, éventuellement situé en territoire ennemi. On cherche donc volontiers, dans le limes romain, un système défensif qu’il n’est pas. Du reste, le Mur d’Hadrien, frontière fortifiée par excellence, n’est jamais appelé limes, mais toujours vallum. À défaut de frontières administratives ou de fronts fortifiés, les grands fleuves servent à l’Empire romain de limites géographiques. Le Rhin, le Danube et l’Euphrate permettent de tracer facilement les contours du territoire romain. Ici aussi, le vocabulaire latin est trompeur. Chez les auteurs antiques, la rive du fleuve, la ripa, a la même valeur que le limes. Or si celui-ci est une route et non une barrière, la ripa n’est pas un obstacle, mais une voie de communication. Sa valeur militaire vient précisément de son utilité logistique. L’étude du vocabulaire latin met en avant les conceptions romaines de la frontière, donc de l’Empire. Les Romains s’intéressent plus aux voies de communication qu’à la frontière linéaire d’un territoire qu’ils ne perçoivent pas comme romain, mais comme placé sous le pouvoir, l’imperium, de Rome. La variété de mots latins qui servent à désigner la frontière prouve que cette notion moderne recouvre des réalités variées (frontière politique, administrative, culturelle) qui ne sont pas indissociables. The modern border is both an administrative and a military limit between states. No ancient border should more reflect that double meaning than the border between Rome and the Arsacid empire, the two great rival states of the first centuries A.D. Ideally located on the Euphrates, this border would then delimit the Roman and Parthian territories in accordance with the modern model of the so-called “natural borders”. The fact that the Ancient writers never described such a neatly defined border between Rome and the barbaricum prompts us to study the exact words and ideas they used to think about the limits between their empire and the neighboring kingdoms. In the Latin vocabulary of the Roman administration, the land limits, the fines, separated provinces and client kingdoms, as the engraved milliaria do attest. The word was never used to designate the limits of the Empire itself, except to reiterate the fact that Rome was an imperium sine fine. One must keep in mind, thought, that such an administrative border is usually the result of a mutual agreement. An agreement that Romans and Parthians never actually reached. Because the two empires were at war more often than not, the border between them must have been less an administrative limit than a military front. That very notion, however, is born of modern warfare and we tend to use the Latin word limes in its stead. Although the limes is often understood as a linear defense system, the actual meaning of the word was that of a military road used to patrol a land that may or may not be enemy territory. Being neither an administrative limit nor a fortified military front, the border of the Roman empire could be linked to its great rivers, such as the Rhine, the Danube and the Euphrates. In Latin, the word for shore, ripa, tended to have the same meaning as the word limes. Exactly like the later was a road and not a wall, the former was a waterway and not an obstacle. Its military value precisely came from its logistical use. The study of the Latin vocabulary gives us an indication about what the border was to the Romans and, by extension, what the Empire was. The Romans were more interested in the roads that let them cross a land, friendly or otherwise, than in the linear limits of their territory. The variety and versatility of the Latin vocabulary used to designate what we call a border shows that the modern notion encompasses many realities (politics, administration, culture, etc.) which were not linked in the mind of the Ancients.