Dans un contexte où le vieillissement de la population des pays développés se conjugue aux politiques de réduction de la dépense publique, le prêt à hypothèque inversée spécialement conçu pour les propriétaires âgés de 62 ans et plus, tend à devenir un levier des politiques sociales et patrimoniales conçues pour faire face au surcoût de l’allongement de la vie. Ce « produit financier » introduit par les établissements bancaires privés, qui autorise les propriétaires âgés à emprunter, contre l’hypothèque d’une partie de leur logement, une somme d’argent qu’ils n’auront pas à rembourser mais qui sera déduite du patrimoine venant à succession, fait l’objet d’incitations gouvernementales plus ou moins directes selon les systèmes de santé et de retraites des pays concernés. Le prêt à hypothèque dite « inversée », car à capital décroissant et à dette croissante ‑ contrairement aux prêts hypothécaires classiques à capital croissant et à dette décroissante ‑ est en effet censé permettre aux propriétaires âgés de vieillir chez eux, tout en assumant les dépenses de leurs vieux jours. Il s’agira ici d’interroger, par-delà la diversité des contextes nationaux dans lesquels ces prêts commencent à se déployer, les conditions sociopolitiques de leur émergence, les logiques sous-jacentes de leur conception et de leur mise sur le marché ainsi que leurs implications quant à la définition du logement, des rapports générationnels et de la vocation successorale – avec une mention spéciale pour les États-Unis où les « reverse mortgages » font l’objet d’une politique au niveau fédéral. Sur le plan théorique, on montrera également la liaison directe entre la conception des prêts à hypothèque inversée et l’hypothèse dite du « cycle de vie » qui circonscrit le comportement d’épargne des ménages à leur horizon de vie, compte non tenu de leur descendance et des motifs de transmission intergénérationnelle. On soulignera ensuite comment la propriété du logement, considérée comme un actif indûment muré dans la pierre et destiné à être reconverti en liquidité, est versé au pot des « produits » financiers spéculatifs par-delà une incompatibilité historique de longue durée. On montrera enfin que l’usage des prêts à hypothèque par les ménages acheteurs répond davantage à la nécessité de se maintenir à flot qu’à dégager des fonds supplémentaires pour faire face aux besoins de santé, et que leur achat vise plus à résoudre des problèmes de trésorerie qu’à anticiper les besoins du vieillissement. Plus qu’à la substitution programmée de la transmission intergénérationnelle au profit de l’autofinancement volontaire de la santé aux âges élevés, l’achat des prêts à hypothèque inversée correspondrait alors à l’acquiescement à un appauvrissement accru qui, dans certains cas, peut compromettre les choix de vie, et à une renonciation à transmettre qui, pour être « raisonnable », contrevient aux objectifs mêmes de l’accession à la propriété dont la transmission fait intégralement partie. L’analyse, étayée sur le dépouillement de la littérature technique, institutionnelle et scientifique relative à la diffusion des reverses mortgages dans les pays anglo-saxons, asiatiques et en France, s’appuie sur une réflexion historico-juridique sur le concept de logement, d’une part ; sur les résultats de nos enquêtes sur l’héritage et sa transmission en milieu urbain, d’autre part. Industrialised countries are confronted to a growing elderly population. At the same time, their governments enforce policies to cut public expenses. In this context, the reverse mortgage, especially designed for homeowners aged 62 years or more, is viewed as a promising leverage to face longevity’s increasing costs. Indeed, this “financial product” introduced by private banking companies allows ageing homeowners to borrow a certain amount of money through mortgaging part of their home, which is not to be paid back during their lifetime, but only after death. It is expected from these so called reverse mortgages ‑ for they are “rising debt-falling equity” loans, contrary to the “falling debt-rising equity” classical mortgages ‑ that elder homeowners may age at home while financing their old days. Governments urge more or less directly these market products owing to their own health and retirement policies. The questions addressed in this paper are the social and political conditions of their emergence, the logics underlying their design and market strategies, as well as their implications on the definition of housing, generation relationships and bequest strategies – with a special comment on the federal policy on reverse mortgages in the United States. From a theoretical point of view, we will underline how the reverse mortgages conception is linked with the life cycle hypothesis which circumscribes households’ saving strategies to their life span, while it disregards the wish to bequeath to descendants. Then, we shall see how housing property, viewed as unduly walled equity to be converted into liquidities, becomes open to the creative financial products market, despite historical guarantees traditionally tied to home. Finally, we intend to show that reverse mortgages buyers use them to meet ends more often than to supplement their income for health purposes; and that they buy reverse mortgages more often to face cash shortages than to anticipate old age needs. Consequently, old homeowners buying reverse mortgages do not seem to deliberately exchange their wish to bequeath for the capacity to assume their own health expenses. Rather, they assent to get impoverished, eventually at the expense of further life choices; they also give up their bequeathing wishes, while bequest was an integral part of their becoming homeowners. Our analysis rests on a review of the literature ‑ technical, official and academic – about the spread of reverse mortgages in Anglo-Saxon and Asian countries as well as in France. It is informed by a historical and juridical reflection on the concept of housing and also by the results of previous inquiries on inheritance and its transmission in urban society.