National audience; Encore peu explorés par la sociologie, les échecs entrepreneuriaux sont un terrain privilégié d’analyse des processus de naturalisation et de dénaturalisation de l’économique. Dans un contexte où l’entrepreneuriat a émergé comme une des nouvelles « causes » adoptées en réponse à une « crise », l’échec entrepreneurial offre une figure repoussoir, de conformation anormale. Cet envers présente l’intérêt d’interroger en miroir les enjeux et les limites sous-jacentes à la figure apologisée et positive de l’entrepreneur. Que peut-il apprendre de la « performance » ?On associe régulièrement les échecs entrepreneuriaux à leurs causes et en particulier à leur mesure et leur évaluation économiques. La prévalence de cette approche de la science économique, centrée sur la genèse financière, conduit à occulter les conséquences des échecs entrepreneuriaux. Un échec entrepreneurial constitue des effets socioéconomiques, institutionnels et individuels, méconnus et peu mobilisés par la recherche.Depuis 1985, en France, les évolutions du livre VI du Code de commerce offrent la possibilité de « rebondir » d’un échec entrepreneurial. Des procédures ont ainsi été mises en place pour permettre la sauvegarde de l’entreprise, le maintien de l’activité et de l’emploi et l’apurement de ses dettes.Dans cette perspective, nous proposons d’éclairer les façons dont se construit et s’organise le travail entrepreneurial aux fins de se redresser d’un échec. Quelles ressources sont mobilisées pour faire « rebondir » une activité ?L’étude des redressements judiciaires constitue une approche particulière des échecs entrepreneuriaux. Cette recherche, menée dans le cadre d’une thèse en cours en collaboration avec le Tribunal de commerce de Lyon, repose sur quatre méthodes de recherche : l’exploitation statistique d’une base de données informatique du Greffe allant de 1990 à 2014, 15 entretiens semi-directifs réalisés avec des juges de la Chambre des Procédures Collectives, des observations effectuées au cours d’une vingtaine d’audiences durant en moyenne trois heures ainsi que certaines séances de préparation d’audience avec les juges qui les présidaient et un travail de suivi sur archives de deux cohortes.Notre analyse des données conduit à mettre en avant quatre formes de travail: justification, marchandisation, restructuration et innovation. Chacun de ces processus montre un travail de mobilisation et d’articulation de ressources relationnelles soit controversées et contraignantes, soit accordées et émancipatoires. Les redressements d’entreprises laissent apparaître différentes combinaisons possibles entre ces quatre formes de travail, auxquelles peuvent se rapporter l’issue d’un redressement. La « performance » se réalise alors au fil des interactions entre dirigeants, outils de gestion et acteurs institutionnels ; elle s’inscrit non plus comme une propriété individuelle et transcendante mais comme une production interactionnelle d’accords sociotechniques.Ces procédures de redressements représentent 8% des cessations de paiements déclarées au Tribunal de commerce de Lyon entre 2006 et 2014 et concerne une catégorie particulière d’entreprises. Les redressements judiciaires relèvent majoritairement d’entreprises à valeur ajoutée en fonction de leur secteur d’activité et de leur taille. Cette répartition distinctive et naturalisée nous amène à questionner notamment le lien avec la position sociale des dirigeants des entreprises concernées et plus largement, la place et le rôle de celle-ci dans la capacité à reconstruire de l’avenir entrepreneurial pour faire « rebondir » son activité d’un échec.AUDRETSCH D., 2006, « L’émergence de l’économie entrepreneuriale », Reflets et Perspectives, XLV, n°1, pp.43-70.COCHOY F. (dir.), 2012, Du lien marchand – comment le marché fait société, Presses Universitaires du Mirail.GROSSETTI M., BARTHES J.-F., 2008, «Dynamique des réseaux interpersonnels et des organisations dans les créations d’entreprises », Revue Française de Sociologie, n°49, vol.3, pp.585-612.FRANÇOIS P., 2008, Sociologie des marchés, Armand Colin.GIRAUDEAU M., 2010, La fabrique de l’avenir. Une sociologie historique des business plans,Thèse de doctorat de sociologie, Université de Toulouse-II.KRAUSS G., 2009, « Les jeunes entreprises pionnières face à l’incertitude : la constructionsociale de l’échec », Revue Française de Socio-Economie, n°3, pp.169-186. LATOUR B., 1992, Aramis ou l’amour des techniques, La Découverte.MARCO L., 1989, « Faillites et crises économiques en France au XIXème siècle », Annales. Economies, Sociétés, Civilisations, vol.44, n°2, pp.355-378.STEINER P., VATIN F., 2013, Traité de sociologie économique, Presses Universitaires de France.VERIN H., 2011, Entrepreneurs, entreprise – Histoire d’une idée, Paris, Classiques Garnier.ZALIO P.-P., 2004, « L’entreprise, l’entrepreneur et les sociologues », Entreprises et histoire, n°35, pp.16-30.