Il y a longtemps Alain de Lille affirmait que les gestes et les expressions faciales des émotions étaient des fenêtres ouvertes sur la « disposition intérieure » d’une personne, tandis que de nos jours Paul Ekman soutient que certaines expressions faciales constituent des « émotions basiques ». Cependant, comme cet article le montre, en réalité le lien entre le corps et les émotions est (et demeure) extrêmement divers. L’article aborde les émotions dans le contexte des « communautés émotionnelles » – des groupes sociaux à l’intérieur desquels les individus sont animés par des intérêts, des valeurs et des styles émotionnels communs ou semblables. Les communautés émotionnelles intègrent (ou n’intègrent pas) le corps dans l’expression de l’émotion de différentes manières. Ce constat est illustré par trois exemples médiévaux. À la cour mérovingienne de Neustrie au viie siècle, les émotions étaient rarement incarnées. Au contraire, pour Thomas d’Aquin et ses disciples au xiiie siècle, les émotions étaient explicitement associées au corps et aux changements somatiques. Mais cependant, pour ce groupe de dominicains, les émotions pouvaient, si elles étaient orientées de façon appropriée, transcender le corps. Enfin, Margery Kempe et ses semblables usaient de leur corps en manifestant leurs émotions de façon dramatique, par des hurlements, des larmes ou des contorsions de douleur. L’article se clôt en suggérant que ces variations dans les modalités d’incorporation permettent de questionner la conception d’émotions « universelles ». Alain de Lille long ago proclaimed that gestures and facial expressions were windows onto a person’s « internal disposition », while today Paul Ekman claims that certain facial expressions represent « basic emotions ». However, as this paper argues, in fact the association between the body and emotion is (and remains) highly variable. The paper treats emotions within the context of « emotional communities » – social groups within which people are animated by common or similar interests, values, and emotional styles. Emotional communities have different ways of incorporating (or not) the body in emotional expression. This point is exemplified by three medieval examples. At the seventh-century Merovingian court in Neustria, emotions were rarely embodied. By contrast, for Thomas Aquinas and his disciples in the thirteenth century, emotions were clearly associated with the body and somatic changes. Even so, for this group of Dominicans, emotions could, if properly directed, transcend the body. Finally, Margery Kempe and others of her ilk employed their bodies in dramatic expressions of feeling via roars, tears, and writhing. The paper ends by suggesting that these variations in embodiment help challenge the view of « universal » emotions.