Touchart, Laurent, Centre d'Etudes pour le Développement des Territoires et l'Environnement (CEDETE), Université d'Orléans (UO), Barraqué B., Bley D., Boëtsch G., Masali M. & Rabino Masso E., and TOUCHART, Laurent
International audience; L’histoire de la limnologie, replacée dans l’évolution géopolitique mondiale, est présentée à travers le cas de deux lacs emblématiques, le Léman en tant que « lac de l’ouest », le Baïkal en tant que « lac de l’est ». Trois périodes se succèdent. La première, des origines jusque dans les années 1870, a d’abord vu ces deux lacs comme des marges : le Léman se trouvait aux confins de la civilisation gréco-romaine, le Baïkal aux limites de l’influence chinoise. Puis le Léman s’est retrouvé au cœur de l’Europe densément peuplée, cependant que le Baïkal devenait une nouvelle marche pionnière, celle de la conquête russe. Le premier fut alors étudié par de grands scientifiques locaux, comme Fatio de Duillier ou de Saussure, tandis que le second donnait lieu à des expéditions lointaines, surtout menées par des savants allemands, comme Pallas, travaillant pour le tsar. La deuxième période, de la fin du XIXème siècle à la Première Guerre Mondiale, fut courte mais riche. C’est au bord du Léman que le Suisse Forel inventa alors la limnologie pour être « une géographie des lacs » : elle devait être globale, tout autant explicative que descriptive, et étudier les relations réciproques entre les êtres vivants et les composantes du milieu. Le Léman était alors à la tête de la limnologie mondiale et certaines découvertes lémaniques dépassèrent alors celles réalisées en océanographie. Quant au Baïkal, il devint dès les années 1860 l’objet d’expéditions annuelles que lui consacrait la Société Impériale Russe de Géographie. Lieu de résidence de déportés polonais de grande valeur scientifique qui y travaillèrent en exil, il gardait cependant à certains égards sa situation de marge lointaine. Au tournant du siècle, la construction de la voie ferrée transsibérienne, qui, avant que le contournement du lac ne fût terminé, faisait passer le trafic par bateau à travers le plan d’eau, bouleversa les relations et provoqua l’éclosion de recherches scientifiques centrées sur l’élaboration d’une carte bathymétrique de grande précision, une tâche menée à bien par l’équipe de Driženko. La troisième période commence au début du XXème siècle, quand le Léman perd Forel et le centre de gravité des recherches suisses passe de Lausanne à Genève. Pendant ce temps, la création de la Station limnologique du Baïkal permet l’éclosion des travaux de l’un des plus grands limnologues de la planète, le Russe Vereščagin. Après la Seconde Guerre Mondiale, le contraste géographique s’accroît entre un Léman de plus en plus construit et urbanisé et un Baïkal pratiquement laissé à l’état de nature vierge malgré un front pionnier qui l’effleure à l’extrême sud et à l’extrême nord. A ces différences s’ajoute l’opposition entre les deux systèmes politiques et socioéconomiques, l’un, capitaliste, pour la France et la Suisse, l’autre, communiste, pour l’URSS. Les organismes de recherche du Léman, notamment à Thonon et à Versoix, ont une tradition de financement sur contrat, tandis que ceux du Baïkal dépendent des budgets alloués par l’Etat. Jusque dans les années 1980, les équipements de recherches baïkaliens ont été de taille océanographique, en particulier en termes de navires. Mais les restrictions budgétaires sont drastiques à la section de Sibérie orientale de l’Académie des Sciences Russe depuis le début des années 1990.