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Traduire le « Caffè » est difficile. Plus difficile que ne le laisse prévoir une première lecture. La difficulté ne provient pas d’une expression hermétique ou littérairement recherchée mais, paradoxalement, du souci même des rédacteurs d’écrire une langue moyenne, accessible au plus grand nombre. La fracassante – et humoristique – Rinunzia alla Crusca exprime l’aspiration à défossiliser et à moderniser la langue littéraire italienne, à la libérer des contraintes de l’académisme classique et ...

La buona compagnia La maggior parte degli uomini hanno un vero bisogno di passare il loro tempo più che possono nella compagnia di molti uomini, per tal modo che, qualora per circostanze particolari venga ciò loro impedito, gli vedi abbatuti [sic], tristi, desolati più che se loro qualche mal fisico fosse veramente accaduto. Osservo in oltre che a questi tali, punti da quest’artefatto bisogno, nemmeno il mal di capo, nemmen la febbre bastano a superare l’interna voce di questo, a meno che non...

Cos’è questo « Caffè » Cos’è questo Caffè ? È un foglio di stampa che si pubblicherà ogni dieci giomi. Cosa conterrà questo foglio di stampa ? Cose varie, cose disparatissime, cose inédite, cose fatte da diversi autori, cose tutte dirette alla pubblica utilità. Va bene : ma con quale stile saranno eglino scritti questi fogli ? Con ogni stile, che non annoi. E sin a qtiando fate voi conto di continuare quest’opera ? Insin a tanto che avranno spaccio. Se il pubblico si détermina a leggerli, noi...

Di Carneade e di Grozio […] Sono due le proposizioni di Carneade che irritarono l’animo di Grozio e di molti altri : il fondare il diritto sulla sola utilità e chiamar stoltezza ogni giustizia che rechi svantaggio. La espressione è giusto ciò ch’è utile ha fatta moltissima paura alla schiera degli scrittori di tali materie e scandalizza gli animi, perché lor sembra distrutta ogni idea morale, essendo permesso con tal principio qualsivoglia orribile delitto se torni a conto il commetterlo. Anz...

Quand le périodique milanais « Il Caffè » (1764-1766) commence à paraître, ses collaborateurs ont de l’écriture une expérience déjà certaine. Le comte Pietro Verri a depuis longtemps (dix ans auparavant) fait ses classes comme traducteur du théâtre de Destouches en compagnie de la duchesse Serbelloni ; en 1763 il a publié ses Meditazioni sulla felicità . Avec la Storia d’Italia, son frère Alessandro Verri est engagé dans une œuvre de longue haleine. Gian Rinaldo Carli s’est déjà rendu célèbre...

Les rédacteurs du Café : des philosophes-politiciens des Lumières qui ont participé à l’accouchement des démocraties occidentales contemporaines Dans les années 1760, un club au nom percutant d’« Académie des coups de poing » regroupe une poignée de jeunes Milanais intelligents et enthousiastes. Ils lisent Locke, Montesquieu, Voltaire, Rousseau, Diderot, Condillac, Helvétius, tout ce qui vient d’Angleterre et de France. Ils se passionnent pour la philosophie des Lumières, pour l’économie, pou...

Rinunzia avanti notaio degli autori del presente foglio periodico al Vocabolario della Crusca Cum sit che gli autori del Caffè siano estremamente portati a preferire le idee alle parole, ed essendo inimicissimi d’ogni laccio ingiusto che imporre si voglia all’onesta libertà de’ loro pensieri e della ragion loro, perciò sono venuti in parere di fare nelle forme solenne rinunzia alla pretesa purezza della toscana favella, e ciò per le seguenti ragioni. 1. Perché se Petrarca, se Dante, se Bocacc...

« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement/Et les mots pour le dire arrivent aisément. » Que Boileau, un des auteurs phares des lycées de la Troisième République, ait à peu près disparu des recueils de morceaux choisis de nos jours, atteste la perte de confiance dans sa célèbre maxime. De plus en plus, les écrivains éprouvent dans leur pratique que la forme n’est pas la disposition d’une invention qui lui préexisterait, mais qu’elle est elle-même créatrice. Dès lors, la recherche d’une dyna...

Benjamin Constant (1767-1830) Diverse jusqu’à paraître, parfois, incohérente, l’œuvre de Benjamin Constant est inséparable des circonstances, historiques et personnelles, qui ont sans aucun doute profondément influé sur elle : la Révolution et ses suites, pendant lesquelles Constant, théoricien mais joueur, espère concrétiser ses ambitions personnelles ; les femmes, qui ont occupé beaucoup de son temps et de ses préoccupations ; les influences intellectuelles exercées sur lui par le groupe de...

Dans sa célèbre Lettre du Voyant adressée, le 15 mai 1871, à Charles Demeny, Arthur Rimbaud prononce une vigoureuse oraison funèbre du romantisme : « Les premiers romantiques ont été voyants sans trop bien s’en rendre compte […] Lamartine est quelquefois voyant, mais étranglé par la forme vieille. – Hugo, trop cabochard […] Trop de Belmontet et de Lamennais, de Jehovahs et de colonnes, vieilles énormités crevées. Musset est quatorze fois exécrable pour nous… » La révolution rimbaldienne est i...

Les quarante années qui séparent les journées joyeuses de juillet 1830 et l’écrasement, sanglant et systématique, de la Commune constituent un moment indécis de l’Histoire. À bien des égards, ce milieu du siècle est marqué par de vastes progrès économiques, par de spectaculaires ruptures culturelles, par la naissance, violente et spasmodique, de la démocratie moderne. Le paysage change et la vie paraît se concentrer dans les villes, dont le temps est encore rythmé par les épidémies, les progr...

Chaque courant littéraire a ses poses, ses tics, ses modes vestimentaires : les romantiques, façon Chatterton, aiment à pencher mélancoliquement la tête ; Baudelaire met à la mode le frac de deuil pour afficher sa haine du siècle ; Flaubert se reconnaît dans « le vrai dandy », celui qui invente sa règle ; Barrés, Bourget, mais surtout Robert de Montesquieu, font eux figure de snobs, exhibant toute leur mondanité faussement aristocratique. La personnalité mythique de Brummel (1778-1840), « arb...

Alfred de Musset fut applaudi à dix-huit ans, pour ses jeux virtuoses des Contes d’Espagne et d’Italie, puis tenu à l’écart du clan romantique, une fois qu’on eut compris que son habileté cachait beaucoup d’impertinente désinvolture. Plus tard, sous le second Empire, ses grands poèmes d’amour devinrent des œuvres cultes pour la jeunesse des écoles, qui s’enivrait de leur éloquence flamboyante mais sincère. Mais cette assomption fut éphémère. En quelques formules méprisantes, Rimbaud liquide l...

À l’heure où l’on redécouvre le Moyen Âge, cette histoire de la littérature s’efforce de présenter une gamme d’œuvres aussi complète que possible, en tenant compte des découvertes effectuées par la critique moderne, et en dégageant la spécificité d’une période très longue, beaucoup plus riche et variée qu’on ne le croit généralement.

Poésie, théâtre et roman continuèrent sous la Révolution à manifester leur fécondité. Leur renouvellement se marque à la fois par l’introduction de nombreux thèmes neufs et, pour la forme, par des tentatives variables suivant les tempéraments des écrivains et suivant les genres ; c’est de ce foisonnement d’une inégale valeur que nous voudrions donner ici une idée. A. La poésie 1. Tradition et renouveau L’alliance de la poésie et de la musique dans l’organisation des fêtes révolutionnaires a c...

Le dynamisme Élans et affrontements Richelieu, Descartes, Corneille, Saint-Cyran, Surin, les grands hommes de cette époque sont des militants engagés dans une lutte pour la maîtrise politique, scientifique, psychique, exaltés par l’idéal qu’ils construisent. Outre les conflits qui peuvent les opposer (Richelieu finit par emprisonner Saint-Cyran), chacun, dans son domaine, suscite des résistances qui conduisent à de violents affrontements, surtout sur le plan de la politique, la forme la plus ...

Depuis plusieurs décennies, Je XXe siècle semble s’être annexé Flaubert pour y lire la préfiguration de ses doutes et de ses exigences à l’égard du roman – aussi de ce dont le roman était capable, une fois qu’il prenait ses distances vis-à-vis du je auctoral et du monde représenté. De fait, l’œuvre de Flaubert justifie cette entreprise moderniste et déconstructionniste. Quoique l’héritier, à bien des égards, de l’entreprise balzacienne, l’auteur de Madame Bovary est le premier romancier à for...

A. Saturation Ce sentiment est particulièrement vif en ce qui concerne les formes romanesques ; elles ont constitué l’essentiel de la littérature du xiiie siècle, elles ont pris une place gigantesque depuis leur apparition cent vingt ans plus tôt, elles ont à peu de choses près absorbé le genre plus ancien de la chanson de geste… et tout d’un coup, il semble que la belle époque est finie. Il ne s’agit pas simplement d’un temps d’arrêt avant une seconde floraison ; au total, il n’y aura pas de...

Comme on l’a souligné en introduction, cette partie consacrée aux principaux romantiques ne correspond nullement au désir d’ébaucher un quelconque palmarès, mais à la nécessité de faire place à tous ceux dont l’œuvre, s’élaborant de part et d’autre de 1830, pouvait également figurer dans notre première ou dans notre troisième partie. Nécessité fait loi ; elle a aussi ses vertus. La première est de donner l’occasion de rappeler que les grands auteurs du romantisme furent d’abord des « voix », ...

A. Amour et allégorie La caractéristique essentielle de la période de transition qui s’étend des années 1275 aux années 1315 est un développement presque incontrôlé des textes didactiques, consacrés à peu près à toutes les branches du savoir humain, mais plus particulièrement à l’« Art d’Amour », déjà brillamment illustré par le Roman de la Rose , mais apparemment perçu comme un sujet inépuisable. Les recueils de recettes, de conseils, de mises en garde, présentés en général sous une forme al...

A. Vue d’ensemble Son statut ne varie guère pendant tout le xviiie siècle jusqu’à l’explosion du journalisme politique en 1789. Comme l’écrit très justement F. Moureau, « l’État monarchique […] considère que chaque branche de l’actualité du savoir doit donner lieu à un unique périodique spécialisé, créé et protégé par un privilège : sciences (Journal des savants), information politique (Gazette), littérature (Mercure). Sur les bénéfices du Mercure sont prélevées des pensions versées à des écr...

A. L’art de la moralisation Alors que l’hagiographie sous forme narrative et non dramatique est nettement en perte de vitesse aux xive et xve siècles, l’historiographie connaît un essor sans précédent, qui aboutit à la naissance de l’histoire moderne avec Commynes à la fin du xve siècle. Cependant, les tendances nouvelles qui se font jour peu à peu dans les différentes chroniques de ce temps ne sont pas vraiment conformes à une conception moderne du document historique, fondé sur l’objectivit...

Vue d’ensemble Développement du genre Michel Raimond a montré, dans son ouvrage sur la crise du roman au lendemain du naturalisme, l’évolution de ce genre difficile à définir, au cours d’une période de forte interrogation : l’interrogation s’est poursuivie au-delà, et nous verrons que les problèmes posés au cours des années vingt donnaient à nouveau lieu à débat dans les années cinquante et soixante du xxe siècle. Au lendemain de la Grande Guerre, la vogue du roman est considérable. Certes un...

La première et la seule femme du siècle à avoir pleinement appartenu à la confrérie masculine des gendelettres, vivant largement de sa plume et jouissant d’une célébrité des plus enviables, a été, dès les années 1880, réduite, tant par la censure politique que par la censure morale, à un petit répertoire d’œuvres rustiques, essentiellement La Petite Fadette et La Mare au diable, recommandées pour une sagesse dont un peu d’attention montre qu’elles la contestent au contraire de part en part. P...

A. Pantagruel Qu’un humaniste qui se déclare disciple de Budé et d’Érasme, et doit déjà à son érudition médicale une certaine notoriété, publie sous un pseudonyme transparent un roman apparenté aux populaires Chroniques du grand et énorme géant Gargantua, cela peut surprendre. Rien n’interdit de supposer des causes occasionnelles : accès de verve, ou espoir de gain sur la vente d’un ouvrage à large diffusion. Mais expliquer ainsi la genèse du Pantagruel, ce serait refuser d’en voir le trait e...

Les œuvres qualifiées de classiques se distinguent par l’harmonie rationnelle d’une structure et d’un style bien maîtrisés. Mais cette appellation est d’une « faible pertinence scientifique » (R. Zuber). Elle valorise des modèles sans définir précisément leurs caractères, et la liste des œuvres « classiques » a varié au cours des âges (p. 239). Du début du xixe siècle au milieu du xxe, on étendait à tout le siècle, de Malherbe et Corneille à La Bruyère et Fénelon, malgré « attardés et égarés ...

A. Contacts avec l’étranger 1. L’Angleterre Paradoxe apparent : l’émigration la plus réactionnaire qui soit intensifie les relations avec un pays où les Philosophes puiseront des leçons de liberté. En effet, si les protestants français vont à Londres, la cour de Jacques II, après la révolution de 1688, se réfugie à Saint-Germain. Tous les membres de l’émigration jacobite n’ont pas l’étroitesse d’esprit de leur roi déchu. Dans cette émigration se développe une franc-maçonnerie catholique (le c...

Le Roman de la Rose emblématisé la — relative — décadence de la poésie lyrique par rapport d’une part aux formes narratives (l’expérience amoureuse du troubadour est en fait adaptée à une structure de récit), d’autre part au développement du didactisme allégorique (les différentes personnifications construisent une « somme » qui englobe non seulement l’amour mais le champ complet de l’expérience humaine). Cependant, la composition d’un texte, si important soit-il, ne signe pas la disparition ...

A. La réflexion sur les langues Elle est très vive en ce siècle, qui peine à élaborer une réflexion linguistique autonome, en raison des diverses préoccupations (politiques, philosophiques, religieuses, nationalistes) qui le traversent. Ce n’est que progressivement qu’il renoncera aux séductions de l’explication mythique pour se résoudre à une approche plus scientifique des faits de langage. 1. Le débat sur l’origine des langues Il n’est pas purement spéculatif, mais répond à une triple urgen...

Ce qui définit l’époque de Richelieu, Descartes, Saint-Cyran et Corneille, c’est son dynamisme militant. Mais, à terme, il y aura des vainqueurs et des vaincus. Et pour tous l’ordre construit dans l’exaltation se retournera en oppression : la discipline étouffera le dynamisme qui l’a imposée. Aux conquérants de 1630 succéderont les sujets de 1660. Ce renversement s’annonce dès les années trente quand les trois courants de l’ordre nouveau, politique, scientifique et religieux, s’affrontent mor...

Le débat qui se développe autour de la Belle Dame sans Mercy entérine en fait une évidence de plus en plus incontournable, à savoir que l’amour courtois est désormais impossible. Que ce soit par un simple phénomène d’épuisement, naturel après trois siècles d’exploitation de la même thématique, en raison du choc des circonstances historiques détournant l’intérêt du public vers des sujets plus immédiatement sérieux, voire tragiques, et rendant légèrement indécente la problématique de la mort d’...

Difficile d’aborder le monument « Victor Hugo » sans éprouver l’impression de Bonaparte au pied des pyramides : du sommet de cette œuvre, c’est un siècle qui nous contemple. Hugo est le poète national et populaire par excellence, celui pour qui la République a tout, exprès rouvert le Panthéon au culte des grands hommes, l’auteur de maintes récitations d’école primaire, le créateur de Cosette et de Jean Valjean, quelque chose, avec sa barbe blanche, comme le Dieu-le-Père de la laïcité. La ranç...

Quelle image faut-il garder de Vigny ? Celle du poète presque déjà mallarméen et consacrant son art rigoureux à l’expression de la pensée pure ou bien le portrait de l’homme réduit au silence, raidi par l’ennui et les insatisfactions personnelles, arc-bouté sur des positions aristocratiques et réactionnaires ? Les deux sans doute ; cette discordance confère aux textes une profondeur paradoxale, où chaque lecteur est libre de faire la part du génie et de la fragilité intime. Sort étrange, assu...

La production romanesque que nous allons envisager maintenant regroupe en effet quelques-unes des œuvres qui ont sans doute le plus marqué le xxe siècle : les unes accordent à l’individu une place majeure, tout en l’affrontant au monde. D’autres tendent au panorama, même si elles conservent comme fil directeur le regard et le destin d’un personnage. De grandes fresques font surgir des représentations plus collectives. Au-delà, des tentatives significatives sont faites pour que le public popul...

Grandeur et servitudes, simultanées et indissolublement mêlées, même si la désillusion de 1848 ajouta son goût de cendres à la déception ressentie par les gens de lettres dès le lendemain de 1830. Mais grandeur cependant : les auteurs, portés par la vague romantique, assistent au développement du débat politique, à l’essor de toutes les formes de savoirs et de curiosités intellectuelles, à l’engouement pour les arts et les pratiques culturelles. Au croisement de toutes ces influences, l’homme...

A. Une période de crise Ainsi défini, notre xviiie siècle, de 1699 à 1799, commence par une crise et finit par une autre. Ce qui n’est pas sans stimuler la réflexion des écrivains et, du moins en partie, leur créativité. Cependant, le parallèle entre la crise de la fin du règne de Louis XIV et celle de la Révolution, si exaltant soit-il pour la construction harmonieuse de notre livre, ne saurait être poursuivi sans quelque artifice. Malgré les graves problèmes que rencontre la royauté, les st...

Genre encore plus souple que le drame, puisqu’il n’a pas à tenir compte des contraintes d’une scène, le récit fictif est peut-être dans la deuxième moitié du xviiie siècle le lieu où se manifestent davantage les courants novateurs, dans une extrême diversité des registres et des formes, depuis le conte jusqu’au roman largement polyphonique. A. Les contes de Voltaire après 1750 Voltaire fait preuve, dans ses contes d’après 1750, d’une technique qui a été rodée de longue date, mais aussi d’une ...

On parle énormément et passionnément « littérature », au xixe siècle, bien plus et bien mieux qu’il n’en a jamais été parlé, avec la conviction que « la littérature est l’expression de la société » (selon un mot attribué à Bonald), mais aussi qu’elle est son avenir, le lieu où se déchiffre et s’élabore au quotidien l’entrée de l’humanité dans une ère nouvelle et définitive. Ce surinvestissement a trois raisons majeures. Une réaction : la nécessité pour ainsi dire physique de remplir le vide i...

A. La langue française 1. Qui parle français ? C’est peut-être la première question qu’il faudrait se poser. Déjà F. Brunot le soulignait : « Élaborée par une société aristocratique, soucieuse d’art ainsi que de clarté et de précision [la langue française] était devenue par ses qualités propres, et aussi grâce à de grands écrivains, puis à des penseurs originaux, la langue de l’aristocratie européenne. Toutefois, elle n’était pas encore la langue de toute la France ; le petit peuple de Paris ...

Cette réflexion va se développer dans un contexte particulièrement favorable. Les œuvres picturales, musicales, architecturales abondent en cette période ascendante du règne de Louis XV, et dès la Régence. Une relative euphorie économique, l’accession au mécénat d’une nouvelle classe sociale, celle des financiers, la multiplication des lieux d’activité créatrice (salons, salles de concert) peut, du moins partiellement, expliquer cette floraison. On ne saurait dissocier l’épanouissement de la ...

Molière à partir du « Misanthrope » « Le Misanthrope » (4 juin 1666 — 24 décembre 1666) Tartuffe traitait le problème de l’hypocrisie avec la structure manichéenne des comédies précédentes : d’un côté le fourbe et les naïfs qu’il subjugue, de l’autre les gens de bon sens, soutenus par le rire du public et par l’intervention du roi. Le Misanthrope est une mise en scène bien plus équilibrée des avantages et inconvénients de la sincérité aussi bien que de la flatterie, de la complaisance, de la ...

Depuis le romantisme et la fameuse préface de Hugo à Cromwell (1827), le théâtre français connaît la traversée du désert. Non pas à défaut d’œuvres, mais en raison d’un conservatisme de fond qui empêche le genre de se renouveler – il est de surcroît monopolisé par des notables littéraires : Dumas fils, Augier, Sardou, Labiche, Meilhac et Halévy, Gondinet, Pailleron, tous siègent à l’Académie. Ainsi, au carrefour des grands courants et quelquefois en marge de la littérature qui se fait (il n’e...

1913 fut une magnifique année littéraire et artistique ; 1914 bascule dans la catastrophe. Mais l’éclat de 1913 n’est déjà plus celui de la Belle Époque, d’un faste facile, insouciant ; les nouveautés littéraires et artistiques, pour être parfois animées d’un dynamisme ardent, résonnent aussi d’inquiétudes devant un monde qui craque et dans lequel se font entendre des voix fortes, critiques et discordantes, qu’il s’agisse du regard aigu que Proust porte sur une société qui s’éteint ou des app...

A. Diversité des témoignages Un des traits notables des Illustres Françaises est l’habileté avec laquelle le romancier manie le récit à la première personne. Nous verrons plus loin quel succès connut dans la première moitié du xviiie siècle le roman qui prend la forme de « pseudo-mémoires ». Mais à côté du registre romanesque se développe aussi en ce début du siècle toute une littérature de mémoires « vrais », même si une part de fiction s’y mêle presque toujours. Nous venons de voir en Chall...

L’âge héroïque croyait maîtriser la condition humaine : voici qu’elle échappe ; l’argent, l’absolutisme, un Dieu inaccessible nous asservissent. La recherche du profit et du plaisir remplace dévouement et générosité. L’optimisme humaniste s’inverse en anxiété, le libertinage se réduit en scepticisme hédoniste. Tout l’acquis devient « inutile et incertain » (Pascal, Pensées, S. 445). Il ne reste à l’homme qu’une « capacité […] vide », « qu’il essaie inutilement de remplir de tout ce qui l’envi...

A. Les romans antiques Les « romans antiques » proprement dits reprennent les grandes légendes de l’Antiquité : d’une part, avec le Roman de Thèbes, l’histoire de la famille d’Œdipe ; d’autre part, avec le Roman de Troie et l’Eneas, la guerre de Troie et la fondation de Rome. Chacune de ces trois œuvres a un modèle antique, plus précisément latin (il ne faut pas oublier que le grec est très peu pratiqué au Moyen Age, particulièrement au xiie siècle). Thèbes, le plus ancien, se veut une « tran...

Des années 1880 à la Première Guerre mondiale, Mallarmé est à la poésie ce que Zola est au roman : à la fois un mentor et une conscience du devenir de la littérature. Si le poète s’est de façon quasiment linguistique penché sur le statut du texte durant toute son œuvre tandis que le romancier a cherché à définir un nouvel âge romanesque digne de la République naissante, l’un et l’autre, se partageant deux secteurs d’avant-garde spécifiques et non concurrents, ont apporté une conception antith...

Les ambiguïtés d’une œuvre culte Aucun texte de la littérature française n’a peut-être donné lieu à d’aussi nombreuses et d’aussi diverses interprétations que les quelques œuvres de Charles Baudelaire. Surtout, pour nul autre l’écart ne paraît aussi immense entre l’impact initial d’un livre et la propagation, lente et imprévisible, de son influence. En 1857, les premiers lecteurs des Fleurs du mal, qu’ils fussent favorables ou non au recueil, y ont généralement vu un travail d’orfèvrerie poét...

A. « Amour courtois » Avec la première génération des troubadours apparaît l’idéologie nouvelle dont le concept essentiel est celui de fin’amor, et qui sera codifiée, systématisée, et, dans une certaine mesure, détournée par les poètes et les romanciers de langue d’oïl, à commencer par Andréas Capellanus dans son traité De Amore , sous le nom d’« amour courtois ». L’idée fondatrice du système de la fin’amor est celle de la supériorité de la femme sur l’homme, et corollairement de la soumissio...

A. René d’Anjou L’exemple de René d’Anjou est tout à fait éclairant. Artiste qui s’illustre non seulement dans le domaine de la littérature, mais aussi dans celui de la peinture, mécène qui organise autour de sa personne une cour itinérante infiniment riche et variée, amateur de toutes les formes d’art, particulièrement sensible à la fascination de l’Italie, il reste prisonnier de la thématique amoureuse, dont il expose l’échec et les limitations dans le Livre du Cuer d’Amour espris (1457). C...