Lors d’une exposition récente sur l’Antarctique, notre attention a été attirée par des structures spectaculaires, visibles dans certains icebergs (on trouve sur le réseau Internet des vues de telles structures dans des icebergs d’origines diverses). Celles-ci sont constituées d’ensembles de prismes verticaux de glace, ou de plans parallèles (eux aussi verticaux), formant des colonnades. Ces dernières sont séparées par des surfaces horizontales du reste de l’iceberg au-dessus (les basculements de ceux-ci modifient ces directions) ; les diamètres des prismes et les épaisseurs des plans apparaissent décimétriques à pluri-décimétriques. Les structures sont inscrites dans la masse de la glace, l’érosion marine et la fonte les soulignant et les mettant en valeur (sous des surplombs de l’iceberg massif). A notre connaissance, il ne semble pas y avoir de description raisonnée, ni de proposition d’explication. Nous nous contentons ici de brosser un cadre interprétatif potentiel. Nous ne donnons pas en détail les raisons qui nous guident ; elles sont inspirées par notre connaissance de la solidification des magmas géologiques donnant des structures comparables : orgues et plans (voir les références ci-dessous). Nous imaginons ainsi que lors de son entrée dans la mer, un morceau de glacier, qui constitue une « réserve de froid » importante, peut, dans certaines conditions, faire geler la mer à son contact dans ses parties immergées (il y a donc formation de glace nouvelle). La mer étant riche en NaCl, le point de solidification de l’eau est fonction de la teneur en sel au voisinage du contact glace / mer. Suivant les gradients de température en jeu, le phénomène de surfusion de constitution peut jouer, et l’interface glace / eau montrer une instabilité ; celle-ci est responsable de la formation de digitations, c’est-à-dire que des doigts, ou des plans parallèles de glace, s’avancent dans l’eau lors de la congélation. Les spécialistes de sciences des matériaux discutent les gradients de température en trois dimensions permettant une bifurcation entre le régime colonnaire et le régime planaire. Du fait de leur croissance, les doigts / plans vont se souder ; ils vont laisser entre eux des joints correspondant à des zones plus fragiles, mises en relief par les processus d’érosion / fonte postérieurs, lors du soulèvement de l’iceberg. Si la glace d’eau ne peut contenir de sel, elle ne peut non plus contenir toute une série d’éléments chimiques, y compris des gaz, qui vont se trouver « expulsés » à l’extérieur. Est-ce là une explication des dégagements gazeux observés le long des joints par les plongeurs (Raphaël Sané, com. pers., 2022) et parfois envisagés comme responsables des structures (alors qu’ils en seraient une conséquence) ? Nous verrons dans l’avenir si ce cadre est à garder tel quel, à amender, ou à abandonner. Il nous invite à faire des observations nouvelles, des mesures de types variés (chimiques, de pétrofabrique), à lire sur des sujets connexes, à débattre avec les personnes compétentes. Des estimations préliminaires faisant intervenir les paramètres principaux du problème (températures, enthalpie de fusion, capacités calorifiques, diffusivités thermiques et moléculaires, gradients thermiques, pente du liquidus dans le diagramme de phase, intervention de la convection solutale) sont encourageantes. Nous remercions nos collègues glaciologues de Toulouse et de Grenoble pour de premiers échanges (parmi eux Frédérique Rémy, Christian Vincent), ainsi que, de façon spéciale, Raphaël Sané (guide naturaliste) pour ses photographies et ses remarques utiles (sans vouloir compromettre aucun dans les hypothèses présentées). Nous saluons les médiateurs de la Rotonde (CCSTI de la Loire et Ecole des Mines) pour l’exposition (automne 2021) à l’origine de cette réflexion.Guy B. & Lecoze J., C.R. Acad. Sc. Paris, 1990; Guy B., J. Volc. Geoth. Res., 2010; Guy B., Thiéry V., Garcia D., Bascou J. & Broekmans M., Miner. Petrol., 2020.