En 1985, la ville d’Istanbul est inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’humanite par l’Organisation des Nations unies pour l’education, la science et la culture (UNESCO), en reference a quatre sites majeurs, dont la muraille de Theodose II. Ce site monumental montre un paradoxe sur le plan touristique : bien present dans tous les guides, il n’est, sur le terrain, quasiment jamais visite. Plusieurs raisons peuvent expliquer l’echec touristique actuel. L’edifice joue un role historique dans la constitution physique et symbolique de la ville et il occupe aujourd’hui une position complexe dans l’aire urbaine. Les recents projets touristiques pourraient bien amener une nouvelle phase de changements et montrent, en tout cas, quels arbitrages et quelles resolutions tendent a s’imposer. En devenant explicite, la question du tourisme sur la muraille permet d’envisager la rencontre – ou la friction – entre les logiques locales de l’industrie touristique et immobiliere et les desirs d’Orient qui n’ont pas cesse de prendre la Turquie et la ville d’Istanbul comme des objets privilegies. Un projet deja evoque au debut des annees 2000 a le vent en poupe : parfaire la renovation de quelques points remarquables de la muraille, transformer les tours proches en boutiques et developper l’hotellerie de proximite. La muraille prend pleinement son role d’outil, de ressource de l’industrie touristique, dans un contexte porteur pour les grands projets immobiliers. Istanbul sera en effet capitale culturelle europeenne en 2010 et cette opportunite mobilise beaucoup d’energie, d’institutions et d’acteurs. De grands projets voient le jour, comme la transformation de la gare asiatique d’Aydarpas¸a en centre commercial tourne vers la mer et entoure de sept tours imposantes. Quoiqu’il en soit, le projet touristique pour la muraille prevoit des expulsions definitives et, dans certains cas, l’installation de societes de securite privees autour des points amenages. En 2003, plusieurs universitaires ou acteurs associatifs se mobilisent, a la suite des menaces de declassement de l’UNESCO, et creent le mouvement de «Mobilisation pour la sauvegarde des remparts d’Istanbul. » Les activites nocturnes et festives sur la muraille gardent encore chez certains intellectuels l’image d’un folklore stambouliote tres vivace dans les annees 1950, lors de la premiere explosion urbaine. La ville et ses edifices sont ainsi l’objet de desirs et de fantasmes multiples, tant interieurs qu’exterieurs. Faut-il alors, pour prendre la mesure de la situation, commencer par « desorientaliser » la ville et la muraille ? Ce travail de prise de conscience consisterait alors, pour le touriste visiteur, a se frotter au reel, a abandonner son desir d’Orient, les images et les usages qu’il souhaite trouver sur le site, pour aborder une succession de quartiers, en partie formels, en partie informels, au sein desquels emerge un element urbain – fondamentalement urbain – reapproprie, vivant, en transformation. Loin d’une museification tournee vers un passe souvent selectif et toujours construit, le visiteur verrait sous ses yeux l’articulation du « passe-present-avenir » d’une urbanite stambouliote en mouvement.