Anne Defrance, Littérature, idéologies, représentations, XVIIIe-XIXe siècles (LIRE), Université Stendhal - Grenoble 3-École normale supérieure - Lyon (ENS Lyon)-Université Lumière - Lyon 2 (UL2)-Université Jean Monnet [Saint-Étienne] (UJM)-Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), Université Stendhal - Grenoble 3-École normale supérieure de Lyon (ENS de Lyon)-Université Lumière - Lyon 2 (UL2)-Université Jean Monnet - Saint-Étienne (UJM)-Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), and Defrance, Anne
L’évidence opposition entre le conte et la science est-elle si radicale qu’on le croit ? Le conte réfléchit à sa manière, ludique et distancée – mieux, il réfracte – l’élan des Lumières vers un savoir encyclopédique. Certes, depuis toujours, les récits étiologiques délivrent l’explication des phénomènes naturels. Les contes de fées s’y attèlent à leur tour, non sans ironie. Tout d’abord, les auteurs s’inspirent des progrès scientifiques et techniques pour dépasser les limites de l’humaine perception, tout en témoignant de la fascination de leurs contemporains pour les instruments d’optique. Ils anticipent ainsi sur les inventions des temps modernes, bien avant la Science-fiction. D’autre part, dans les années 1740-1760, ils raillent l’engouement pour les sciences, devenues l’objet d’une mode, tandis que le conte est décrié plus que jamais par ses narrateurs et ses personnages. Par de complexes dispositifs narratifs, les points de vue opposés (sur ces sujets notamment) rebondissent, pris dans un jeu savant de miroirs et de lentilles déformantes qui font du conte oriental tout comme du conte à la française une sorte de lunette ou de microscope. Le lecteur, mis à l’école du doute, doit les ajuster en permanence à sa vue. Les savants du siècle, qui prônaient la méthode expérimentale fondée sur l’observation, pouvaient-ils récuser totalement un tel apprentissage ? Aussi, pour toutes ces raisons, la frontière entre conte et science est-elle finalement poreuse. (Les contes de Mme d’Aulnoy, Bignon, Crébillon, Pajon, Duclos, Cazotte, Mme de Villeneuve sont ici convoqués.) The obvious opposition between tales and the sciences may not be as insurmountable as many believe. Literary tales also reflect – and refract –, on a playful mode, the Enlightenment’s urge towards encyclopædic knowledge. Fairy tales in a way pursue, often ironically, a long tradition of explaining natural phenomena with the help of myths and narratives. The authors of tales draw much inspiration from the new developments of science and technology, in order to explore and overcome the limits of human perception, in particular with the help of optical instruments. In the years 1740-1760, they also mock the fad surrounding the sciences. They write fictions which often function as telescopes and microscopes, reflecting opposing views, and refracting unusual sights. The scientists themselves realised what could be gained from such insights. (Evocations of tales by Mme d’Aulnoy, Bignon, Crébillon, Pajon, Duclos, Cazotte, Mme de Villeneuve confirm the intuition that the border between sciences and tales was indeed a porous one.)