Cette thèse porte sur les liens entre écriture, dynamique sociale et perception du monde au Moyen Âge, depuis le VIIe jusque vers le XIIIe siècle. Elle repose sur l’examen d’un corpus numérisé de 150 000 documents diplomatiques (CEMA), l’exploitation systématique de la Patrologie latine, le dépouillement chronologique de près de 520 000 chartes, ainsi que sur un corpus de près de 9 000 édifices romans (Zodiaque). Un parcours théorique y est tout d’abord présenté (scripturalité, linguistique et perception du monde, humanités numériques et traitements statistiques, cohérence et fragmentation du féodalisme), sous forme de prolégomènes, permettant de dégager certains présupposés mais aussi d’articuler la production des observations et les analyses qui suivent.L’examen des interactions entre ces différentes structures documentaires, via des procédures automatisées inspirées de la fouille de données, de la cartographie numérique et du Data / Text Mining (dont certaines méthodes et programmes développés pour la thèse), permet par la suite de dégager différentes phases de la dynamique inégale de l’Europe médiévale, comme autant de moments dans lesquels le texte n’est pas seulement un support de transaction, mais aussi un dispositif de transformation de la société et du monde, à la sémantique évolutive. L’analyse fait ainsi apparaître des groupes chrono- géographiques, valant tant pour la production scripturaire comme objet, que pour son lexique ou pour les bâtiments, et dont les dynamiques différentielles s’échelonnent sur plus de quatre siècles. L’acte haut médiéval, peu révélateur de traits régionaux - bien que fortement spécifique et hétérogène en tant que corpus -, est examiné en opposition avec celui naissant dans quelques espaces (zone médiane de l’actuelle France, Catalogne, centre de la Péninsule italique), vers le milieu-la fin du IXe siècle. Les actes originaux (base de l’Artem), analysés comme un tout, montrent par ailleurs qu’à ces structures chrono- géographiques répondent des typologies d’actes (auteurs, actions, dimensions, etc), mais encore que ces groupes sont identiques à ceux dégagés à partir des chartes conservées en copie, par exemple sous la forme de cartulaires. Ces observations permettent alors de mettre en avant différents complexes sociaux qui renseignent ces différences, entre centre et périphérie, monastères et aristocratie, système domanial et seigneurial, gothique et roman, qualité de fixation et contrôle ecclésial enfin.La dernière partie du travail permet d’approfondir la sémantique de ces rapports inégaux et des actes eux-mêmes, en examinant deux réseaux lexico-sémantiques omniprésents dans les actes, autour des lemmes aqua et terra. Tandis que l’élément aquatique apparaît, sous certaines de ses formes (manifestations célestes, fontaines, larmes), comme un opérateur fondamental du transitus et de la spiritualisation du monde, la terre oscille quant à elle entre rejet, association à une chair mondaine d’une part, et d’autre part ultra- valorisation, analogie de l’ecclesia elle-même, en lien avec les saints, la Vierge ou le Christ Or, tandis que le rôle spiritualisateur de l’eau demeure très fort depuis le haut Moyen Âge, l’insistance sur l’association entre terra et ecclesia/sanctus, plutôt faible au début de notre chronologie, ne cesse de se renforcer. Sont alors abordées les transformations du vocabulaire des actes, comme écritures du monde fortement variables d’une chrono-géographie à l’autre, mais qui tendanciellement se rapprochent, en particulier au XIIIe siècle. En examinant les résonances entre l’écriture comme pratique ou représentation et ces tenues - en particulier comment les pics variables de mentions de terra correspondent aux pics de production des actes dans une zone donnée -, se dégagent ainsi graduellement un champ de sens et une structure, dans lesquels le texte de l’acte, tout comme l’eau, spiritualise les êtres et le mundus, tandis que ceux-ci sont transférés ou tout simplement liés à l’ecclesia, intégrés au sein de réseaux à la complexité grandissante, articulés par analogie. En tant que dispositifs agissant sur le monde, les actes deviennent ainsi un des catalyseurs d’une spiritualisation et d’une stabilisation inégale de celui-ci, d’une fixation ecclésiale multipolaire., This thesis focuses on the links between writing, social dynamics and perception of the world in the Middle Ages, from the 7th to around the 13th century. It is based on the examination of a digitised corpus of 150,000 diplomatic documents (CEMA), the systematic exploitation of Patrologia Latina, the chronological analysis of nearly 520,000 charters, and a corpus of nearly 9,000 Romanesque buildings (Zodiaque). A theoretical background is first presented (scripturality, linguistics and perception of the world, digital humanities and data / text mining, coherence and fragmentation of feudalism), in the form of prolegomena, allowing us to identify certain presuppositions but also to articulate the production of the observations and the analyses that follow.The examination of the interactions between these different documentary structures, via automated procedures inspired by data mining, digital cartography and Data / Text Mining (including some of the methods and programmes developed for the thesis), subsequently makes it possible to identify different phases of the unequal dynamics of medieval Europe, as so many moments in which the text is not only a transaction support, but also a device for transforming society and the world, with evolving semantics. The analysis thus reveals chrono-geographical groups, which apply to scriptural production as an object, as well as to its lexicon or to buildings, and whose differential dynamics are spread over more than four centuries. The Early Middle Ages charters, which does not reveal much in the way of regional features - although it is highly specific and heterogeneous as a corpus - is examined in contrast to the one that emerged in some areas (the central area of present-day France, Catalonia, the centre of the Italian Peninsula), towards the middle to end of the 9th century. The original charters (the basis of the Artem), analysed as a whole, also show that these chrono-geographical structures are reflected in the typologies of acts (authors, actions, dimensions, etc.), but also that these groups are identical to those found in the charters preserved in copy, for example in the form of cartouches. These observations then make it possible to highlight different social complexes that inform these differences, between centre and periphery, monasteries and aristocracy, state and seigniorial system, Gothic and Romanesque, quality of settlement and ecclesial control finally.The last part of the work allows us to deepen the semantics of these unequal relations and of the acts themselves, by examining two lexico-semantic networks omnipresent in the acts, around the lemmas aqua and terra. While the aquatic element appears, in some of its forms (celestial manifestations, fountains, tears), as a fundamental operator of the transitus and spiritualisation of the world, the earth oscillates between rejection, association with worldly flesh on the one hand, and ultra- valorisation on the other, analogy of the ecclesia itself, in connection with the saints, the Virgin or Christ Gold, while the spiritualising role of water has remained very strong since the High Middle Ages, the insistence on the association between terra and ecclesia/sanctus, rather weak at the beginning of our chronology, continues to grow stronger. The transformations in the vocabulary of acts, as world writings that vary greatly from one chrono-geography to the next, but which tend to come closer together, particularly in the 13th century, are then discussed. By examining the resonances between writing as practice or representation and these outfits - in particular how the variable peaks of mentions of terra correspond to the peaks of production of acts in a given area - a field of meaning and structure gradually emerges, in which the text of the act, like water, spiritualises beings and the mundus, while these are transferred or simply linked to the ecclesia, integrated within networks of increasing complexity, articulated by analogy. As devices acting on the world, acts thus become one of the catalysts of an unequal spiritualisation and stabilisation of the world, of a multipolar ecclesial fixation.