1. Le trauma de l’agresseur à l’origine du trouble de stress post-traumatique. Implications psycho-légales concernant le sujet « auto-traumatisé »
- Author
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Yann Auxéméry, Claude Carnio, Centre hospitalier de Jury, Maladies chroniques, santé perçue, et processus d'adaptation (APEMAC), and Université de Lorraine (UL)
- Subjects
03 medical and health sciences ,Psychiatry and Mental health ,0302 clinical medicine ,General Arts and Humanities ,[SDV.MHEP.PSM]Life Sciences [q-bio]/Human health and pathology/Psychiatrics and mental health ,[SHS.PSY]Humanities and Social Sciences/Psychology ,16. Peace & justice ,ComputingMilieux_MISCELLANEOUS ,[SDV.MHEP]Life Sciences [q-bio]/Human health and pathology ,030227 psychiatry - Abstract
Resume Problematiques Est-il possible, pour un agresseur, de souffrir d’un traumatisme psychique issu de son passage a l’acte ? Cette interrogation, d’apparence provocatrice, n’en souleve pas moins une myriade de questionnements theoriques et cliniques. Objectifs Nous abordons cette problematique de l’« agresseur auto-traumatise » selon plusieurs axes de reflexion : anthropologiques, psychopathologiques et psycho-legaux. Materiel et methodes Apres critique anthropologique de l’histoire du trauma dans la nosographie psychiatrique contemporaine, nous illustrons grâce a une situation clinique detaillee, combien la prise en compte consciencieuse de l’anamnese s’avere majeure au diagnostic de trouble post-traumatique, notamment en contexte expertal. Plutot qu’une interrogation sur la responsabilite penale, les impacts medico-legaux concernent bien davantage les questions de reparation juridique du dommage psychique. Resultats Depuis l’antiquite, les descriptions des troubles psychiques post-traumatiques s’inscrivent dans l’histoire des societes, entre redecouvertes et oublis, jusqu’a la guerre du Vietnam qui marqua profondement la societe americaine. Les annees eloignant des combats, l’enjeu societal devint non plus tant la question penale face a la mort donnee par les soldats sur le terrain, mais la prise en charge therapeutique et de reparation juridique du dommage resultant de troubles psychiques massifs parmi les veterans. Sous pressions des compagnies d’assurance souhaitant des criteres precis permettant d’ouvrir des droits a indemnisation, l’existence des troubles post-traumatiques resurgit sous la denomination de Post-traumatic stress disorder en 1980, a l’occasion de la parution du DSM-III. Si la notion d’actes hetero-agressifs generateurs de trauma apparait a l’origine de l’inscription du trouble post-traumatique dans la classification, les etudes epidemiologiques et psychopathologiques precisement consacrees a ce phenomene restent rares. Nous detaillons la situation clinique de Hans, ancien legionnaire adresse au sapiteur psychiatre et dont l’expertise s’annoncait banale. Depuis « l’agression », comme il dit, avec une chute survenue a ses 64 ans, « sans gravite » d’apres plusieurs medecins, cet homme ressentait des douleurs a l’epaule, dormait mal, devenait irritable et ruminait, au point d’avoir du consulter un psychiatre. Le medecin-expert missionne par le tribunal, au terme de son examen trois ans apres les faits, avait logiquement sollicite l’adjonction d’un sapiteur. Dans son courrier de liaison, il annoncait ne pas bien comprendre comment cet ancien legionnaire, qui « avait du en voir bien d’autres… », ne se remettait pas, psychologiquement, d’un tel evenement considere « objectivement » mineur avec cette lesion simple de l’epaule. Le recit du consultant allait eclairer un tout autre aspect des choses, revelant une dynamique psychotraumatique insoupconnee. Discussion Intrinsequement, la clinique du trauma perturbe l’analyse psycho-legale, autant que de multiples confrontations potentiellement traumatiques et autres facteurs majeurs de stress emaillent le parcours de vie. Doit-on imputer un trouble post-traumatique a l’evenement l’ayant initialement favorise, ou bien, au fait l’ayant cause ensuite, ou finalement, apres la phase de latence, aux elements ayant rappele les reviviscences ? Les consequences medicales et psychologiques de l’evenement traumatique, meme tardives, lui sont imputables. Mais doit-on considerer imputable une cirrhose ethylique causee par un alcoolisme secondaire a un trouble de stress post-traumatique ? Doit-on considerer la presence d’une cicatrice resultant d’une tentative d’autolyse actee lors d’une depression post-traumatique ? Doit-on considerer des troubles psychotiques induits par des substances psychoactives consommees a visee sedative dans les suites du fait generateur ? De telles situations sont complexes : l’expert argumentera au cas par cas sa comprehension de la chronologie des troubles et son analyse de la relation de signification des symptomes au fait generateur, toujours en fonction du cadre juridique. Conclusions L’expertise est un moment capital pour le sujet. Si la personne consideree attend parfois de l’expert des conseils therapeutiques, nul ne peut etre medecin-expert et medecin-traitant du meme consultant (sauf en milieu militaire, dans un contexte d’urgence ou de requisition judiciaire). Toutefois, selon les termes du decret de 1992 applicable aux personnes victimes de guerre et d’attentat, « l’expert accomplit une tâche qui comporte indirectement une dimension therapeutique ». L’attitude du praticien est bienveillante, aussi proche possible de celle de la relation de soins : en depend la validite de l’evaluation clinique. N’oublions pas que, comme Hans, certaines personnes blessees psychiques se confient pour la premiere fois. Mesestimer l’impact subjectif d’un trauma pourrait ici conduire a ce que Claude Barrois nomme le « traumatisme second ». Si les consequences sur le symptome restent imprevisibles, une expertise bien menee, quelles que soient les conclusions, amene un soulagement. La mise en mot de l’evenement, l’affirmation d’une date de consolidation et la reconnaissance des sequelles imputables permettent souvent une nouvelle projection du sujet vers l’avenir.
- Published
- 2020