Cet ouvrage s'intéresse à l'importante question des tensions entre l'innovation et la continuité dans la conception du cadre bâti. La présente recherche porte sur la mise à jour de la singularité du paysage urbain montréalais (la « montréalité », Charney, 1980) par l'actualisation de référents dans les projets d'architectes et d'aménagistes. Une telle « régénération symbolique » (Létourneau, 2000) rejoint deux défis des villes contemporaines: éviter l'uniformisation d'un universalisme mimétique et promouvoir la place d'une ville et de sa spécificité parmi les réseaux de la globalisation. Un des leitmotivs de la production actuelle de l'architecture et de l'aménagement urbains est ainsi interpellé: comment concilier la volonté d'ancrage au contexte local et la réactualisation de la vision moderne? Nous proposons d'examiner le processus par lequel des projets urbains (d'architecture et d'aménagement) participent à la constitution de l'image identitaire de la ville, dans le cas de Montréal. Les études sur les paysages de représentation et l'imagerie identitaire urbaine se sont multipliées récemment (abordées sous divers angles par les Roncayolo, Corboz, Chassay, Morisset, Grignon, Mercier et autres). Mais le rôle des projets d'architecture et d'aménagement y reste inexploré, bien que le cadre bâti qui en est « issu » soit désigné producteur d'identité (Noppen, 1995). Constituée au terme de la reconnaissance par les critiques, la montréalité, attribuée à des caractères architecturaux et urbains, affleurerait en amont, dans les figures et les stratégies de la genèse des projets. L'idée de la montréalité serait alors le fait d'un cycle, depuis les projets jusqu'à leur reconnaissance. Selon cette hypothèse, notre recherche vise à analyser un corpus de cas d'espèce pour comprendre comment le projet d'architecture et d'aménagement urbains est investi de l'idée de montréalité et comment ce processus d'investissement est conçu, par son auteur puis par son « public », comme contribuant à l'affirmation et, éventuellement, aux mutations de cette idée de la montréalité. À l'instar de Ruskin, Sitte, Giovannoni ou Rossi, nous considérons le paysage urbain en tant que tissu continu de constructions et d'espaces où le bâtiment n'est pas un objet isolé, mais partie d'un tout signifiant. L'analyse du projet vise ainsi à contribuer à en démêler l'écheveau identitaire, puisque l'inscription du projet dans le cadre bâti est vue comme une constituante de l'identité urbaine. Notre cadre théorique, au coeur de l'histoire critique des idées en architecture et en aménagement, positionne les documents qui témoignent de la démarche du projet en corpus primaire: nous y retraçons les caractères idéels (idées-images, ElIul, 1984) de la montréalité en vertu d'un modèle systémique qui intègre les interrelations, dans le projet, entre l'origine des caractères de la montréalité (les référents) et leur usage (le recyclage et les mutations). Notre méthodologie s'appuie alors sur la critique génétique (de Biasi, 2000) : nous étudions ainsi dessins, maquettes et autres documents « génétiques » du projet, avant d'en confronter la montréalité à celle de la fortune critique, cette fois par une analyse foucaldienne du discours et des formes. Le portrait global qui en résulte trace l'herméneutique de projets primés ou reconnus pour leur montréalité, depuis 1992, c'est-à-dire depuis que le 350e anniversaire de fondation de Montréal a propulsé l'idée de la montréalité à l'avant-plan de la scène culturelle. En comprenant la participation de la genèse du projet d'architecture et d'aménagement à l'idée de la montréalité (reconnue a posteriori d'un projet ou conçue comme image globale de la ville), notre recherche contribue à l'avancement des approches en histoire de la forme urbaine en intégrant un nouveau corpus aux représentations analysées. Motivée par l'effervescence récente de la recherche propre aux champs architectural et de design urbain, notre thèse participe au développement de nouveaux créneaux de recherche résolument disciplinaires en évaluant les modalités de la critique génétique pour l'analyse de la sérniogenèse du projet. Elle participe aussi aux connaissances sur le « patrimoine urbain récent » de Montréal en enrichissant sa compréhension et en diversifiant les approches et les outils de son analyse. En effet, savoir dépister, dans un esprit ouvert au changement, la teneur de la contribution de projets actuels à la spécificité et à l'identité du bâti amène à considérer le respect du patrimoine non plus comme une contrainte formelle, mais comme un intrant de l'avenir. Notre recherche fait ressortir quatre déclinaisons d'un nouveau paradigme de l'identité urbaine de Montréal, qui permettent d'établir une nomenclature des tendances, dans le paysage bâti montréalais, de l'appropriation locale des précédents issus de la culture architecturale globalisée. À l'enseigne de l'hybridation entre néomodernité (universaliste) et urbanité (culturaliste) -l'une sensible aux nouvelles technologies et à la conscience du durable, l'autre sensible au contexte local -, nous dévoilons l'émergence d'un paradigme hybride que nous nommons la contextualité critique. Créant une identité territoriale revisitée, les architectes et les aménagistes soucieux de s'inscrire dans la continuité des imageries identitaires qui matérialisent dans le cadre bâti la personnalité de Montréal exercent ainsi leur capacité d'innover. Attentives aux « idées-images » en chantier, nos futures recherches viseront à approfondir, dans une visée prospective, les tenants et aboutissants des quatre thèmes qui annoncent la régénération symbolique du cadre bâti montréalais. ______________________________________________________________________________ MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : Identité urbaine, Montréal, Histoire critique, Forme urbaine, Architecture et aménagement contemporains, Analyse génétique du projet, Méthodes du projet urbain architectural et d'aménagement, Paradigmes émergents.