Cet article vise à interroger la mise en geste des actions politiques au sein de la IIe Marcha Antirracista : vidas negras importam, qui a eu lieu à Rio de Janeiro le 7 juin 2020 à la suite de l’assassinat de l’africain‑américain George Floyd. Pour ce faire, nous prenons appui sur un ensemble de documents audiovisuels ayant servi à la publicisation de cette manifestation, notamment à travers les réseaux sociaux que sont Facebook et Instagram. Analyser le contenu gestuel de ces images, en privilégiant les approches méthodologiques des études en danse, permet de mettre en lumière les manières dont ces gestes expriment un pouvoir d’agir incarné, capable de questionner la prétendue incompatibilité entre vulnérabilité et action politique. Par ailleurs, une lecture esthétique des gestes donne la possibilité de mieux cerner la capacité d’un geste militant à émerger depuis un contexte politique spécifique, à circuler et à actualiser son agentivité politique.Dans un premier temps, le contexte politique et social dans lequel l’évènement protestataire en question s’inscrit est présenté. Au Brésil, la gestion catastrophique par l’État de la crise sanitaire due à la COVID 19, ainsi que l’essor notable des violences policières dans les premiers mois de la pandémie, ont encouragé le soutien des populations faveladas aux revendications antiracistes internationalisées par le mouvement Black Lives Matter. Par ailleurs, la dénonciation polémique de « génocide institutionnalisé contre la population noire » (Nascimento 1978) au Brésil, reprise dans les slogans et les discours des acteur.rices et des organisateur.rices de la marche, est mise en perspective à partir des éléments qui ont contribué à son actualisation dans le champ social et politique. Suivant le chercheur dramaturge et militant Abdias do Nascimento, ce « génocide » se manifeste, depuis l’esclavage, à travers la tentative systématique de l’État de détruire et d’effacer « le peuple noir en tant qu’entité physique et culturelle » par des stratégies visant à limiter la croissance de la population noire (en réduisant, proportionnellement au nombre d’hommes, le nombre de femmes au sein des populations mises en esclavage), par la stigmatisation des cultures noires et africaines du pays, ainsi que par des politiques incitatives visant l’immigration de personnes blanches européennes afin de promouvoir un blanchissement de la population (Nascimento 1978).Les significations politiques du « génocide », dans le rassemblement en question, ne se limitent pas à leur expression discursive dans la mesure où ces slogans sont également mis en espace et soutenus par des gestes. C’est pourquoi, dans un second temps, une lecture à l’échelle micro des gestes des manifestant.es met en évidence la forme particulière de cette dénonciation que l’on ne peut réduire à une simple stratégie discursive. Nos analyses esthétiques montrent en effet que les gestes déployés pendant les actions protestataires à Rio, comme marcher, former des boucliers humains, s’agenouiller et s’allonger par terre, à la fois incarnent et mobilisent la vulnérabilité comme puissance d’action à part entière. À partir de cette « double valeur » de la vulnérabilité (Butler 2016a), il s’agit enfin de comprendre comment ces gestes produisent au Brésil une forme d’agentivité politique spécifique qui se situe au-delà de leur signification originelle. Cette approche permet ainsi de réfléchir à la manière dont les militants à Rio ont recours au geste pour rejouer et déjouer leur condition de vulnérabilité. À travers leurs gestes, la vulnérabilité des manifestants opère à la fois comme dénonciation des « politiques génocidaires » (Nascimento 1978) de l’État – pour reprendre la formule des militants – et comme force politique de résistance des populations noires et faveladas du pays. This article aims to analyze the gestures generated by political actions within the II Marcha Antirracista: vidas negras importam, which took place in Rio de Janeiro on June 7, 2020 following the assassination of the African‑American George Floyd. The analysis is based on a set of audiovisual productions that served to disseminate this protest movement, especially through social media such as Facebook and Instagram. Analyzing the gestural content of these images, privileging the methodological approaches of dance studies, enables us to highlight the ways in which these gestures express an embodied power to act, and may call into question the alleged incompatibility between vulnerability and political action. Furthermore, an aesthetic reading of the gestures allows us to better identify the ability of an activist gesture to emerge from a specific political context, to circulate and to actualize its political agency.First, the political and social context in which the protesting event in question occurred is presented. In Brazil, both the State’s catastrophic management of the COVID 19 health crisis, and the notable rise in police violence in the first months of the pandemic, encouraged the support of the favelada populations for the anti-racist demands internationalized by the Black Lives Matter movement. Furthermore, the polemical denunciation of ‘institutionalized genocide against the black population’ (Nascimento 1978) in Brazil, taken up in the slogans and speeches of the actors and organizers of the march, is put into the perspective of the elements that contributed to its realization in the social and political field. According to the researcher, playwright, and activist Abdias do Nascimento, this ‘genocide’ has been manifested, since slavery, by the state's continued attempts to destroy and erase ‘the black people as a physical and cultural entity’ through strategies designed to limit the growth of the black population (by reducing the number of women in the enslaved population in proportion to the number of men), through the stigmatization of the country's black and African cultures, and through public policies designed to encourage the immigration of white European people in order to promote a whitening of the population (Nascimento 1978).The political meanings of ‘genocide’ in the rally in question are not limited to their expression in speech, given that these slogans were also put on view and supported by gestures. That is why, in the second part of our analysis, a reading of the demonstrators' gestures on a micro scale highlights the particular form of this denunciation that cannot be reduced to a simple speech strategy. Our aesthetic analysis show that the gestures deployed during the protest actions in Rio, such as walking, forming human shields, kneeling and lying on the ground, both embody and mobilize vulnerability as a power of action in its own right. Based on this ‘double valence’ of vulnerability (Butler 2016a), our aim is finally to understand how these gestures produce a specific form of political agency in Brazil that goes beyond their original meaning. This approach thus allows us to reflect on how activists in Rio use gesture to replay and outplay their condition of vulnerability. Through their gestures, the demonstrators' vulnerability operates both as a denunciation of the State’s ‘genocidal policies’ (Nascimento 1978), as the demonstrators call them, and as a political force of resistance for the country's black and favelada populations. Este artículo pretende interrogar la gestualidad de las acciones políticas dentro de la II Marcha Antirracista: vidas negras importam, que se realizó en Río de Janeiro el 7 de junio de 2020 tras el asesinato del afroamericano George Floyd. Para ello, utilizamos un conjunto de documentos audiovisuales sirvieron para dar a conocer este evento, especialmente a través de redes sociales como Facebook e Instagram. El análisis del contenido gestual de estas imágenes, privilegiando los enfoques metodológicos de los estudios de la danza, permite, por una parte, poner de relieve las formas en que estos gestos expresan un poder de acción encarnado, capaz de cuestionar la supuesta incompatibilidad entre vulnerabilidad y acción política. Por otra parte, una lectura estética permite identificar la capacidad que tiene un gesto militante de surgir de un contexto político específico, de circular y de actualizar su agencia (agency) política.En primer lugar, presentamos el contexto político y social en el que se inscribe el acto de protesta en cuestión. En Brasil, la catastrófica gestión por parte del Estado de la crisis sanitaria debida al COVID 19, así como el notable aumento de la violencia policial en los primeros meses de la pandemia, fomentaron el apoyo de las poblaciones faveladas a las reivindicaciones antirracistas internacionalizadas por el movimiento Black Lives Matter. A su vez, la polémica denuncia del "genocidio institucionalizado contra la población negra" (Nascimento 1978) en Brasil, que fue retomada en las consignas y discursos de los actores y organizadores de la marcha, es puesta en perspectiva a partir de los elementos que contribuyeron a su actualización en el campo social y político. Según el investigador, dramaturgo y activista Abdias do Nascimento, este "genocidio" se ha manifestado, desde la esclavitud, a través del intento sistemático del Estado de destruir y borrar "al pueblo negro como entidad física y cultural" a través de estrategias destinadas a limitar el crecimiento de la población negra (reduciendo el número de mujeres de la población esclavizada en proporción al número de hombres), mediante la estigmatización de las culturas negras y africanas del país, y políticas concebidas para fomentar la inmigración de personas blancas europeas con el fin de promover un blanqueamiento de la población (Nascimento 1978).Los significados políticos del "genocidio", en la manifestación en cuestión, no se limitan a su expresión discursiva, ya que estos eslóganes implican también una espacialidad y se apoyan en gestos. Por eso, en un segundo momento, una lectura a nivel micro de los gestos de los manifestantes pone de relieve la forma particular de esta denuncia, que no puede reducirse a una simple estrategia discursiva. Nuestros análisis estéticos muestran que los gestos desplegados durante las acciones de protesta en Río, tales como caminar, formar escudos humanos, arrodillarse y tumbarse en el suelo, encarnan y movilizan la vulnerabilidad como un poder de acción pleno. A partir de este "doble valor" de la vulnerabilidad (Butler 2016a), el objetivo es comprender cómo estos gestos han producido una forma específica de agencia política en Brasil que va más allá de su significado original. Este enfoque nos permite así reflexionar sobre cómo los activistas de Río han utilizado el gesto para representar y desbaratar su condición de vulnerabilidad. A través de sus gestos, la vulnerabilidad de los manifestantes opera a la vez como denuncia de las "políticas genocidas" del Estado (Nascimento 1978), tal como las formulan los manifestantes, y como fuerza política de resistencia para las poblaciones negras y "faveladas" del país. Este artigo propõe uma reflexão sobre a mise en geste da ação política através da análise da manifestação II Marcha Antirracista: vidas negras importam, que foi realizada no Rio de Janeiro dia 7 de junho de 2020, após o assassinato do Afro-americano George Floyd. Para isso, recorremos a uma série de documentos audiovisuais que foram utilizados para divulgar este evento, especialmente através de redes sociais como Facebook e Instagram. Analisar o conteúdo gestual dessas imagens privilegiando as abordagens metodológicas dos estudos em dança, permitirá, por um lado, destacar as formas pelas quais esses gestos expressam um poder de ação encarnado, capaz de questionar a suposta incompatibilidade entre vulnerabilidade e ação política. Por outro lado, uma análise estética desses gestos permitirá identificar a capacidade de um gesto de protesto de emergir num contexto político específico, de circular e de atualizar sua agentividade (agency) política.Num primeiro momento, apresentaremos o contexto político e social no qual a manifestação em questão se inscreve. No Brasil, a catastrófica gestão governamental da crise sanitária devido à COVID 19, bem como o notável aumento da violência policial nos primeiros meses da pandemia, encorajou o apoio das populações faveladas às demandas antirracistas internacionalizadas pelo movimento Black Lives Matter. Além disso, a polêmica denúncia de um « genocídio institucionalizado contra a população negra » (Nascimento 1978) no Brasil, que foi retomada nos slogans e discursos dos atores e organizadores da marcha, será colocada em perspectiva com base nos elementos que contribuíram para a sua atualização no campo social e político do país. Segundo o pesquisador, dramaturgo e ativista Abdias do Nascimento, este « genocídio » tem se manifestado, desde a escravidão, através da tentativa continuada do Estado de destruir e apagar « o povo negro como entidade física e cultural » através de estratégias destinadas a limitar o crescimento da população negra (reduzindo o número de mulheres na população escravizada em proporção ao número de homens), da estigmatização das culturas negra e africana do país, e de políticas destinadas a incentivar a imigração de pessoas brancas europeias no intuito de promover um branqueamento da população (Nascimento 1978).Os significados políticos do « genocídio » na manifestação em questão não se limitam a sua expressão discursiva, já que estes slogans também foram colocados no espaço e apoiados por gestos. Nesse sentido, uma leitura dos gestos dos manifestantes destacará, num segundo momento, uma forma particular desta denúncia que não pode ser reduzida a uma simples estratégia discursiva. Nossas análises estéticas mostrarão que os gestos realizados durante a ação de protesto no Rio, tais como caminhar, formar escudos humanos, ajoelhar e deitar-se no chão, ao mesmo tempo encarnam e mobilizam a vulnerabilidade como um poder de ação. Com base neste « duplo valor » da vulnerabilidade (Butler 2016a), o objetivo é refletir sobre como estes gestos produziram uma forma específica de agentividade (agency) política no Brasil que vai além de seu significado « original ». Esta abordagem nos permitirá refletir sobre como os ativistas no Rio recorreram aos gestos para reafirmar e combater sua condição de vulnerabilidade. Através dos gestos, a vulnerabilidade dos manifestantes opera tanto como uma denúncia das "políticas genocidas" do Estado (Nascimento 1978), tal como formuladas pelos manifestantes, quanto como uma força política de resistência para as populações negras e faveladas do país.