Cet article s’inscrit dans un projet plus large qui est celui de la reconstitution d’histoires de vie, de trajectoire d’individus, de statut esclave ou affranchi·e à partir d’une source particulière : un corpus de lettres et un journal écrit par un planteur, Pierre Dessalles, entre 1807 et 1856. Plus d’une centaine d’esclavisé·es sont évoqué·es dans ce corpus publié par l’un de ses descendants et par des historien·nes spécialistes des Antilles. Ces esclavisé·es apparaissent dans les documents selon les intérêts du planteur ou les événements qu’il considère comme extraordinaires, dérangeants, scandaleux. La méthode proposée dans la première partie de l’article est de partir de ces mentions pour reconstruire ces trajectoires de vie en les croisant avec d’autres sources. Comment ces parcours s’inscrivent-ils dans des projets collectifs, soit par le recours à un groupe défini par le statut ou la race, soit par un ensemble d’individus de statut civil et/ou racial différents, mais qui s’accordent à soutenir les intérêts d’un individu ?Ces questions sont abordées à partir d’un nom, celui « d’Agricole », signalé pour la première fois en 1825, au sujet de sa manumission, c’est-à-dire de la liberté non enregistrée officiellement de l’esclave Agricole après un voyage à Bordeaux. Il change ainsi de statut et devient un « Libre de fait ». En 1834, une nouvelle mention d’Agricole apparaît dans les lettres de Pierre Dessalles pour signaler qu’il était l’un des chefs de la révolte des « Libres de couleur » connue comme la révolte de la Grande Anse.Cette tension entre la description initiale d’Agricole comme un « enfant doux » et celle d’un révolté exalté invite à contextualiser ses motivations individuelles. Que révèlent ces histoires sur les attentes individuelles, sociales et politiques des esclaves et de leurs descendants, s’exprimant autour de la notion pivot de « Liberté » ?Les éléments historiques extraordinaires, a fortiori une révolte, produisent de nombreuses archives et permettent d’en identifier les acteur·rices. La seconde partie de l’article étudie, non pas la période de 1825 (celle de la première mention du nom d’Agricole), mais bien celle de 1834. Il s’agit de décrire la révolte de la Grande Anse, qui débute en décembre 1833 et qui est la dernière grande mobilisation des « Libres de couleur ». Ils·elles y dénoncent les discriminations et le manque de respect qu’ils·elles subissent malgré leur statut de libres et malgré la loi du 24 avril 1833 qui leur donne les mêmes droits politiques et sociaux que les personnes définies comme blanches. Ils réclament « la liberté universelle ». Agricole est décrit comme milicien et meneur de troupe. Condamné à mort, sa peine est commuée en peine de bagne, de prison, puis il obtient du roi sa grâce entière. Il est libéré mais reste placé sous surveillance de police, tout en étant interdit de séjour dans les colonies. Jean-Baptiste Agricole s’installe alors avec les autres gracié·es à Angers. Son acte de décès montre qu’il n’appartient pas aux affranchi·es récents : il est né libre, de parents libres.Une autre histoire de vie peut ainsi être reconstruite dans la troisième partie. Le recours aux sites de généalogie, à partir d’une recherche sur le nom d’« Agricole » et d’une date approximative de naissance, met sur la piste d’une stratégie bien particulière. En effet, un acte de mariage en 1832 permet de le retrouver en Guadeloupe. Jean-Baptiste Agricole s’y marie, et déclare alors comme père et mère les parents du condamné de la révolte de la Grande Anse. Par cette usurpation d’identité, il peut asseoir de façon définitive son statut de personne « libre ». Cependant, son retour à la Martinique le réinscrit dans une dépendance vis-à-vis de Pierre Dessalles. Agricole décède le 21 avril 1887, à 83 ans. Dans l’acte qui enregistre sa disparition, il est dit veuf de Virginie – auquel il s’est marié sous une fausse identité –, mais cette fois-ci fils de Judith Fortunée, ancienne esclave de Pierre Dessalles.Ainsi, la première trajectoire de vie, celle du condamné de la révolte de la Grande Anse, met en lumière une revendication portée par le groupe des « Libres de couleur » qui partagent les mêmes objectifs politiques constitués par l’expérience quotidienne de la distance entre statut civil de « libre » et pratiques sociales. La seconde trajectoire d’expérience, celle du « Libre de fait » de 1825, mobilise des acteurs et actrices et des volontés qui ne composent pas de « groupe constitué ».Chacune de ces trajectoires de vie complexifie, par la révolte ou par la ruse, l’histoire des sociétés esclavagistes. Elles donnent à voir une multiplicité de situations d’esclavage et de solidarités collectives. This article is part of a broader project involving the reconstitution of life stories, individual trajectories, of slave or emancipated status, based on a particular source: a corpus of letters and a diary written by a planter, Pierre Dessalles, between 1807 and 1856. More than a hundred slaves are mentioned in this corpus published by one of Dessalles’ descendants and by historians specializing in the West Indies. These slaves who are featured in the documents appear in line with the planter’s interests or as related to the events that he considers extraordinary, disturbing or scandalous. The method proposed in the first part of the article is to start from these mentions to reconstruct life trajectories by crossing-checking them with other sources. How do these trajectories fit into collective initiatives, either through recourse to a group defined by status or race, or through a set of individuals of different civil and/or racial status, but who agree to support the interests of an individual?These questions are addressed starting with one name, that of “d’Agricole,” first reported in 1825, concerning his manumission, i.e., the unofficial emancipation of the agricultural slave after a trip to Bordeaux. He thus changed his status and became “de facto free.” In 1834, a new mention of Agricole appears in Pierre Dessalles’ letters indicating that he was one of the leaders of the “Libres de couleur” (“Free People of Color”) which came to be known as the Grande Anse revolt.This tension between the initial description of Agricole as a “gentle child” and the subsequent portrayal of him as an exalted rebel invites contextualization of his individual motivations. What do these stories reveal about the individual, social, and political expectations of the slaves and their descendants, expressed around the pivotal notion of “Liberty”?The extraordinary historical elements, a fortiori a revolt, produce numerous records and allow for the identification of the actors. The second part of the article studies, not the period of 1825 (when the name Agricole was first mentioned), but 1834. Describing the revolt of the Grande Anse, which began in December 1833, it was the last great mobilization of the “Libres de couleur.” The revolt denounced that, despite the law of April 24, 1833, enacting equal political and social rights for “people of color” with those defined as “white,” the former were suffering discrimination and lack of respect and demanding “total freedom” (“la liberté universelle”). Agricole is described as a militiaman and a ringleader. Sentenced to death, his sentence was commuted to a term of imprisonment, after which he obtained a full pardon from the king. He was released but remained under police surveillance, while being forbidden to stay in the colonies. Jean-Baptiste Agricole then settled in Angers, France with the other persons pardoned at the same time. His death certificate shows that he did not belong to the recently emancipated: he was born free, of free parents.Another life story can thus be reconstructed in the third part. The use of genealogy sites, based on a search for the name “Agricole” and an approximate date of birth, leads to a very specific strategy. Indeed, a marriage record in 1832 allows us to find him in Guadeloupe. Jean-Baptiste Agricole got married there, and declared as father and mother the parents of the convict of the Grande Anse revolt. By this usurpation of identity, he was able to definitively establish his status as a “free” person. However, his return to Martinique reinstates him in a dependence towards Pierre Dessalles. Agricole died on April 21, 1887, at the age of 83. In the act recording his death, he is said to be the widower of Virginie—with whom he was married under a false identity—but this time, the son of Judith Fortunée, a former slave of Pierre Dessalles.Thus, the first trajectory of his life as the convicted instigator of the Grande Anse revolt highlights a claim made by the group of “Libres de couleur” who shared the same political objectives constituted by the daily experience of the distance between the civil status of “libre” and social practice. The second trajectory of experience, that of the “Free in fact,” as of 1825, mobilizes individuals with diverse motivations who do not form a “constituted group.”Each of these life trajectories complexifies, through revolt or cunning, the history of slave societies. They show a multiplicity of situations of slavery and collective solidarities. Este artículo se inscribe en un proyecto más amplio que es el de la reconstitución de historias de vida, de trayectorias de individuos, de estatus esclavo o liberto, a partir de una fuente especial: un corpus de cartas y un diario escrito por un dueño de plantación, Pierre Dessalles, entre 1807 y 1856. Más de un centenar de personas esclavizadas son evocadas en ese corpus publicado por uno de sus descendientes y por historiadores especialistas de las Antillas. Estas personas esclavizadas aparecen en los documentos según los intereses del dueño o según los acontecimientos que él mismo considera extraordinarios, molestos, escandalosos. El método propuesto en la primera parte del artículo es partir de estas menciones para reconstruir esas trayectorias de vida contrastándolas con otras fuentes. ¿De qué manera estas trayectorias se inscriben en proyectos colectivos, ya sea por el recurso a un grupo definido por el estatus o la raza, ya sea por un conjunto de individuos con estatus civiles y/o raciales diferentes, pero que coinciden en sostener los intereses de un individuo?Estas preguntas se abordan a partir de un apellido, “Agricole”, señalado por primera vez en 1825, respecto a manumisión, es decir a la libertad no inscrita oficialmente del esclavo Agricole después de un viaje a Burdeos. Cambia así de estatus y pasa a ser “libre de hecho”. En 1834, una nueva mención a Agricole aparece en las cartas de Pierre Dessalles para señalar que es uno de los jefes de la revuelta de los “libres de color” conocida como la revuelta de la Grande Anse.Esta tensión entre la descripción inicial de Agricole como un “niño dulce” y la de un rebelde exaltado invita a contextualizar sus motivaciones individuales. ¿Qué revelan esas historias respecto a las expectativas individuales, sociales y políticas de los esclavos y de sus descendientes, expresadas en torno a la noción bisagra de “Libertad”?Los elementos históricos extraordinarios, con mayor razón una revuelta, producen numerosos archivos y permiten identificar a sus protagonistas. La segunda parte del artículo estudia, no el período de 1825 (el de la primera mención al apellido de Agricole), sino el de 1834. Se trata de describir la revuelta de la Grande Anse, que empieza en diciembre de 1833 y que es la última gran movilización de los “Libres de color”. Quienes denuncian las discriminaciones y la falta de respeto de los que sufren a pesar de su estatus de personas libres y de la ley del 24 de abril de 1833 que les otorga los mismos derechos políticos y sociales que a las personas definidas como blancas. Reclaman la “libertad universal”. Agricole es descrito como miliciano y jefe de tropa. Condenado a muerte, su pena es conmutada en pena de prisión, y luego obtiene del rey su gracia. Es liberado pero sigue siendo objeto de vigilancia por parte de la policía, se prohíbe su estadía en las colonias. Jean-Baptiste Agricole se instala entonces con otras personas graciadas. Su acto de defunción muestra que no pertenece a los libertos recientes: nació libre, de padres libres.Otra historia de vida puede así ser reconstituida en la tercera parte. El recurso a los sitios arqueológicos, a partir de una investigación sobre el apellido “Agricole” y una fecha aproximativa de nacimiento, permite visualizar una estrategia particular. En efecto, un acto de matrimonio de 1832 revela su presencia en Guadalupe. Jean-Baptiste Agricole contrae matrimonio ahí, y declara como padre y madre a los padres del condenado de la revuelta de la Grande Anse. Mediante esta usurpación de identidad, puede asentar de manera definitiva su estatus de persona “libre”. Sin embargo, su regreso a Martinica lo reubica en una relación de dependencia con Pierre Dessalles. Agricole muere el 21 de abril de 1887, a los 83 años. En el acto que registra su muerte, se le dice viudo de Virginie –con quien se había casado bajo una falsa identidad– pero esta vez aparece como hijo de Judith Fortunée, antigua esclava de Pierre Dessalles.Así, la primera trayectoria de vida, la del condenado de la revuelta de la Grande Anse, pone en relieve una reivindicación esgrimida por el grupo de los “Libres de color” que comparten los mismos objetivos políticos constituidos por la experiencia cotidiana de la distancia entre estatus civil de “libre” y prácticas sociales. La segunda trayectoria de experiencia, la de “Libre de hecho” de 1825, moviliza a protagonistas y voluntades que no componen un “grupo constituido”.Cada una de estas trayectorias de vida complejiza, ya sea por la revuelta o por la astucia, la historia de las sociedades esclavistas. Ponen de manifiesto una multiplicidad de situaciones de esclavitud y de solidaridades colectivas. Este artigo faz parte de um projeto mais amplo que visa restituir histórias de vida, trajetórias individuais, de escravos/as ou libertos/as, a partir de uma fonte particular: um conjunto de cartas e um diário escrito por um plantador, Pierre Dessalles, entre 1807 e 1856. Mais de uma centena de escravizados/as foram evocados/as neste corpus publicado por um descendente seu e por historiadores/as especialistas das Antilhas. Estes/as escravizados/as aparecem nos documentos conforme os interesses do plantador ou os acontecimentos que ele considerou extraordinários, perturbadores ou escandalosos. A metodologia proposta na primeira parte do artigo é de partir dessas referências para reconstruir essas trajetórias, cruzando-as com outras fontes. Como estes percursos fizeram parte de projetos coletivos, seja pelo recurso a um grupo definido por seu status ou raça, ou por um conjunto de indivíduos com status civil e/ou racial diferente concordarem em apoiar os interesses de um indivíduo?Abordamos estas questões a partir de um nome, o de « Agricole », assinalado pela primeira vez em 1825, em relação com sua alforria, ou seja a liberdade não registada oficialmente do escravo Agricole depois de uma viagem para Bordeaux. Ele mudou assim de status tornando-se um « liberto de facto ». Em 1834, uma outra referência a Agricole aparece nas cartas de Pierre Dessalles para assinalar que ele era um dos líderes da revolta dos « livres de cor », conhecida como a revolta da « Grande Anse ». A tensão entre a descrição inicial de Agricole como « uma criança quieta » e a de um revoltado exaltado convida a contextualizar suas motivações individuais. O que essas histórias revelam sobre as expectativas individuais, sociais e políticas dos escravos e de seus descendentes, expressas em torno da noção de « Liberdade »?Os elementos históricos extraordinários, a fortiori uma revolta, produziram muitos documentos e permitem identificar os atores e atrizes. A segunda parte do artigo analisa, não o período de 1825 (o da primeira referência ao nome de Agricole), mas o de 1834. Trata-se de descrever a revolta da « Grande Anse », que começou em dezembro de 1833 e que foi a última mobilização importante dos « livres de cor ». Eles e elas denunciaram as discriminações e a falta de respeito que sofriam apesar do seu status de libertos e da lei de 24 de abril de 1833 que lhes dava os mesmos direitos políticos e sociais que as pessoas definidas como brancas. Reclamavam « a liberdade universal ». Agricole foi descrito como um miliciano e um líder. Condenado a morte, sua pena foi comutada para uma pena de prisão, e obteve em seguida a graça do rei. Foi libertado mas ficou sob a vigia da polícia, sem poder viajar para as colónias. Jean-Baptiste Agricole instalou-se então com os outros indultados/as em Angers. Seu certificado de óbito atesta que ele não fazia parte dos libertos recentes : ele nasceu livre, de pais livres.Uma outra história de vida pode ser assim reconstruída na terceira parte. O recurso dos sites de genealogia, a partir da busca do nome « Agricole » e de uma data aproximada de nascimento, abre a pista de uma estratégia bem particular. Uma certidão de casamento nos permite encontrá-lo na Guadelupe. Jean-Baptiste Agricole casou lá, e declarou então como seus pais os pais do condenado da revolta da « Grande Anse ». Com essa usurpação de identidade, podia assentar definitivamente o seu status de pessoa « livre ». No entanto, seu regresso a Martinica voltou a inscrevê-lo na dependência de Pierre Dessalles. Agricole faleceu no dia 21 de abril de 1887, com 83 anos. No seu certificado de óbito, dizia-se que ele era viúvo de Virginie — com a qual tinha casado com uma falsa identidade— mas desta vez filho de Judith Fortunée, antiga escrava de Pierre Dessalles.Assim, a primeira trajetória de vida, a do condenado da revolta da « Grande Anse » lança luz sobre uma reivindicação do grupo dos « Livres de cor » que partilham os mesmos objetivos políticos constituídos pela experiência quotidiana da distância entre status civil de « livre » e práticas sociais. A segunda trajetória de experiência, a do « livre de facto » de 1825, mobiliza atores e atrizes e vontades que não formam um « grupo constituído ».Cada uma dessa trajetórias de vida torna mais complexa, pela revolta ou pela manha, a história das sociedades escravistas. Elas deixam vislumbrar uma multiplicidade de situações de escravidão e de solidariedade coletiva.