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Que se passe-t-il lorsque la violence sème le chaos ? Dans la nuit du 13 novembre 2015, la ville de Paris est ainsi dévastée par une série d’attentats, les attentats-suicides au Stade de France, l’attaque du Bataclan, et les fusillades dans plusieurs bars et restaurants. À l’été 2016, l’anthropologue Robert Desjarlais se rend à Paris. Il commence à réfléchir sur l’intensité des attentats et les effets de la violence sur la vie et l’histoire de la ville. En visitant les lieux des attentats, il rencontre les traces de la violence et il étudie les mémoriaux collectifs avec les mots et les images sur les murs des bâtiments. Il propose ce livre qui est une réflexion originale sur la violence dans le monde contemporain, ainsi que sur la politique de la mémoire et de l’oubli.

Le Petit Cambodge est en face, au 20 rue Alibert. À travers ses baies vitrées, on peut voir un couple en train de dîner, de bonne heure. Dans le restaurant, des lampes en métal pendent du plafond. À l’intérieur du Carillon, il y a des miroirs au-dessus du bar et des rangées de verres de différentes formes et tailles. Tout cela a l’air si fragile. Une brusque secousse pourrait facilement briser cette pyramide de cristal. Selon un récent article de presse, il resterait un trou dans la vitre d’u...

Une femme passe, tenant un appareil photo dans les mains. Un garçon s’approche de la terrasse sur un scooter. Il se lève, regarde alentour, jette un coup d’œil à la main qui écrit et se retourne. Une mère rejoint le garçon. L’enfant dans ses bras regarde les gens sur la terrasse. Un instant, nos regards se croisent, mais il ne me voit pas. Un groupe de soldats s’approche des murs de l’hôpital, mitraillettes semi-automatiques en main. C’est une unité d’hommes et de femmes en patrouille, se dép...

Écrire le quotidien, c’est aussi écrire le désastre. Du moins est-ce le cas si l’on prête au mot « désastre » le sens que lui donne Maurice Blanchot. Comme l’écrivain l’explique dans son livre difficile et énigmatique L’Écriture du désastre, le désastre va de pair avec l’effondrement de l’existence, la ruine de l’être, les situations de faiblesse, la passivité et le non-pouvoir, la fin d’un monde et la relation de ce monde à soi, les ruptures de perception et de temps, la dispersion, la liquid...

Assis à une table près des vitres, une femme et un homme se font face. Leurs corps s’inclinent au-dessus de la table, ils se touchent. La femme attrape les bras de l’homme. Elle se penche en avant pour qu’il l’embrasse. Près du couple, une femme se lève pour partir. Elle marche vers la rue puis se retourne. Un serveur lui dit quelque chose. Elle a oublié son parapluie à côté de la table. Elle attrape le parapluie et s’en va. Près des fenêtres, une femme déguste un mojito. Elle parle dans son ...

Les soldats sont passés, descendant lentement la rue Alibert, jusqu’à disparaître. C’est un moment calme, serein, sans aucun signe manifeste de violence. La première fois que je suis venu au Carillon, j’ai été frappé par l’absence de toute indication significative des violences qui s’y étaient produites juste avant. Rien n’était particulièrement visible autour du bâtiment ou à l’intérieur de celui-ci. J’y suis revenu quelques jours plus tard. J’ai fait le tour de l’endroit et me suis assis à l...

Il est 20 heures passées à présent. Un peu de lumière éclaire encore le jour en train de disparaître. Le crépuscule transforme les humeurs et les perceptions. L’impression change, l’endroit est rempli de gens, plus jeunes que moi pour la plupart. Je suis en dehors, observant. Je suis différent pour eux, d’un autre pays et d’un autre temps, plus vieux, une ombre dans la nuit. D’autres fantômes sont là maintenant, d’autres spectralités, d’autres temps et d’autres hantises. Peu de temps après le...

On ne dirait pas que quelque chose s’est produit ici. On ne dirait pas qu’un massacre a eu lieu cette nuit-là, juste à cet endroit, près de l’entrée, près de ces tables et ces chaises, sur ce trottoir et ce sol dallé, sauf à le savoir déjà ou l’avoir appris par quelqu’un d’autre ou bien avoir cherché sur Internet les adresses de ces lieux (comme je l’ai fait) et y avoir réalisé un triste pèlerinage, les visitant l’un après l’autre ; et avoir lu le nombre de morts qu’il y eut dans chacun. Il e...

La terrasse est bondée à présent. Aucun siège, aucune table ne sont libres. Je suis le seul assis là à ne pas être accompagné. Une éclaircie puis des nuages ; la couleur et la luminosité perceptibles près du croisement des trois rues changent légèrement. Un bus 75 passe. À travers ses vitres troubles, des visages sévères regardent les rues défiler et les personnes assises au Carillon. La femme qui est entrée à l’intérieur par la baie vitrée ouverte revient par le même chemin pour se rasseoir à...

Un homme trapu, boîtant légèrement, s’approche du Carillon. Il est vêtu d’une chemise rouge et porte un sac. Arrivé devant l’entrée, il s’arrête, sort son téléphone portable et prend plusieurs photographies du bar. Certains matins, je me réveille à l’aube et sors dans les rues où règne un calme matinal, un appareil photo à la main. La lumière est belle à cette heure là et les quelques personnes déjà dehors, déambulant somnolentes vers leur destination, prêtent peu d’attention à mes agissement...

Mercredi 15 juin 2016 Une bâche, d’un rouge assombri par les intempéries, court sur le côté du bâtiment, les mots « Le Carillon » y apparaissant en blanc. Le store sert en partie à protéger les clients et à arrêter la pluie qui pourrait tomber sur les tables. Une enseigne, portant l’inscription « Hôtel Carillon », est accrochée au mur au-dessus du store ; près d’une porte adjacente, une pancarte, temporairement visible, indique « Hôtel fermé ». J’écris ces mots assis à l’une des tables...

Une voiture descend la rue Alibert. Peints sur la carosserie sont écrits les mots : « VITAL TRANSPORT SERVICE ». Un taxi passe dans la même rue. À l’intérieur se trouvent le chauffeur et un homme assis sur le siège arrière. Le chauffeur, en chemise, tend un bras musclé par la fenêtre de sa portière et désigne l’enseigne au-dessus de la terrasse. Peut-être explique-t-il à son client l’importance de ce lieu – de quelle façon il a été au cœur des récents événements. Les constructions autour du C...