La réflexion sur les concepts d’espace et de temps est nourrie par les progrès de l’instrumentation et de la métrologie, ainsi que par les développements mathématiques des théories physiques. Mais elle ne saurait se passer d’un approfondissement épistémologique qui en mette à jour les fondements cachés. Sur ce plan, nous pensons essentiel de nous garder de deux tentations : a) celle de croire que la réalité nous impose de façon univoque les mots pour la décrire, chacun renvoyant à des qualités propres, pour eux-mêmes, des objets en correspondance ; b) celle de croire que les concepts peuvent atteindre un état de pureté qui les abstraient complètement de la connaissance humaine, elle qui s’enracine dans le fonctionnement du corps. En réponse à ces deux tentations, deux dimensions de la pensée sont particulièrement adaptées à notre étude. 1) Une dimension relationnelle : on ne peut que comparer des phénomènes à d’autres phénomènes (des mouvements à d’autres mouvements) et des conventions sont nécessaires. Espace et temps sont les noms de ces comparaisons. 2) Une dimension d’incarnation : les concepts d’espace et de temps ont d’abord un sens dans l’expérience du corps au monde (vécue en termes de mouvements), avant les mots. Ces deux dimensions fournissent une grille d’analyse indispensable, définissant deux axes d’un plan où puissent se dessiner diverses cartes mentales : c’est dans cette scène que nous exprimons à nouveau notre proposition (« le mouvement précède l’espace et le temps ») en la comparant à toute une série de propositions fournie par l’histoire de la pensée. Nous figurons en particulier celles d’Aristote, de la Chine classique, de Newton, Kant, Mach, Einstein, Poincaré et Rovelli. En conclusion, nous promouvons une distinction forte entre, - d’une part, l’espace et le temps objets fictionnels séparés (vus selon un versant philosophique à la Vaihinger) indispensables pour penser et dire, aboutissement de tout un parcours, et non principes fondateurs ; et - d’autre part, l’espace et le temps qui comptent (vrais, réels, singuliers, vécus, concrets, expérimentés, mesurés, …), liés comme les deux faces d’une même pièce (la comparaison de mouvements : mouvements arrêtés / continués) ; ce sont eux qu’étudie la physique, en amont des fictions qu’ils vont engendrer. Entre les deux extrêmes, il y a glissement de sens ou polysémie, et, bien plus, changement de statut des mots. Le retour vers l’espace et le temps concrets, liés dans le mouvement, ouvre de très nombreuses avenues, tant en sciences humaines et sociales qu’en sciences « dures » (jusque dans la façon de faire jouer les équations et d’effectuer des calculs). C’est ce que nous avons exposé depuis des années dans divers lieux. Des citations des auteurs mentionnés sont données en annexes., The reflection on the concepts of space and time is nourished by the progress of instrumentation and metrology, as well as by the mathematical developments of physical theories. But it cannot do without an epistemological deepening which brings to light the hidden foundations. On this level, we think it is essential to guard against two temptations: a) that of believing that reality imposes on us in a univocal way the words to describe it, each one referring to its own qualities, for themselves, of the corresponding objects; b) that of believing that the concepts can reach a state of purity that abstracts them completely from human knowledge, which is rooted in the functioning of the body. In response to these two temptations, two dimensions of thought are particularly adapted to our study: 1) a relational dimension: one can only compare phenomena to other phenomena (movements to other movements) and conventions are necessary. Space and time are the names of these comparisons; 2) an embodiment dimension: the concepts of space and time have a meaning first in the experience of the body in the world (lived in terms of movements), before the words. These two dimensions provide an indispensable grid of analysis, defining two axes of a plan where various mental maps can be drawn: it is in this scene that we express again our proposal ("movement precedes space and time") by comparing it to a whole series of proposals provided by the history of thought. In particular we figure those of Aristotle, of classical China, of Newton, Kant, Mach, Einstein, Poincaré, Rovelli. In conclusion, we promote a strong distinction between, - on the one hand, space and time as separate fictional objects (seen according to a philosophical slant à la Vaihinger) indispensable for thinking and saying, the outcome of a whole path, and not founding principles; and - on the other hand, space and time that count (real, actual, singular, lived, concrete, experienced, measured, ...), linked like two sides of the same coin (the comparison of movements : stopped / continued movements); it is them that physics studies, upstream of the fictions it will generate. Between the two extremes, there is a shift of meaning or polysemy, and, much more, a change of status of words. The return to concrete space and time, linked in movement, opens up a great many avenues, both in the human and social sciences and in the "hard" sciences (even in the way equations are played and calculations are made). This is what we have been explaining for years in various places. Quotations from the authors mentioned are given in the appendices.