1. Les avis consultatifs au Canada : omniprésents, déterminants, banalisés et déroutants : Essai critique de Carissima Mathen, Courts Without Cases: The Law and Politics of Advisory Opinions, Oxford, Hart, 2019 et Kate Puddister, Seeking the Court’s Advice: The Politics of the Canadian Reference Power, Vancouver, UBC Press, 2019
- Author
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Johanne Poirier
- Subjects
Power (social and political) ,Politics ,Political science ,General Medicine ,Humanities - Abstract
Les avis consultatifs font partie intégrante de la jurisprudence constitutionnelle canadienne. L’exécutif fédéral a le privilège exclusif de pouvoir soumettre pratiquement toute question de droit, abstraite ou non, à la Cour suprême du Canada, alors que les exécutifs provinciaux peuvent en faire autant auprès de leur Cour d’appel respective. Ces tribunaux ont, en principe, l’obligation de répondre. Au fil des ans, les « renvois » ont traité d’une multitude de sujets, y compris de la répartition fédérale des compétences, du rapatriement de la Constitution, du mariage entre personnes de même sexe, de la réforme du Sénat et de la possible sécession d’une province. Si l’analyse du contenu des renvois constitue un pilier de la plupart des cours de droit constitutionnel, l’institution même a étonnamment largement échappé à une analyse approfondie. Deux ouvrages majeurs, publiés à quelques mois d’intervalle, comblent avec brio cette lacune. Dans Courts Without Cases: The Law and Politics of Advisory Opinions et Seeking the Court’s Advice: The Politics of the Canadian Reference Power, la constitutionnaliste Carissima Mathen et la politologue Kate Puddister décodent habilement la théorie et la pratique des avis consultatifs sous des angles disciplinaires distincts, mais complémentaires. Deux aspects problématiques ressortent particulièrement de cette analyse croisée. Il s’agit, en premier lieu, du risque d’instrumentalisation des tribunaux par la branche exécutive. De fait, l’apparent affront à la séparation des pouvoirs a conduit plusieurs pays de common law (mais pas tous) à rejeter la pratique des avis consultatifs. Pourquoi n’est-ce pas le cas du Canada? En second lieu, malgré leur caractère officiellement non contraignant, les renvois sont lus, enseignés, cités, critiqués, plaidés et largement rédigés comme s’il s’agissait d’arrêts rendus en appel, arrêts qui eux sont évidemment contraignants. Comment expliquer la force normative déroutante d’« avis » qui n’ont plus de « consultatifs » que le nom? Cet essai critique place les deux ouvrages en conversation l’un avec l’autre. L’auteure y ajoute ses propres interrogations et réflexions, notamment sur le rôle et le statut des renvois dans une perspective comparative. L’essai examine les origines, l’évolution et le cadre normatif des « avis consultatifs », ainsi que les motivations « stratégiques » qui fondent la décision de l’exécutif de demander — ou non — un avis consultatif. En conclusion, l’auteure avance une hypothèse sur cette singulière institution qui ne fonctionne pas en théorie, mais plutôt bien en pratique. Les « renvois » représenteraient-ils un autre élément de la culture constitutionnelle du Canada, qui voit s’entrecroiser et s’influencer de manière si fluide les sources formelles et informelles, écrites et non écrites, officielles et effectives du droit?
- Published
- 2021
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