Avec l’avènement de la micro-informatique dans les années 80, de l’internet dans les années 90 et de l’achèvement du séquençage du génome humain au tournant du 21e siècle, le nombre d’entreprises développant des technologies en santé a explosé. Par contre, la pratique en centre hospitalier et des interactions quotidiennes avec des professionnels de la santé œuvrant dans différents secteurs du système de santé québécois et d’autres provinces canadiennes rend compte d’une large différence entre le nombre de technologies qui apparaissent dans les conférences et blogs, et celles adoptées et utilisées sur le terrain. Mais tandis que l’évaluation des technologies et l’étude de la diffusion des innovations ont donné lieu à une littérature scientifique importante, peu d’études ont exploré jusqu’à présent l’émergence des entreprises de technologies innovantes en santé en prenant compte le point de vue de tous les acteurs impliqués. C’est donc ce manque de connaissances que notre étude désire combler, en se demandant comment une entreprise émergente et de technologie en santé peut se construire socialement en initiant certaines actions concurrentielles et pourquoi ces actions peuvent-elles différer selon le type d’entreprise, les demandes et les pressions des acteurs économiques et du système de santé. Les objectifs de recherche sont donc de définir comment les entreprises innovatrices en technologie de la santé s'établissent en utilisant l'effet de leurs actions concurrentielles tout en leur octroyant un sens, déterminer l'influence du type d'entreprise et des schèmes de construction sociale sur les actions concurrentielles, les activités de fabrication de sens et les réponses aux pressions des acteurs institutionnels, et enfin identifier quelles sont les stratégies utilisées par les entrepreneurs pour s'adresser à l'institution qu’est le système de santé. Afin de répondre aux interrogations soulevées par les observations sur le terrain, la présente recherche s’est organisée en trois volets successifs, explorant trois points de vue différents. Le premier est celui d’un observateur externe envers les startups en technologie de santé. Le deuxième volet est celui des acteurs gravitant autour de ces entreprises et le troisième est celui des entrepreneurs eux-mêmes. Le premier volet consiste en une étude de cas multiples utilisant la stratégie d’analyse de construction d’explication. L'étude s'est appuyée sur l'analyse des communiqués de presse (n = 664) et des articles des médias généraux (n = 627). L'échantillon comprend cinq entreprises canadiennes inscrites à la Bourse de Toronto sous la forme de quatre startups qui ont fait une offre d’achat initiale entre 2000 et 2003, et une entreprise bien établie. Parmi celles-ci, trois étaient dans le secteur de la santé, une dans le secteur du commerce électronique tandis que l‘entreprise bien établie était une entreprise de solutions d’infrastructures électroniques en santé. Globalement, au cours de l'émergence de l'entreprise, les actions marketing et symboliques, doublées du recours à des leaders d’opinion et des personnes de haute notoriété ont été nettement plus prononcées avec les startups de santé par rapport à l'entreprise qui n’était pas en santé. Au cours des premiers mois d’émergence, au fur et à mesure que les communications et signaux augmentaient, les startups en santé étaient les seules entreprises à utiliser la légitimité cognitive et pragmatique, s'appuyant ainsi sur la cognition plutôt que sur l'intérêt personnel ou les jugements moraux des acteurs. De plus, nous avons observé des différences dans l'utilisation des actions marketing et des actions symboliques et également dans le recours à des leaders d’opinion. Cela suggère une influence différentielle du modèle de construction sociale et du type d'entreprise sur le niveau et le mélange des actions du marché et des activités de sensibilisation entre les entreprises de santé et les entreprises de technologie non liées à la santé. Les deuxième et troisième volet consistent en deux séries d’entrevues semi-structurées, où une analyse thématique a été utilisée pour identifier et rapporter des thèmes tout en organisant et en décrivant minutieusement l'ensemble de données. Pour le deuxième volet, l'échantillon pour les entrevues semi-structurées comprend 10 médecins spécialistes, 4 professionnels de la santé impliqués dans l'acquisition des technologies de la santé, 3 membres des unités d'évaluation des technologies de la santé et 3 investisseurs en technologies de la santé. Nous avons déterminé que l'acquisition et la diffusion des technologies de santé sont de plus en plus réglementées et doivent répondre à des pressions croissantes d'un grand nombre d'acteurs qui voient inversement leur pouvoir d'agence se réduire. Nous avons également démontré que les pressions qui pousse vers l'institutionnalisation des pratiques, ainsi que le découplage des objectifs du système de santé et ceux des autres acteurs sont abordés par des stratégies "politiques"; le pouvoir des principaux influenceurs tels que les investisseurs et les spécialistes médicaux, ainsi que la méfiance à l'égard des actions de marketing sont abordés avec des stratégies “associatives”; les pressions découlant du besoin croissant de données fondées sur des données probantes sont traitées avec des stratégies “normatives”. Enfin, la faible fragmentation d'un système public de santé et l'hétérogénéité des processus d'acquisition locaux sont abordées avec des stratégies “d'identité”. Le troisième volet s’est concentré sur la manière dont les entrepreneurs saisissent les opportunités, créent leur organisation entrepreneuriale, et lui apportent de la légitimité, et a examiné les déclencheurs, contraintes et pressions impliquées dans ce processus. L'échantillon pour les entretiens a été constitué de 20 entrepreneurs et partenaires stratégiques impliqués dans le développement et la commercialisation des technologies de la santé. À chaque étape, nous avons identifié un processus institutionnel prédominant, qu'il s'agisse du découplage, de l'influence du champ organisationnel ou de la recherche de légitimation. Nous avons constaté que chaque étape de l'émergence de la start-up était déclenchée par des situations où l'entrepreneur faisait face à des barrières et contraintes sous la forme d'un désalignement des limites, de la mauvaise performance des technologies concurrentes, et de l'asymétrie des ressources. Nos résultats peuvent aider les professionnels de la santé, les décideurs et les évaluateurs à comprendre le processus d'adoption et de diffusion des technologies en santé et contribuer à l'élaboration de procédures d'acquisition grâce à des politiques ciblées et des processus révisés. Pour les investisseurs, notre étude leur permet d’identifier les obstacles qui rythment la vitesse à laquelle les nouvelles technologies font leur chemin dans la pratique clinique et le système de santé. Les résultats peuvent aussi fournir un cadre pour élaborer des données de référence pour évaluer les investissements actuels et futurs. Mieux connaître quelles sont les différences propres aux startups technologiques en santé en comparaison aux autres startups pourrait aider les entrepreneurs à prioriser les actions compétitives et à mieux cerner les intentions perçues et les besoins de santé réels lors de l’émergence sociale de l’entreprise. Pour le système de santé, les résultats peuvent servir à élaborer et enrichir des politiques et directives d’acquisition et d’évaluation qui vont améliorer l’accès à des technologies médicales qui sont sécuritaires, efficaces et de haute qualité., With the advent of micro-computing in the 1980s, the Internet in the 1990s and the completion of the sequencing of the human genome at the turn of the 21st century, the number of companies developing health technologies has exploded. Nonetheless, hospital practice and day-to-day interactions with health professionals working in different sectors of the Quebec health system and other Canadian provinces reflect a large difference between the number of technologies appearing in conferences and blogs, and those adopted and used in the field. But while the evaluation of technologies and the study of the diffusion of innovations led to an important scientific literature, few studies have so far explored the emergence of innovative health technology companies taking into account the point of view of all the actors involved. It is this lack of knowledge that our study wishes to fill, by asking how an emerging health technology company can be socially constructed by initiating certain competitive actions and why these actions may differ according to the type of company, demands and pressures from economic and healthcare system actors. The research objectives are therefore to define how innovative health technology companies establish themselves by using the effect of their competitive actions while giving them meaning, determining the influence of the type of business and the patterns of social construction activities on competitive actions, sensemaking activities and responses to the pressures of institutional actors, and finally identify the strategies used by entrepreneurs to address the institution that is the health system. In order to answer the questions raised by field observations, this research was organized in three successive parts, exploring three different points of view. The first is that of an external observer to health technology start-ups. The second part is that of the actors around these companies and the third is that of the entrepreneurs themselves. The first part consists of a multiple case study using explanation-building analysis strategy. The study was based on the analysis of press releases (n = 664) and general media articles (n = 627). The sample includes five Canadian companies listed on the Toronto Stock Exchange in the form of four startups that made an initial bid from 2000 to 2003 and a well-established firm. Of these, three were in the health sector, one in the e-commerce sector, while the well-established company was a health electronic infrastructure solutions company. Overall, during the emergence of the company, marketing and symbolic actions, coupled with the use of opinion leaders and high-profile people, were significantly more pronounced with the health-based startups when compared to the firm who was not in the health sector. In the early months of emergence, as communications and signals increased, health-based startups were the only firms to use cognitive and pragmatic legitimacy, relying on cognition rather than personal interest or moral judgment of the actors. In addition, we observed differences in the use of marketing and symbolic actions and also in the use of opinion leaders. This suggests a differential influence of the social construction model and firm type on the level and mix of market actions and sensegiving activities between health and non-health technology companies. The second and third components consist of two sets of semi-structured interviews, where a thematic analysis was used to identify and report themes while organizing and describing the data set thoroughly. For the second part, the sample for semi-structured interviews includes 10 medical specialists, 4 health professionals involved in health technology acquisition, 3 health technology assessment units’ members, and 3 investors in health technologies. We have determined that the acquisition and diffusion of health technologies are increasingly regulated and must respond to increasing pressures from a large number of actors who, conversely, see their agency power diminish. We also found that the pressures to institutionalize practices, as well as the decoupling of the objectives of the health system from those of other actors, are addressed by “political” strategies; the power of key influencers such as investors and medical specialists, as well as mistrust of marketing actions are addressed with “associative” strategies; the pressures arising from the growing need for evidence-based evidence are addressed through “normative” strategies. Finally, the fragmentation of a public health system and the heterogeneity of local procurement processes are approached with “identity” strategies. The third part focuses on how entrepreneurs seize opportunities, create their entrepreneurial organization, and give it legitimacy, and examined the triggers, constraints and pressures involved in this process. The sample for the interviews consisted of 20 entrepreneurs and strategic partners involved in the development and commercialization of health technologies. At each stage, we identified a predominant institutional process, whether it be the decoupling, the influence of the organizational field or the search for legitimation. We found that each stage of the start-up was triggered by situations where the entrepreneur faced barriers and constraints in the form of a misalignment of boundaries, poor performance of competing technologies, and of resource asymmetry. Our findings can help healthcare professionals, decision-makers and evaluators understand the process of adoption and diffusion of health technologies and contribute to the development of procurement procedures through targeted policies and revised processes. For investors, our study allows them to identify the barriers that pace the speed at which new technologies are making their way into clinical practice and the health care system. The results can also provide a framework for developing baseline data to evaluate current and future investments. A better understanding of the differences in health technology startups compared to other startups could help entrepreneurs prioritize competitive actions and better understand perceived intentions and real health needs during the social emergence of the company. For the healthcare system, the results can be used to develop and enrich procurement and evaluation policies and guidelines that will improve access to safe, effective and high quality medical technologies.