Prévost, Sophie, Langues, textes, traitement informatique, cognition (LaTTice), École normale supérieure - Paris (ENS Paris), Université Paris sciences et lettres (PSL)-Université Paris sciences et lettres (PSL)-Université Paris Diderot - Paris 7 (UPD7)-Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), and PREVOST, Sophie
National audience; On ne peut que constater, depuis plusieurs années, le développement des travauxconcernant la grammaticalisation.L'intérêt n'est certes pas nouveau : après une éclipse liée à la déferlante structuraliste,peu favorable à la perspective diachronique inhérente à la grammaticalisation, cettedernière a commencé, dans les années 70, à susciter un regain d'attention. Celui-ci aété favorisé par le développement des travaux typologiques et des linguistiquesfonctionnelles1, qui ont ouvert de nouvelles perspectives, entre autres celles desdimensions pragmatique et synchronique de la grammaticalisation2.Si l'on considère la dernière décennie, cet engouement pour la grammaticalisationapparait nettement, tant en France qu'à l'étranger, qu'il s'agisse d'études de cas ou detravaux à visée théorique.Mais, rançon du succès, la grammaticalisation tend parfois à devenir un label vague,pour ne pas dire « fourre-tout ». Un certain nombre de travaux se réclament en effetde la grammaticalisation de manière abusive : dès lors qu'un phénomène linguistiquese situe dans la grammaire, et en particulier s'il est associé à une rigidification, à uneperte de liberté, on tend à parler de grammaticalisation. Or, au sens strict, cettedernière est supposée être un type de changement impliquant des conditions et desmécanismes, sinon spécifiques, en tout cas précis.Il faut toutefois admettre que la définition et la caractérisation de lagrammaticalisation présentent un certain flou. En effet, il existe bien un noyaudéfinitionnel relativement consensuel3, que l'on peut résumer comme « le mouvementqui conduit un élément linguistique à devenir plus grammatical ». Mais les variationsautour de cette définition ne manquent pas, et, par ailleurs, les mécanismes supposéscaractériser - ou en tout cas être associés à - la grammaticalisation sont loin de fairel'unanimité.Si ce « flottement » explique en partie l'usage parfois abusif du concept degrammaticalisation, il suscite par ailleurs un certain nombre de critiques dénonçant lecaractère imprécis du concept de grammaticalisation : quelle est sa définition exacte ?Quels sont les mécanismes à l'œuvre ?Il est en outre, plus indirectement, à l'origine de fréquentes discussions sur lanécessaire présence de tel mécanisme, et, surtout, sur la nature unidirectionnelle ounon de la grammaticalisation. Indépendamment de la dimension théorique du débat, ils'agit en général de défendre ou de contester l'appartenance de tel changement audomaine de la grammaticalisation.De toute évidence donc, les débats autour de la grammaticalisation ne manquent pas,mais rares sont ceux qui mettent en cause les fondements mêmes de celle-ci. C'estprécisément ce que font plusieurs articles parus dans Language Sciences, en 2001,puisqu'ils interrogent le statut même de la grammaticalisation. Les questionssoulevées sont tout à fait légitimes, et même indispensables, dans la mesure où ellespointent certaines faiblesses bien réelles de la grammaticalisation, et, partant, certainsbiais des débats qui lui sont associés. Les réponses apportées nous semblent enrevanche beaucoup plus discutables, comme le présent article souhaite le montrer4.Les deux questions qui reviennent régulièrement dans ce recueil d'articles, et qui sonteffectivement au cœur de la grammaticalisation, sont celles de l'(uni)directionnalité etdu statut de la grammaticalisation, en tant que phénomène et en tant que théorie. Ellessont liées, ne serait-ce que parce que (uni)directionnalité et statut renvoient à ladouble caractérisation de la grammaticalisation : un mouvement, prioritairementenvisagé d'un point de vue diachronique, qui transforme un élément linguistique enun élément plus grammatical5, mouvement associé à un ensemble de mécanismes.Nous envisagerons dans un premier temps l'(uni)directionnalité.