Malo, Michel, Delaplace, Franck, Barlovatz-Meimon, Georgia, Davesne, Frédéric, Informatique, Biologie Intégrative et Systèmes Complexes (IBISC), and Université d'Évry-Val-d'Essonne (UEVE)-Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS)
Le processus cancéreux est complexe : une pathologie à l'échelle de l'organisme; issue d'un dysfonctionnement moléculaire à l'échelle cellulaire et sous influence du microenvironnement….une dynamique dont nous ne maîtrisons que peu d'éléments. Une analyse de ce processus complexe, nécessite de mieux comprendre comment sont liés les processus observés aux différentes échelles. Une nouvelle protéine "matricellulaire" a été identifiée capable, in vitro, d'induire l'adhésion cellulaire, la réorganisation du cytosquelette d'actine, des changements morphologiques importants et participer au processus de migration cellulaire. L'assemblage moléculaire, formé par cette protéine liée à la matrice extracellulaire et d'autres protéines à la membrane cellulaire, est capable de transduire des signaux biochimiques et biomécaniques à la cellule. La réponse cellulaire à ces signaux peut être évaluée en terme de variation de taux de messagers mais aussi en terme de migration per se. Cette protéine dont la première fonction identifiée est celle d'inhibiteur de l'activateur du plasminogène, ou PAI-1, participe à un réseau de régulation incluant l'activateur du plasminogène, uPA, une serine protéase, et son récepteur spécifique, uPAR. Ces trois molécules sont impliquées dans la dynamique des relations cellules matrice sollicitées au cours de l'adhésion ou de la migration cellulaire. A cette échelle, une première modélisation par la Théorie des Jeux et plus précisément celle des réseaux de jeux nous a permis de décrire cette dynamique et de définir deux états stables correspondants aux comportements cellulaires induits par l'environnement en PAI-1. Son rôle In vivo, PAI-1 est trouvé autour des tumeurs solides les plus invasives et représente un facteur indépendant de mauvais pronostic. In vitro, PAI-1 réunit les pre requis pour être considéré comme une molécule "pro migratoire"; son action est d'autant plus efficace qu'on s'adresse à des cellules plus invasives. Ces cellules cancéreuses ont déjà passé ou "`subi" la transition epithélio-mesenchymateuse (EMT). Cependant, si elles se trouvent dans un environnement très riche en PAI-1, les cellules peuvent alors subir une seconde transition, appelée transition mesenchymateuse-amaebode (MAT). La migration des cellules cancéreuses deviendra alors très différente de la précédente par l'indépendance vis-à-vis des intégrines ou vis-à-vis d'activité protéasique. Il s'agit de la migration "amaebode". L'état cellulaire lié à cette migration est caractérisé par une complète réorganisation du cytosquelette associant l'activation de GTPases de la famille Rho à la formation des anneaux d'actine ("actin rings") caractérisant la morphologie du "blebbing". Une boucle de régulation négative. Nous avons observé dans ces cellules, qu'un environnement très enrichi en PAI-1 entraîne une régulation négative des taux, à l'équilibre, d'ARNm de PAI-1. Si l'on suppose que le taux protéique de PAI-1 secrété par ces cellules baisse lui aussi, cela conduirait progressivement à une modification qualitative de l'environnement. Les cellules se retrouveraient alors dans l'équivalent d'un microenvironnement pauvre en PAI-1. Elles pourraient dès lors retourner à l'état précédent ensubissant la transition MAT inverse. A l'échelle d'une cellule et de son microenvironnement, une boucle d'interactions lie la cellule et l'environnement d'une part, et la membrane au noyau d'autre part. Ici le réseau de régulation qui régit le comportement cellulaire inclut un seuil de concentration (la concentration de PAI-1 qui permet l'activation de RhoA et engage la cellule dans la transition MAT ; la concentration qui permet la transition inverse). Une faible variation de la concentration microenvironnementale de PAI-1 entraîne des conséquences catastrophiques. Les conséquences envisageables d'une seule transition MAT sont disproportionnées par rapport à la cause. En effet, la transition MAT offre à la cellule qui s'y engage la possibilité de s'échapper de la tumeur initiale, d'entreprendre une migration métastasique et grâce à la dynamique du microenvironnement, à la faveur d'une transition-inverse, peut être d'établir une tumeur secondaire. Ceci implique pour la cellule cancéreuse, un arrêt de sa migration et un retour éventuel au comportement prolifératif initial. Pour cela, l'environnement doit être moins riche en PAI-1. La régulation négative du taux d'ARN messagers de PAI-1 pourrait y contribuer. Si tel est le cas, la cellule cancéreuse en migration réduira sa course et elle pourrait alors reprendre sa condition de cellule cancéreuse initiale : proliférer, produire du PAI-1 (une caractéristique de la plupart des cellules cancéreuses invasives) et à nouveau se trouver dans les conditions de la transition MAT. Le point critique de cette situation pourrait être franchi, symétriquement, grâce à la présence ou l'absence d'une seule molécule de PAI-1 dans le microenvironnement de la cellule en question. Cette dynamique des liens cellule/microenvironnement induit un changement qualitatif du comportement cellulaire i.e. la migration. La cellule se retrouve alors dans un autre microenvironnement, entraînant une nouvelle dynamique. L'émergence d'un comportement migratoire ou le retour vers un comportement non migratoire, et peut être prolifératif, est un changement qualitatif, à l'échelle cellulaire. Il conduit à des conséquences d'une toute autre échelle: la création d'une métastase. Cette réflexion soulève de nombreuses questions comme la significativité statistique du comportement d'une population cellulaire de laquelle la probabilité d'échappement concerne moins d'une cellule sur 10000 et dont seulement une infime proportion sera à l'origine d'une tumeur secondaire. Cet événement rare, peut se révéler pourtant essentiel. Dans les avalanches, il est connu que la résultante n'est pas proportionnelle à la cause c'est-à-dire que le système est non linéaire. C'est d'ailleurs cette non linéarité des effets par rapport aux causes qui rend nécessaire une modélisation adéquate pour mieux comprendre le processus en cause. Dans notre exemple, une seule molécule de PAI-1 pourrait-elle jouer le rôle d'amorce de cette avalanche biologique catastrophique conduisant au cancer? La dialectique de la migration d'une cellule cancéreuse Nos observations, réalisées à l'échelle cellulaire et moléculaire, pourraient représenter un microétat (ou état local) du système. Mais c'est à une toute autre échelle de complexité que s'évalue le résultat de l'évolution du processus de migration d'une cellule cancéreuse vers un retour à la phase proliférative. Ce nouvel état, que l'on pourrait qualifier d'émergeant, réunirait les pré requis du développement d'une métastase et représenterait l'état global, ou macroétat. Il apparaît nécessaire de prendre en compte des régulations à de nombreux niveaux (moléculaire, cellulaire, tissulaire) ou de nombreuses échelles (assemblages moléculaires, microenvironnement, populations cellulaires) pour pouvoir modéliser le processus métastatique, dont les conséquences sont mesurées au niveau de l'organe ou de l'organisme. Enfin, est-il pertinent d'évoquer la self organized criticality pour décrire ce que nous proposons d'appeler la dialectique de la migration d'une cellule cancéreuse. *Plasminogen Activator Inhibitor, type 1