International audience; D'une égologie transcendantale à une théorie de l'Ipséité, de celle-ci à une phé-noménologie du christianisme, la pensée de Michel Henry a, comme celle de Maine de Biran, « évolué ». Il serait bon de comprendre ce qui se joue dans cette évolution et quel rôle l'intuition « inouïe » de Maine de Biran a pu y tenir. Deux remarques s'imposent : d'une part, si le premier livre de M. Henry est une exégèse (libre, ô combien !) de l'analyse biranienne de l'ego, il est un « commencement jamais per-du » tant Biran, le « prince de la pensée » 1 , apparaît, dans le panthéon philosophique henryen, comme une figure magistrale, et son héritage jamais démenti : le phénomé-nologue de la vie ne cesse de s'en inspirer-reprenant jusqu'à son dernier opus ses concepts majeurs, et au premier chef celui de « continu résistant »-, et de lui rendre systématiquement hommage comme au découvreur du dualisme ontologique. Le point de départ chronologique donc-si l'on excepte la maîtrise sur Spinoza-est l'émotion majeure que procura à M. Henry la lecture de Biran 2 : l'émotion de-vant l'élucidation de l'être de l'ego, devant la découverte d'une ontologie phénomé-nologique de l'ego 3. D'autre part, quand Henry se penche sur l'évolution de la pen-sée de Biran, il la comprend précisément non pas comme une évolution ni même comme une suite de « conversions », mais comme un mouvement d'approfondissement 4 de l'intériorité elle-même. De ce qu'on nomme, faute de mieux, la « dernière philosophie » de Biran, M. Henry retient en effet la doctrine de la « troisième vie » 5 qu'il réhabilite jusqu'à affirmer que « c'est dans la connais-sance de soi, en effet, que nous devons lire qu'elle est semblable à la connaissance 1 PPC, p. 12. 2 Relatant dans des entretiens sa « seconde grande émotion », la lecture de saint Paul et de l'évangile de Jean, M. Henry affirme : « J'étais dans mon élément dans la mesure où, depuis ma rencontre avec Maine de Biran en 1946, je suis porté à considérer l'action comme plus essentielle que la pensée » (E, p. 130-131). Et si l'on délaisse les confidences biographiques : « Mais quand donc ce bouleversement émotion-nel qui ouvre le vivant à sa propre essence se produit-il et pourquoi ? Nul ne le sait. L'ouverture émotion-nelle du vivant à sa propre essence ne peut naître que du vouloir de la vie elle-même, comme cette renaissance qui lui donne d'éprouver soudain sa naissance éternelle. L'esprit souffle où il veut » (CMV, p. 291). 3 Tandis que l'histoire de la philosophie ne présente tout au mieux que des « figures » de la subjectivité. 4 PPC, p. 251. 5 Et il condamne la théorie de la croyance et de l'absolu (faite en partie sous l'influence d'Ampère) qui contredit selon lui l'essence même de la découverte biranienne : seul le relatif (la « vie de relation » selon Biran ou vie personnelle) est l'absolu.