International audience; Aux environs de 24 a.C. un personnage, nommé Marcus Vitruvius Pollio dans les manuscrits, publiait un recueil de dix livres De architectura. C’est l’époque à laquelle Tite-Live a déjà achevé le premier livre de son Histoire romaine, l’époque à laquelle Horace publie ses Odes, à laquelle Virgile travaille à l’Enéide. Ces auteurs sont passés rapidement à la postérité et leurs œuvres n’ont cessé d’être lues jusqu’à aujourd’hui. Vitruve a connu un destin tout à fait différent : ignoré de ses contemporains (du moins dans la littérature qui nous a été conservée), il est cité par Pline dans l’index des auctores de trois livres des Questions Naturelles, il est probablement question de lui dans un passage de Frontin sur l’introduction à Rome d’un nouveau calibre pour les tuyaux d’adduction d’eau et ensuite il ne réapparaît qu’à partir du début du IIIe siècle p.C. où il est abrégé par Cétius Faventinus. Dès lors sa notoriété ne cesse de croître, mais principalement sous sa facette de l’« architecte » au sens moderne du mot. Déjà Cétius Faventinus a « oublié » de résumer la partie de son traité qui concerne la mécanique (mais il résume les livres sur l’hydraulique et la gnomonique). Au Ve siècle, Servius le cite à propos de vocabulaire « architectural », Sidoine Apollinaire le nomme à deux reprises en tant que symbole de l’architecte. A la Renaissance, Vitruve devient la référence pour les nouveaux constructeurs de l’Europe occidentale. Pourtant, à cette époque aussi, l’auteur de la première édition illustrée de Vitruve, Fra Giocondo, consacre proportionnellement plus d’illustrations au livre X, sur la mécanique, qu’aux autres volumes, montrant par là son intérêt pour cette partie du De architectura. Ceux que l’on appelle les « ingénieurs de la Renaissance », Francesco di Giorgio ou Léonard de Vinci par exemple, lisent Vitruve et leur profil est souvent proche de celui de l’architectus latin ; ainsi ce mot gagnerait en clarté à être traduit en français par « ingénieur » et architectura par « ingénierie ». C’est en tout cas à cette facette du métier de Vitruve que nous nous intéressons ici en essayant de préciser, à la lumière des études récentes, qui était réellement Vitruve, en quoi consistait son métier, ce qu’était un architectus romain au Ier siècle a.C. En nous appuyant sur le riche contenu de la recherche autour des sciences et des techniques de l’Antiquité accumulé récemment, nous revenons ensuite sur la partie de son traité consacrée à la machinatio : décrit-il ce qu’il a lu dans des traités grecs ou latins ? des machines contemporaines ? des inventions ? Nous terminons par son rapport à l’écriture en ne le regardant pas comme un architecte-écrivain, ce qui a déjà été fait plusieurs fois, mais comme un ingénieur-écrivain. Qu’a-t-il voulu faire ? A qui s’est-il adressé ?