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J’avais demandé un cabinet. On m’en donna un dans la cour. Le cabinet fermait avec une serrure de bois à côté de l’écurie. On me donna pour plume une plume de dinde. Grands usages de papier peint rouge et bleu. Une jeune fille m’a dit qu’à L’Aigle il y avait beaucoup de pourpres excepté dans la rue Saint-Barthélemy, mais que l’air était fort bon à Glos d’où elle était.

Il m’en coûta trente sous pour mon souper qui fut fort bon. J’eus abattis de poule et asperges. Parti à six heures et demie. Temps charmant. Observation vraie. Tous arbres ont à présent des feuilles, ce qui n’est pas le cas à La Trappe. Superbes pommiers tous blancs, d’autres roses, d’autres en partie ouverts et clos, d’autres semés sur des bouquets verts en bouton de carmin. Charmante odeur. Je m’assis sur des fleurs, à l’ombre des fleurs qui tombaient sur moi. Je laissai toujours la rivière...

J’ai mangé de la lingue. Ce poisson dont on fait peu de cas, est bon au goût et n’a d’autre défaut que d’être un peu ferme, mais la chair de l’esturgeon ne l’est pas moins. On lui trouve beaucoup d’œufs qu’il serait possible peut-être de préparer comme les œufs de l’esturgeon si vantés sous le nom de caviar, ce qui se fait, en mettant un peu de sel et les mangeant crus. On pourrait préparer ainsi beaucoup d’œufs de la morue. Vive, poisson de mer. Trois sortes d’huîtres, grosses, celles du par...

Temps très beau continue. Pourquoi la vie des villes de province ennuyeuse et pleine de troubles ? Hommes veulent se connaître, trop se pénétrer, curieux des autres. Voilà pourquoi babillards, ennuyeux. Nature cache ses opérations, ne laissant apparaître que ses fruits de loin en loin. Elle voile tout et plaît par son unité. Espèces de navires. De toute l’économie animale voilà moitié nécessaire à l’homme. On remarque le banc de marne au bord de la mer qui, probablement, fait le fond du large...

Ce texte expose les prémices d’une thèse en chantier actuellement à l’université du Havre sous la direction d’Éric Wauters, un travail de recherche sur la problématique des rapports entre la mémoire et l’identité locale à travers l’histoire des hommes et des textes qui ont passé cette mémoire, durant les trois premiers siècles d’existence du port et de la ville du Havre. S’interroger sur les rapports et interactions entre mémoire et identité revient à faire en quelque sorte l’archéologie de c...

La veille, un religieux, pendant le réfectoire, fut se coucher à plat ventre au milieu du réfectoire et fut se remettre à sa place, ce qu’ils font quand ils ont taché leur serviette, fait un peu de bruit avec leur pinte. Voix mélancoliques résonnent en voûtes, en ogives. Quatre saints tout blancs. Je fus à la grand-messe à neuf heures. Un religieux se coucha dans le chœur jusqu’au Pater. Je fus obligé d’envoyer à trois-quarts de lieue de là, à Soligny, chercher du tabac. Il y a des vieillards...

Figure I – Première page du manuscrit Le 1er juin 1773, Bernardin de Saint-Pierre écrit à son ami Pierre-Michel Hennin : « Depuis six mois, je n’ai plus ni état, ni revenu, et j’ai même une espèce de procès avec le libraire auquel j’ai vendu mon Voyage à l’Isle de France, quoique je lui en aie fait un fort bon marché. » Commence alors pour lui ce que Pierre de Vaissière appelle « les années d’obscurité et de misère » : « Dieu sait pourtant combien depuis son retour il en a adressé de ces dema...

Je fus à la messe paroissiale à l’église située à un petit quart de lieue, près d’un coteau où il y a des carrières d’où l’on a tiré des pierres. Le paysan me parut mieux étoffé et d’un meilleur tempérament qu’aux environs de Paris. La dame emmena dîner avec elle une petite fille d’une naïveté singulière. Elle était jolie, disait à table : « Donnez-moi de ça. Je ne mange point de ça. » N’aimait point sa sœur. Quand on lui demandait si elle était jolie : « Oh ! elle est blonde », dit-elle. Édu...

Superbe beau temps, les toits sont couverts de gelée blanche. Remarquer la différence de terre, habitants, habits de l’autre côté de la rivière. À sept heures et demie, ayant payé mon souper d’un pigeon trois sous, je descendis sur le bord de la rivière. Temps superbe, vapeur blanche répandue sur le superbe canal. Bac de l’autre côté. Je fus l’attendre aux Capucins et je vis le cours. Le forçai de redescendre jusqu’à nous. Je m’embarquai seul et nous traversâmes sur le champ la rivière. Nous ...

Je fus chercher des plantes. Ces lithophytes ou plantes marines mises dans l’eau douce déchargent une couleur pourpre et rose. On pourrait peut-être en tirer une teinture.

Dans son premier livre, le Voyage à l’Île de France, Bernardin de Saint-Pierre, après avoir décrit le fruit du cocotier qui, selon lui, a été « fait pour flotter et pour germer ensuite dans les sables », écrit : Chaque graine a sa manière de se ressemer qui lui est propre ; mais cet examen me mènerait trop loin. Peut-être l’entreprendrai-je un jour ; et ce sera avec un grand plaisir. L’étude de la nature nous dédommage de celle des hommes : elle nous fait voir partout l’intelligence de concer...

Temps toujours pluvieux, heureusement je suis arrivé et me porte mieux. Le mauvais temps a duré tout le temps de mon séjour à Rouen jusqu’au 9. Un vieil habitant m’assura qu’on comptait plus de deux cent mille âmes. Nos vaisseaux y viendraient sans le banc de Quillebeuf et plus haut. N’y pourrait-on pas faire un canal ? Départ le 9 mars à onze heures du matin. Je grimpe avec peine le Mont-aux-Malades du haut duquel on voit des îles charmantes au-dessus et au-dessous de Rouen qui se trouve au ...

Au matin, en me levant, je vis tous les toits voisins couverts de neige. Adieu le beau manteau. Ma cousine Féret vint me dire adieu. Je déjeunai avec de grosses huîtres. Mme Blondel vint voir ma sœur. Nous causâmes familièrement jusqu’à neuf heures, et venant à dire à Mme Blondel : « Ah cela ! Il est temps de partir ! », la voilà tout à coup à fondre en larmes. Ma sœur laissa tomber sa tête. Moi, prévoyant cette séparation à laquelle j’étais préparé, je fus ému et me contentai de dire : « Je ...

Dons le contexte du développement d’une nouvelle discipline, la « géographie littéraire », Sonia Anton nous propose de concevoir une carte littéraire de la ville, à travers une sélection critique d’œuvres évoquant Le Havre. Terre de questionnements transdisciplinaires, la « géocritique » du Havre ainsi proposée s’avère complète et vaste en raison de l’histoire de la ville, de la nature du corpus littéraire et de l’identité même de la cité. Depuis les historiographes de l’âge classique jusqu’aux auteurs contemporains qui ont chanté la « poétique du béton », les représentations de la ville ont considérablement évolué, formant un voyage imaginaire et littéraire que retrace aujourd’hui cet ouvrage. Cette déambulation est rythmée par des contributions portant sur des auteurs aussi bien classiques que modernes, français et étrangers. L’ouvrage accueille également des études sur les représentations picturales et cinématographiques de la ville. Il donne enfin la parole à des auteurs contemporains.

figure 2 – Carte de voyage de Bernardin de Saint-Pierre.

Je fus du côté de Pourville, le long de la mer. On entendait dans le haut des rochers, sur la gauche, le bruit des flots qui roulent le galet, répété comme s’il y avait eu une mer aérienne. Au-dessus les falaises éloignées, nuages redoublés comme un second rang. Je vis tomber des pierres de la hauteur de la montagne successivement. Je vis des moutons paître sur le bord des précipices où homme n’eût osé aller. L’ignorance du danger ôte la crainte. Berger avec son chien pointer qui regardait la...

Quoique le commerce d’ivoire soit bien tombé en France par la beauté de la marqueterie et parce que cette matière jaunit, il y a à Dieppe beaucoup d’ivoireries qui font une multitude de petits ouvrages : tabatières, étuis découpés à jour, sculptés avec une patience extrême. Je fus chez un ivoirier, homme de goût, appelé le Flamand. Dans un coin de sa boutique étaient rangés en piles une multitude d’os de bœuf. Cet os est le plus plein de tous. Il jaunit moins vite que l’ivoire, mais il est pl...

Le temps étant beau, après avoir déjeuné et fait mes adieux, je partis, accompagné du fils de la maison, faisant route comme l’on dit ici, vers les neuf heures du matin, c’est-à-dire vers le sud-est. Il me laissa à Bellou à une lieue de là. Ensuite je descendis seul aux Moutiers-Hubert à travers la forêt de bouleaux et de hêtres. Je traversai le vallon qui est agréable et montai sur la hauteur où est une grande lande de bruyère. Avant d’arriver à Bellou le seigneur d’un endroit où nous passâm...

La géocritique du Havre Les études réunies dans cet ouvrage rassemblent, pour partie, les contributions d’un colloque qui s’est tenu à l’université du Havre les 22 et 23 mars 2012. Il s’agissait du deuxième colloque consacré aux représentations littéraires de la ville. Le premier, en janvier 2011, avait donné lieu à la publication Le territoire littéraire du Havre dans la première moitié du xxe siècle, initiant aux Presses universitaires de Rouen et du Havre la collection « Le Havre : territo...

Je sortis à quatre heures et demie du matin, fort content de mon hôte qui m’avait pour trente sous donné plat de raie, près d’une bouteille de vin. Je montai. Le soleil ne paraissait point encore. La montagne sablonneuse de Pontchartrain. Le chemin est coupé dans la montagne dont les lits sablonneux de soixante à quatre-vingts pieds d’élévation. Il y a dans leur partie supérieure des blocs de grès disposés en couches horizontales. Et un malheureux petit garçon et sa sœur ramassaient du bois m...

Une grande partie de l’intrigue de La Bête humaine se déroule entre la faculté des sciences et le restaurant universitaire de l’université du Havre. Cet espace était occupé par la gare du Havre jusqu’à ce qu’une partie de son emprise, correspondant aux marchandises, soit dévolue à une usine à gaz puis à l’université. Le Havre est mentionné à une centaine de reprises dans le roman, qui se passe « d’un bout à l’autre », dit Zola, sur la ligne Paris-Le Havre. Un train « express » met quatre heur...

On ne se représente pas a priori Le Havre comme une ville cinématographique. Sans doute la mémoire et l’identité récentes de la ville reconstruite, dont les éléments s’agencent à nouveau au fur et à mesure que passe le temps, ont oblitéré la possibilité d’une perspective rétrospective structurante qui permettrait une analyse à l’échelle d’une centaine d’années. Il faut peut-être pour cela revenir aux sources de cette table rase, pour saisir les phénomènes qui sont en jeu. On peut penser, que,...

Le curé M. Hamelin me montra un pré qu’il avait bonifié par des rigoles, ensuite son église fort propre. Bonne Vierge et Enfant-Jésus avec grande perruque jaune, saint Gilles avec un visage terrible, courte taille. Il s’habillait derrière l’autel. Pendant que nous causions, le curé et moi, la meunière est survenue, lui donnant douze sous et quatre deniers [?] pour [?] espèce de pierre amalgame de brique et de caillou. Dîner à Tubœuf avec M. de Lamoigne. Vu mon cousin charpentier et j’ai été c...

Je vis les pressoirs. Le cidre se fait de pommes écrasées dans des auges circulaires où l’on fait tourner deux grandes roues qui les écrasent. On porte les marcs dans un pressoir. Le pain vaut à Livarot deux sous la livre, la viande cinq sous. Compensation singulière de ceux qui n’ont point de terre et de ceux qui en ont. Pour ceux-ci, procès, jalousie, chasse, envie ; pour les autres, ombrages frais, vallons, troupeaux paissant, douces images qui s’évanouissent pour le possesseur. Le sieur P...

Je passai à la poissonnerie. J’y vis des raies monstrueuses, des nègres tachetés de noir, des [?] estimées, des [?] dont on fait peu de cas. Il y avait des lingues, espèce de grosse morue dont on fait peu de compte. Ce poisson est long. Des petits chiens de mer en quantité, comme des petits brochets, des grosses huîtres qu’on pêche le long de la côte. Les huîtres du parc sont entassées les unes sur les autres dans un parc de claies. Homards, crabes, araignées de mer. Il semble qu’une illusion...

Les travaux consacrés à Bernardin de Saint-Pierre ont été longtemps des approches littéraires appliquées à Paul et Virginie. Or, si l’esthétique de Bernardin est l’héritière d’une éducation littéraire, il est une culture qui distingue profondément son œuvre, la culture des ingénieurs. La seconde moitié du xviiie siècle a en effet vu naître plusieurs écoles préparant à divers domaines des arts et des sciences appliqués. Ces écoles avaient en commun un idéal de réforme économique et social. Leu...

Parti à quatre heures du matin. Brouillard épais. Enfant allant à Notre-Dame des Prés. Messe entendue. Femmes allant à un quart de lieue de La Trappe en gaieté. Portaient alternativement deux tourtes chacune de douze livres de cinquante-sept sous. Fait bon s’aider. Paysans insensibles aux beautés de la nature. Aimez-vous les fleurs ? Je n’aime point les bouquets et les oiseaux beaux, ce sont de petits piauleurs. Donné par un comte du Perche dont les armes ont des têtes de loups. Dans les bois...

Il fit tout le jour, comme la veille, un très mauvais temps, pluie, vent, grêle, et je me félicitai d’être bien à l’abri, dans la pensée que le beau temps succéderait puisqu’il tombe, année commune, une quantité d’eau à peu près égale. Ce serait une réflexion qui ne répandrait pas peu de joie dans la vie à l’arrivée de quelque malheur, de réfléchir qu’il y a pour tous une compensation des maux à peu près égale et qu’on est heureux de supporter un mauvais événement en considérant qu’on est à l...

Demandes à faire à monsieur G. : Si le château d’Arques est bien ancien. Combien d’hommes au Pollet ? S’il a des mémoires sur la pêche de Dieppe. Temps où les poissons fraient. Vu des feuilles aux ormes du cours de Dieppe. Vu Marthon Ferrand, huîtrière, dit-on, de M. de Marigny. [Fumeuse de ?] poisson. Fille très vive, très naïve. Histoire de Jean Manière, matelot du Pollet, racontée par ma sœur. Il était venu porter ses plaintes de gens qui avaient voulu, disait-il, l’assassiner. Il apportai...

Je dormis bien et fus réveillé par le froid. Le lit étant en pente, tout avait coulé. J’ouvris ma croisée et m’aperçus qu’il avait fortement gelé. De plus, j’aperçus qu’il y avait une grande chatière à ma porte et que l’air entrait à son aise par la cheminée où j’avais aperçu le grand jour, mes contrevents fermés. Au reste le ciel était très beau. Mes pieds un peu douloureux. Je sortis. Descente au village et château d’Ouville. Chemin très mauvais. Obligé d’enjamber les fossés. Gens obligeant...

Il fit fort mauvais temps, ainsi que le dimanche. Il avait gelé et neigé le matin. Bien aise de voir le temps qui se purge. On parle volontiers de ce qui est rare. Les moines parlent beaucoup de la guerre et de la cour, gens de guerre et de mer, d’agriculture et de règnes. À Paris, d’amitié. Je n’y ai vu que des confédérations. Quoi ! Voyager seul et avec de l’argent ! N’avais-je pas dans ma poche la plupart des gens du pays où je passais à mon service, leurs denrées, au point que je pouvais ...

À quatre heures du matin je sortis de Nonancourt après avoir payé l’hôte qui ne me demanda qu’une livre quatre sous pour toute dépense. Il y avait dans l’air de mai quelque chose qui m’empêchait de dormir. Sortant de Nonancourt, sur la droite, on trouve un château avec un parc superbe coupé de canaux. Au bas coule la rivière. C’était une multitude incroyable de rossignols. J’avais envie de les saluer, les uns nichés dans la haie autour des vignes sur le chemin, d’autres bien loin dans les aul...

Née en 1743, sœur cadette de l’écrivain Jacques-Henri-Bernardin de Saint-Pierre, Catherine passe sa vie dans l’ouest de la France. Si son frère découvre la Russie, Malte, les Mascareignes, la Pologne et bien d’autres terres lointaines, elle ne connaîtra pas même Paris. Elle passe son temps entre des maisons de parents et des couvents : elle séjourne brièvement à Honfleur puis s’installe à l’hôtel-Dieu de Dieppe, où elle est longtemps pensionnaire – sans avoir jamais été tentée, à la différenc...

Je fus chercher avec le chevalier du houblon le long du ruisseau. Nous en trouvâmes chez le meunier dont la femme et les enfants nous en offrirent et en cueillirent. En repassant à travers une cour, un jeune et pauvre paysan d’une figure intéressante vint à moi et me 5 dit : « Que vous êtes gentil ! » Il caressait mon habit. Il était fou. Ce jeune homme avait eu les fièvres pourpres au milieu de l’hiver et, tout nu, grimpait dans les arbres en [?]. Pourpres et maladies fort communes à Lisieux...

Écrit plusieurs lettres. Dans la plupart des vallons on remarque une cuvette au flanc des collines où les eaux ont dû couler plus fortement ou plus longtemps.

Je fus le long de la mer du côté du nord-est. Je trouvai plusieurs espèces de plantes marines. 1er) Filaments verts communs, semblables à de la soie, comme ceux qui s’attachent aux parties des vaisseaux couverts et découverts. 2e) Feuilles vertes et tendres ondées, croissant sur la marne parmi le varech brun. 3e) Long varech brun, semblable à un nerf, terminé par de larges feuilles comme celles de poireau. 4e) Autre varech terminé par une feuille très large, inégale et 10 couverte de vésicule...

Je pris successivement dans trois gros verres d’eau tiède les trois grains. M. de Marguerie m’apporta lui-même le troisième. Ils me firent faire des efforts fortifiants inutiles et me mirent pendant plusieurs heures dans un état de faiblesse et d’anxiété. Ma vue se troubla pendant plus d’une heure. Enfin le remède agit par bas. Nous apprîmes que le domestique de Mme Dussaussoi avait la maladie de Livarot. Ce mal est très contagieux. À considérer tous les maux de la vie, de la société, du passé, ...

Sonia Anton. – Paul et Virginie a-t-il donné lieu à de nombreuses adaptations au cinéma ? Sébastien Cléro. – Non, et c’est paradoxal, car le récit de Bernardin de Saint-Pierre est souvent considéré comme emblématique du genre romanesque. Si l’on excepte Les Liaisons dangereuses, il s’agit d’ailleurs là d’un symptôme qui touche beaucoup de romans de cette époque (Rousseau et Marivaux par exemple n’ont quasiment pas été adaptés à l’écran). Ce fait est très surprenant étant données les potential...

Bernardin de Saint-Pierre est un écrivain né au Havre qui ne parle pas du Havre. Est-ce à dire que son esprit n’est pas empli de tout ce que représente Le Havre ? Paul Valéry, dans le Cimetière marin, évoque la terre comme l’espace d’un long repos bordant « la mer, la mer toujours recommencée », la mer aux reflets changeants, source de curiosité et d’inquiétude. Ce regard des hommes riverains de la mer, Bernardin l’a connu dès son enfance au Havre, ayant la cité comme point de vue sur cette m...

Georges Simenon a toujours manifesté son attirance pour les fleuves, les canaux et la mer et l’élément liquide a effectivement marqué une grande partie de sa production romanesque. Il n’est pas étonnant alors que Le Havre et Fécamp aient été le décor de plusieurs grands romans de Simenon. Le romancier belge, né à Liège en 1903, a eu dès son plus jeune âge le spectacle de la Meuse qui traverse la grande cité wallonne : le fleuve était en quelque sorte le poumon de cette ville industrielle, mai...

Petite pluie fine par grumeaux très féconde. Quand on voit tomber ces pluies, on dit qu’il avrile. J’ai vu ce matin des chênes avec des feuilles naissantes. Le hêtre doit en avoir. Boutons de chêne comme grains de froment ; ceux de hêtre comme longs grains d’avoine. Le noyer et la vigne vont avoir des feuilles. L’érable commence à entrouvrir ses boutons. Après la pluie nous sortîmes. Tout avait reverdi. On voyait sur le coteau briller parmi les bouleaux et les coudriers verts les tiges fleuri...

Je partis de Paris le 1er mars 1775. Avant mon départ, j’avais vu plusieurs marronniers des Tuileries avec des feuilles et des amandiers en fleurs. D’autres avaient leurs boutons éclatés comme noix cassées. Les ormes des boulevards chargés de fleurs, de leurs houppes brunes. Je vins à Neuilly dont le pont simple est noble, tout de niveau, formé de cinq arches. Pierre d’un excellent gros grain de Normandie. Il serait à souhaiter que tous nos édifices publics, bâtis d’une pierre molle qui se po...

Nous mîmes à sec le ruisseau en le faisant passer dans un autre canal afin de le pêcher. Nous y trouvâmes des petites truites et des cabots. Sur les poissons, de très petits lepas en quantité. Un insecte ou tarière aquatique fort singulier : c’est un ver qui a des pattes et qui s’enfonce dans un étui formé de morceaux de bois ou de petits cailloux, follicules qui se rapportent comme de la marqueterie par leurs angles, comme les teignes qui s’enveloppent de laine. Quant aux lepas de la grosseu...

Baiser Baiser de protection sur le front, d’amitié sur les joues, de parenté sur [-]. Matelots du Pollet passent leur vie au cabaret. Leur quartier plein de traiteurs. Il n’y avait point de mets. Dame Blondel, invitée parmi les malheureuses femmes très capables, lavent sa vaisselle, lui apportent son dîner. Délicate, sensible, malheureuse faisant ses commissions. Les gens du peuple n’osent prononcer le nom de certains animaux. Je trouvai une paysanne qui nous dit qu’elle vendait des « vêtus d...

Je vis tirer des choux pommés, très bien conservés dans la terre du jardin où on avait enfoui la plante tout entière et ce depuis le mois de novembre. Invention utile pour les vaisseaux. Pommiers dont les fruits très acides se conservent deux ans et restent tout l’hiver à l’arbre. À quarante ans, espérance en Dieu diminuée, moins d’ardeur. Le temps des espérances passé. Quoi ! il n’est pas arrivé ! Suis-je au port ? Tant de maux évités. La vie pour tous n’est-elle pas un combat ? Que sont don...

Mon débiteur que j’ai vu ne veut pas payer parce qu’il sait que le contrat est perdu. Je vais aujourd’hui chez le curé afin d’obtenir un acte par lequel il reconnaisse l’avoir reçu. On compte une [lieue] et demie à Saint-Martin-des-Prés sur la route de La Trappe. Il serait utile qu’il y eût un journal des causes civiles simple, clair, non pour faire valoir comme tant de journaux la réputation de tel avocat, mais pour mettre au jour par l’exposé du fait la mauvaise foi de tel client, pour répr...

Je fus conduit par le fils de la maison chez une dame de leurs amies demeurant à demi-lieue de Livarot, appelée Mme Dussaussoi. On trouve à mi-chemin un chêne renommé appelé « Les cinq frères ». Ce nom me plut. C’est un tronc divisé presque dès le pied en cinq gros [troncs ?]. Bonne coutume de donner des noms agréables et sensibles à tous les pays. Heureuses grâces dont les arbres rappelaient quelque trait de grandeur, d’humanité. Ici telle action passée, là une jeune fille. Au lieu que chez ...

Par le plus beau temps du monde, la servante vint m’avertir à sept heures du matin qu’un batelier m’attendait. Ce batelier n’avait personne et m’offrit de me faire faire six lieues à bon marché pour trente sous. Il s’arrangea avec moi. Parti à huit heures. Paysage offre sur la gauche une longue et raide côte couverte de bois taillis, sur la droite des appentis de plaine. Nous descendîmes à travers des îles couvertes de saules, d’autres de prairies. Le murmure de l’eau [-] et les palissades à ...

Au lever du soleil je vis la campagne couverte d’une gelée blanche. Eau d’une pièce d’eau, formée d’une fontaine si claire que je vis nager à plusieurs pieds des perches et des carpes au fond. Le maître sortit encore pour affaire. Il s’occupait à apaiser des [procès ?], consulté par ses voisins, sur des plantations, sur leurs édifices. En s’établissant, il avait éprouvé des paysans de mauvais tours jusque-là qu’il vit lui-même un d’eux donner sur la jambe de sa jument un coup de faux. Mais, à...

L’illustration de Paul et Virginie représente l’exemple même du tournant majeur qu’ont pris au xviiie siècle les relations entre poésie et peinture, dans le sens où le livre à gravures prend de l’ampleur. Les écrivains eux-mêmes expriment leur intérêt pour l’illustration de leurs romans, comme en témoignent les longues pages de Bernardin de Saint-Pierre consacrées aux sept gravures de l’édition de 1806 ainsi que sa correspondance. Mais surtout, lui-même emprunte aux codes de la peinture pour ...