Albertan-Coppola, Sylviane, Boutry, Philippe, Cuchet, Guillaume, Franceschi, Sylvio Hermann De, Hours, Bernard, Krumenacker, Yves, Langlois, Claude, Laurant, Jean-Pierre, Masseau, Didier, Meyer, Frédéric, Milbach, Sylvain, Parmentier, Élisabeth, Prudhomme, Claude, Scholl, Sarah, Sorrel, Christian, Veca, Ignazio, Hours, Bernard, Meyer, Frédéric, and Milbach, Sylvain
Le péché originel qui joue dans l’histoire du christianisme la partition de la basse continue, est-il un objet d’étude pour l’historien ? On peut en douter si on se fie à la bibliographie où dominent surtout des travaux de théologiens, et aussi de philosophes. Pourtant, il s’agit d’un dogme clé du christianisme qui intéresse l’historien : outre que s’y fixe une bonne partie de la pratique sacramentelle, il met en jeu une conception de l’humanité dont découle une conception de la société et de l’ordre social, du mal, de la souffrance, de la liberté, de l’homme et de la femme. C’est entre le xviiie et la fin du xixe siècle que le dogme essuie les critiques les plus radicales et que le débat sur le péché originel change de statut : il n’est plus seulement l’objet de polémiques doctrinales confessionnelles entre catholiques et protestants. Le dogme soulève de plus en plus de répugnances et d’incompréhension : dans l’opinion savante, convoquant les nouveaux savoirs sur l’homme et sur la nature, le péché originel passe du statut « ce n’est pas possible » à celui où « ce n’est plus possible ». L’apologétique catholique a eu fort à faire pour défendre le dogme. La coïncidence entre le lent épuisement de sa signification socialement reconnue et l’avènement de la société « d’opinions » ne saurait se réduire au processus caricatural d’effacement d’une « légende ». La critique, outre l’historicité du récit de la Chute, touche plus largement à la dimension anthropologique du dogme (la nature du mal) et à ses conséquences en termes civilisationnels (la notion de progrès). Ces deux plans sont intimement dépendants et affectent à terme les comportements, les représentations de l’humanité et de la société. La perte de crédit du péché originel ou ses réinterprétations ont favorisé la thèse du royaume de Dieu possible sur terre, et ont légitimé un droit au bonheur et à l’égalité. Il est alors question d’une vraie révolution anthropologique qui devait précéder une reconfiguration de la cité des hommes. Baudelaire n’écrivait-il pas : « Théorie de la vraie civilisation. Elle n’est pas dans le gaz, ni dans la vapeur, ni dans les tables tournantes, elle est dans la diminution des traces du péché originel » ? Is original sin, which plays the basso continuo in the history of Christianity, an object of study for the historian? This is doubtful, given the bibliography, which is dominated by works by theologians and philosophers. However, it is a key dogma of Christianity that is of interest to the historian: in addition to the fact that a large part of sacramental practice is based on it, it brings into play a conception of humanity from which stems a conception of society and the social order, of evil, of suffering, of freedom, of men and women. It was between the eighteenth and late nineteenth centuries that the dogma came under the most radical criticism and that the debate on original sin changed its status: it was no longer simply the subject of doctrinal polemics between Catholics and Protestants. The dogma increasingly aroused repugnance and incomprehension: in scholarly opinion, drawing on new knowledge about man and nature, original sin went from being "not possible" to "no longer possible". Catholic apologetics had its work cut out defending the dogma. The coincidence between the slow exhaustion of its socially recognised meaning and the advent of a society of "opinions" cannot be reduced to the caricatural process of erasing a "legend". In addition to the historicity of the story of the Fall, the criticism also touches on the anthropological dimension of the dogma (the nature of evil) and its consequences in civilisational terms (the notion of progress). These two aspects are intimately linked and ultimately affect behaviour and the way humanity and society are represented.The loss of credit for original sin or its reinterpretations have favoured the thesis that the kingdom of God is possible on earth, and have legitimised a right to happiness and equality. We are talking about a genuine anthropological revolution that should precede a reconfiguration of the city of man. Didn't Baudelaire write: "Theory of true civilisation. It does not lie in gas, steam or turntables; it lies in reducing the traces of original sin"?