Située à la croisée de l'histoire sociale, l'histoire environnementale et l'histoire de l'automobile, cette thèse de doctorat se penche sur les risques environnementaux de l'automobile à Montréal durant les long sixties. Elle cherche à comprendre comment et pourquoi l'automobile, un important symbole de prospérité et de progrès dans l'après-guerre, est devenue pour de nombreux Montréalais un risque pour la santé et l'environnement. Dans un premier temps, cette thèse explore les façons dont divers acteurs sociaux aux intérêts variés, incluant les experts, l'État, les citoyens, le mouvement environnemental et les mouvements sociaux en général, ont contribué à identifier les risques environnementaux de l'automobile en se basant sur différents savoirs. En montrant comment la conception de ces risques et des façons de les contrôler varie d'un groupe social à un autre, en fonction de leurs valeurs et contraintes, nous soulignons leur nature socialement construite. À cet égard, cette thèse se réfère à la théorie culturelle du risque élaborée par Mary Douglas. Dans un deuxième temps, elle met à profit la théorie des nouveaux mouvements sociaux afin de comprendre la nature de la politisation et de la mobilisation à l'égard des risques environnementaux de l'automobile dans le contexte de la mouvance contestataire caractérisant Montréal et la scène internationale plus largement. Les experts fonctionnaires ont d'abord participé à la construction d'un savoir scientifique leur permettant de définir ce risque et de formuler l'idée que le monoxyde de carbone est présent en quantité suffisante dans la ville pour causer des intoxications. Ce savoir scientifique et technique, qui s'accompagne d'une autorité privilégiée dans la société, participe ainsi à légitimer l'idée que la pollution automobile représente un risque. Ces experts véhiculent toutefois une conception étroite de ce risque, qui se concentre sur la pollution de l'air et ne remet pas en cause les forces sociales, politiques et économiques qui permettent cette pollution. Ils se tournent également vers des solutions de nature technique ou technologique, et cherchent peu à politiser ces risques. Ces experts n'ont toutefois qu'une influence mitigée sur les gouvernements les employant, qui, pour leur part, ne priorisent pas ce risque. Les experts extragouvernementaux, issus essentiellement du monde universitaire, utilisent quant à eux leur statut d'expert afin de s'imposer dans le débat public et de présenter leur propre vision des risques de la pollution automobile, beaucoup plus alarmiste que celle présentée par les fonctionnaires. Afin de gérer ces risques, ils suggèrent d'abord une réflexivité accrue face aux processus de modernisation à leur source et proposent de mieux instruire la population. Ultimement, ils veulent inciter les citoyens à s'engager davantage, car ces derniers représentent selon eux la seule force politique capable d'influencer les gouvernements. Dès lors, ces experts amorcent une politisation de ces risques. Le troisième groupe social qui contribue à la construction de ces risques est formé d'associations fondées dans la foulée de l'émergence du mouvement environnemental, dont la Société pour vaincre la pollution (SVP), la Society to Overcome Pollution (STOP), Sauvons Montréal, le Monde à bicyclette (MàB) et la Fédération québécoise du cyclotourisme (FQC). Contrairement aux experts fonctionnaires et extragouvernementaux, les groupes environnementaux légitiment leur présence sur la scène publique et leurs discours par le savoir hybride qu'ils détiennent, basé à la fois sur certaines données empruntées aux experts, sur leurs propres études scientifiques et sur leur connaissance intime de l'environnement montréalais. Les critiques que ces associations adressent à l'automobile reflètent les premières préoccupations du mouvement environnemental et concernent essentiellement sa contribution à la pollution de l'air et la destruction de l'environnement urbain qu'elle provoque. Cette thèse montre que ces associations environnementales sont également profondément influencées par la mouvance contestataire marquant la scène montréalaise et internationale. Ce faisant, elles ont articulé leurs critiques de l'impact environnemental de l'automobile aux préoccupations de plusieurs autres mouvements sociaux, comme la contreculture, les mouvements de femmes, le mouvement syndical, le socialisme et d'autres mouvements citoyens concernés par la qualité de vie urbaine. Ces critiques s'accompagnent ainsi d'une forte résonnance sociale, en dénonçant l'automobile pour les injustices qu'elle renforce, parce qu'elle est un objet d'oppression des femmes et parce qu'elle représente un symbole des abus du capitalisme. Le contexte contestataire des années 1960 et 1970 influence également les stratégies de ces organisations afin de se mobiliser et de politiser ces risques. À l'instar des associations issues d'autres mouvements sociaux, ces groupes ont insisté sur le besoin de renforcer la participation démocratique des citoyens aux processus décisionnels. Finalement cette thèse aborde également la controverse provoquée par la construction de l'autoroute est-ouest en 1970-1970 à Montréal. Cette étude de cas nous permet d'illustrer plusieurs observations et conclusions formulées dans notre thèse. Elle permet ainsi de voir qu'au tournant des années 1970, l'automobile en vient à être perçue comme un risque social et environnemental et que plusieurs acteurs sociaux ont considéré la participation démocratique des citoyens comme étant la principale solution face à ces risques. ______________________________________________________________________________ MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : automobile, risques, savoir, expertise, pollution, mouvement environnemental, mouvements sociaux, culture politique, Montréal, long sixties.