L’auteur se donne comme objet de discuter de la valeur philosophique et scientifique de la contribution de Paul Ricoeur quant à l’écriture de l’histoire, plus particulièrement au regard du rapport entre l’objectivité et la subjectivité et du rôle de l’intentionnalité dans l’historicité et le devenir. Pour ce faire, il organise son analyse autour des trois tomes de Temps et récit (1983-1985) où Ricoeur oppose à l’autosatisfaction triomphaliste de l’école des Annales sa proposition de dialogue entre la philosophie et l’histoire. L’auteur passe en revue un certain nombre de réactions aux propos de Ricoeur (entre autres de Certeau, Chartier, Rancière, Duby) et compare sa position à celle d’autres historiens et philosophes anglophones (entre autres celle de Dray, von Wright, Danto, White, Taylor). Ces discussions lui permettent d’explorer systématiquement la pensée du philosophe-historien. On est ainsi amené à constater que, pour Ricoeur, la pratique historienne est en tension constante entre l’objectivité, à jamais incomplète, et la subjectivité du regard méthodique qui doit se déprendre d’une partie de soi-même. Cette tension, précise Ricoeur, régit le « contrat de vérité » qui guide l’investigation historienne et fonde sa méthode et où la subjectivité de réflexion se trouve engagée dans la construction même des schémas d’intelligibilité. Il n’est donc pas étonnant alors que l’objet de Temps et récit soit de penser l’articulation du temps qui doit apparaître avec le temps qui est conçu comme condition des phénomènes. C’est ce qui fonde le projet herméneutique de Ricoeur, c’est-à-dire rouvrir le passé, revisiter ses potentialités à la lumière de l’intentionnalité du locuteur analysant. Ce projet ne pouvait que mener Ricoeur à s’interroger sur l’événement et son sens. À ce propos, l’auteur souligne ici l’importance de la contribution du philosophe au moment où la mondialisation de l’information fait que la totalité sociale connaît une extraordinaire dilatation de l’histoire, ce qui constitue une présentification conduisant à une expérimentation nouvelle de l’historicité, où l’événementialité est redéfinie comme approche d’une multiplicité de possibles et où la lecture historienne de l’événement n’est plus réductible à l’événement étudié, mais envisagée dans sa trace située dans une chaîne événementielle, donc à l’intérieur d’un processus. Sur cette base, on comprend alors toute l’importance de la contribution de Ricoeur à l’histoire du temps présent et l’incidence de ses travaux sur le rapport entre histoire et mémoire, dans lesquels cette dernière est elle-même érigée en objet historique. L’auteur souligne que ce renversement a une valeur heuristique, car il permet de mieux comprendre l’indétermination des possibles ouverts pour les acteurs, indétermination où l’intentionnalité subjective des acteurs prend tout son importance dans la détermination du régime d’historicité, ce dernier étant traversé par la tension entre l’espace d’expérience et l’horizon des attentes. C’est ce qui fait que le régime d’historicité est toujours ouvert vers le devenir et ne peut être la simple projection d’un projet social pensé et fermé sur lui-même, la logique d’action maintenant toujours ouvert le champ des possibles., The author discusses the philosophical and scientific value of Paul Ricoeur's contribution to the writing of history. In particular, he focuses on the relationship between objectivity and subjectivity and the role of intentionality in historicity and destiny. To do so, the analysis is organized around the Temps et récit in three volumes (1983-1985), in which Ricoeur opposes his proposition concerning the dialogue between philosophy and history to the self-satisfied triumphalism of the Annales School. The author reviews a variety of reactions to Ricoeur (among others: de Certeau, Chartier, Rancière, Duby) and compares his position to those of Anglophone historians and philosophers (among others: Dray, von Wright, Danto, White, Taylor). These discussions permit a systematic exploration of the thought of the philosopher-historian. This leads to the realization that, for Ricoeur, the historian's practice is in constant tension between an always incomplete objectivity and the subjectivity of the methodological gaze which must always depend on a part of itself. This tension, argues Ricoeur, regulates the "truth contract" which guides historical investigation and grounds its method in which the subjectivity of thought is engaged in the very construction of frameworks of intelligibility. It is therefore not surprising that Temps et récit is devoted to thinking through the articulation of time which must appear with the notion of time conceived as a condition of historical phenomena. It is precisely this which is the basis for Ricoeur's hermeneutic project, i.e., reopening the past, revisiting its potentialities in light of the intentionality of the analyst. This project could only lead Ricoeur to reflect upon events and their meanings. In this regard, the author emphasizes the importance of philosophy's contribution at a time when the globalization of information has led to a conjuncture in which the social totality is experiencing a dilation of history. This has produced a presentification leading to a new experience of historicity, in which historical facticity is redefined as an approach involving a multiplicity of possibilities and the historian's reading of events, no longer reducible to the event in question, is viewed rather as a trace situated in a chain of events and therefore within a process. On this basis it is possible to understand the importance of Ricoeur's contribution to the history of the present, as well as the impact of his work on the history-memory relationship, which is itself presented as an historical object. This reversal has an historical value because it allows for a better understanding of the indeterminate character of the possibilities open to actors, an indeterminacy in which the subjective intentionality of actors assumes an importance in the determination of the regime of historicity, inasmuch as the latter is traversed by the tension between the space of experience and the horizon of expectation. As such, the regime of historicity is always open towards the future and cannot be a mere projection of a social project closed upon itself, the logic of action always keeps open the field of possibility., El autor se propone discutir el valor filosófico y científico de la contribución de Paul Ricoeur al tema de la escritura de la historia, particularmente a la relación entre la objetividad y la subjetividad, y el rol de la intencionalidad en la historicidad y el devenir. Para eso organiza su análisis sobre la base de Temps et récit, tres libros (1983-1985) donde Ricoeur opone a la autosatisfacción triunfalista de la escuela de los Annales su proposición de diálogo entre la filosofía y la historia. El autor examina algunas de las reacciones a los dichos de Ricoeur (entre otras las de Certeau, Chartier, Ranciare, Duby) y compara su posición con las de otros historiadores y filósofos de habla inglesa (entre otros: Dray, von Wright, Danto, White, Taylor). Estas discusiones le permiten explorar sistemáticamente el pensamiento del filósofo-historiador. Se constata de esta manera que, para Ricoeur, la práctica historiadora se halla en tensión permanente entre la objetividad, siempre incompleta, y la subjetividad de la mirada metódica que debe deshacerse de una parte de si misma. Esta tensión, aclara Ricoeur, rige el «contrato de verdad» que guía la investigación histórica y funda su método; y donde, además, la subjetividad de la reflexión se halla comprometida en la construcción misma de los esquemas de intelegibilidad. No debe sorprender entonces que el objeto de Temps et récit sea pensar la articulación del tiempo que debe aparecer con el tiempo concebido como condición de los fenómenos. Eso es lo que funda el proyecto hermenéutico de Ricoeur, es decir reabrir el pasado, volver a sus potencialidades a la luz de la intencionalidad del que analiza. Este proyecto debia conducirle a interrogarse acerca del evento y su sentido. En relación a esto, el autor recalca la importancia de la contribución del filósofo cuando la mundialización de la información hace que la totalidad social conozca una extraordinaria dilatación de la historia, lo que constituye un hacer presente que conduce a una nueva experiencia de la historicidad; donde la cualidad de evento es redefinida como aproximación a una multiplicidad de posibles y donde la lectura histórica del evento no es más réductible al evento estudiado, sino que es encarada desde la huella que deja en una cadena de eventos, dentro de un proceso. Asi se comprende toda la importancia de la contribución de Ricoeur a la historia del tiempo presente y la incidencia de sus trabajos sobre la relación historia-memoria, en los cuales esta última es ella misma erigida como objeto histórico. El autor subraya que este giro tiene un valor heurístico dado que permite comprender mejor el carácter indeterminado de las posibilidades abiertas para los actores; pero se trata de una indeterminación donde la intencionalidad subjetiva de los actores adquiere toda su importancia para la determinación del régimen de historicidad, siendo este último atravezado por la tensión entre el espacio de experiencia y el horizonte de la expectativas. Esto es lo que hace, subraya Ricoeur, que el régimen de historicidad sea siempre abierto al devenir y no pueda ser la simple proyección de un proyecto social pensado y cerrado en si mismo, dado que la lógica de acción mantiene siempre abierto el campo de las posibilidades.