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Un peu moins de dix ans après sa création et au lendemain de l’arrivée des trithérapies, Act Up-Paris, association de lutte contre le sida issue de la communauté homosexuelle, se dote en 1997 d’un groupe interne dédié à la gestion de ses archives et autres ressources documentaires. Enquêter sur le dispositif mis en place par ce groupe amène à réfléchir aux différentes fonctions que peuvent revêtir l’archivage et la mémoire en contexte militant. L’Archive est une mémoire des morts, le lieu centralisant les traces d’actions passées qui témoignent des rapports de force face aux pouvoirs publics, espace d’apprentissage pratique et politique, facteur de continuité et de transmission entre générations. Jusqu’à ce que ce processus d’accumulation ne devienne un véritable « problème »… matériel. En 2013, Act Up-Paris est placée en redressement judiciaire. Face à la menace de sa disparition, le choix est fait de confier ses archives aux institutions étatiques. Or, ce sauvetage patrimonial n’est pas dépourvu d’ambivalence quant à son sens et à ses effets. Revenir aux manières de concevoir l’archive et la mémoire des militants et militantes d’Act Up-Paris permet justement de percevoir, au fil du temps, les transformations et les tensions dans lesquelles elles sont prises. In 1997, a little less than a decade after its founding, and just after the arrival of triple combination therapies, Act Up-Paris, an association created within the homosexual community to fight against AIDS, created an internal group for the management of its archives and other documentary resources. Investigating the set-up developed by the group raises questions about the different functions archiving and memory can serve in an activist context. The Archive became the memory of the dead, a place centralizing the traces of past actions that expressed the power relations with public authorities, a space for practical and political education, and a factor of continuity and inter-generational transmission. At least until this process of accumulation became a real material ‘problem’. In 2013, Act-Up Paris was near bankruptcy. Faced with the threat of its disappearance, the association chose to transfer its archives to public institutions, but the meaning and impact of this rescue of a cultural heritage remain ambivalent. Reviewing the ways the archive and the memory of the activists of Act-Up Paris were conceived allows us to perceive the transformations and tensions accompanying them over time.

Qu’il s’agisse de sections mises en place au sein d’institutions muséales existantes (Muséum national d’histoire naturelle, Cité des sciences et de l’industrie, Historial de la Vendée) ou d’établissements entièrement conçus pour le jeune public (le Musée en Herbe, le Préau des Accoules, etc.), les musées pour enfants fleurissent aussi timidement que tardivement dans l’Hexagone, à considérer leur multiplication outre-Atlantique, et ce, dès la toute fin du xixe siècle. À l’heure où se forge le concept s’en distinguent en France les musées d’éducation ou musées pédagogiques, plus anciens, qui s’adressent quant à eux prioritairement aux enseignants, tandis que s’en rapprochent les musées scolaires. Ce faisant, l’étanchéité des modèles ne recouvrant pas celle des réalisations, les frontières se brouillent permettant l’émergence à Paris, au sein du Musée pédagogique, d’un musée des Poupées que fréquentent les enfants et où s’exposent, en miniatures, l’histoire et la géographie de la diversité costumière. Confrontant cette expérience singulière, dont le dénouement s’avère loin d’être prémédité, à celles menées concomitamment au Brooklyn Children’s Museum, premier du genre, l’analyse met en exergue l’enfance d’un certain sens du patrimoine, faisant la part belle à la participation et à l’expérience. Compared with the spread of children’s museums in North America – a phenomenon dating back to the very end of the 19th century – France’s initiatives, whether the special sections set up within existing museum structures (the Museum national d’Histoire naturelle and the Cité des sciences et de l’industrie in Paris, the Historial de la Vendée in the Loire region) or new institutions entirely conceived for young visitors (the Musée en Herbe in Paris, le Préau des Accoules in Marseilles, etc.) have been slow in coming. When the concenpt first emerged, educational museums, which were older and mainly addressed at teachers, were distinguished from the slightly later school museums created by pupils in class. These hermetically separate models did not necessarily correspond to the end results, however, and the blurring of the borders permitted, for example, the creation of a doll museum within the Musée Pédagogique in Paris, where children could discover in miniature form the history and geography of clothing styles. By comparing this singular experiment and its unanticipated outcome with those carried out at the pioneering Brooklyn Children’s Museum in New York, this analysis highlights the ‘childhood’ of a certain approach to cultural heritage that favours participation and direct experience.

Le 15 avril 2019, l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris provoque une émotion internationale. En France, cet événement surgit à l’intérieur d’un autre, tout aussi brûlant : le mouvement social inédit des Gilets jaunes qui bat son plein depuis cinq mois déjà. Le soir de l’incendie, une allocution présidentielle devait clore le « grand débat national » censé répondre à la contestation. L’incendie reporte l’allocution et importe l’émotion patrimoniale au cœur de la mobilisation sociale. L’émotion est d’emblée polémique et politique. Sur les réseaux sociaux puis dans la rue ou sur les ronds-points, les Gilets jaunes doivent réagir à l’événement et le prendre en charge dans leur agenda depuis leur position spécifique. Ces diverses réactions et actions illustrent l’inventivité propre au mouvement tout en offrant un observatoire sur les enjeux politiques contemporains du patrimoine. On 15 April 2019, the fire that ravaged the Notre Dame Cathedral in Paris provoked great emotion worldwide. In France, however, this event emerged within another one: the unprecedented gilets jaunes (‘yellow vests’) social movement that had been in full swing for five months. The evening of the fire, a speech by French President Emmanuel Macron was scheduled to close the ‘great national debate’ organised in response to the protests. The fire put the speech on standby and put heritage emotion at the centre of the social mobilisation. This emotion was immediately polemical and political: on the social networks, and then in the streets or at the roundabouts, the gilets jaunes had to react to the event and integrate it into their own specific agenda. These different reactions and actions illustrate the movement’s particular inventiveness but also offer an observation post for analysing the contemporary political stakes of the cultural heritage.

Dans cet entretien mené par Sarah Gensburger, Monica Eileen Patterson met en avant un courant émergeant parmi les pratiques curatoriales que de plus en plus de musées, partout dans le monde, sont en train d’encourager : la curation par les enfants. Donner l’occasion aux enfants d’organiser des expositions profite de multiples façons aux musées qui cherchent à rendre leur offre plus vivante et stimulante, car le jeune public est expert en matière d’innovation, de créativité et d’interactivité. En prenant part de manière critique aux expositions organisées par les enfants, les universitaires, et de façon plus large les membres de la société, peuvent trouver un précieux aperçu de comment les enfants voient et vivent les choses. En tant qu’importants acteurs sociaux et détenteurs de savoir, les enfants ont beaucoup à apprendre au monde qu’ils habitent, pour peu que les adultes autour d’eux les écoutent. Dans cet entretien, Monica Eileen Patterson présente sa vision d’une nouvelle muséologie critique par les enfants, et le rôle essentiel que joue le curatoriat mené par les enfants dans ce domaine. Elle explique comment s’est développé son intérêt pour le sujet, les contributions que les enfants curateurs peuvent apporter à la pratique muséologique, et les défis rencontrés par les enfants et les musées lorsqu’ils s’engagent dans cette démarche. In this interview by Dr. Sarah Gensburger, Dr. Monica Eileen Patterson discusses an emerging subfield of curatorial practice being facilitated by more and more museums around the world: child curating. Creating opportunities for children to curate exhibitions offers many benefits to museums seeking to animate and enliven their offerings, for children are experts of innovation, creativity, and interactivity. By critically engaging with exhibitions curated by children, scholars and members of society more broadly can gain valuable insights into young people’s perspectives and experiences. As important social actors and knowledge-bearers, children have much to teach the world they inhabit, if only the adults around them will listen. In this interview, Patterson lays out her vision for a new, critical children’s museology and the crucial role of children’s curating within it. She shares how her interest in this field developed, the contributions child curators can make to museological practice, and the challenges children and museums face in taking this work forward.

Depuis un quart de siècle, l’École nationale des chartes a fait l’objet d’un grand nombre de publications, toutes collectives, issues pour certaines de colloques et journées d’études. Il est à noter que toutes sont, sans exception, liées à l’École de manière plus ou moins formelle, soit qu’elles aient été éditées directement par elle, soit que les directeurs d’ouvrage y soient en poste, ou, à tout le moins, en soient issus. En outre, leur rythme s’est accéléré ces derniers temps, à mesure qu’...

Depuis 2010, Arles est début décembre le théâtre d’une manifestation singulière célébrant une cinquantaine de fillettes arborant pour la première fois la vêture traditionnelle des jeunes filles de la Belle Époque. Ces enfants deviennent, à l’issue d’une présentation solennelle assortie d’un défilé et d’un spectacle, des Mireillettes, des petites « Mireilles ». Une référence à l’héroïne du poème en langue provençale de Frédéric Mistral (1830-1914). Désignée d’emblée par son initiatrice comme une invention de la tradition, cette fête est surinvestie de références et s’inspire des nombreuses cérémonies régionalistes initiées dès la deuxième moitié du xixe siècle. Cependant, en s’adressant à un jeune public, elle se veut le premier rite de passage d’un itinéraire costumier de la tradition scandant, selon les groupes folkloriques et les érudits locaux d’aujourd’hui, les âges de la vie. Organisée par l’association Festiv’Arles, cette cérémonie théâtralisée dépasse, cependant, la simple transmission de codes vestimentaires d’autrefois ; elle renvoie aux enjeux qui traversent la communauté des « gens du costume traditionnel ». Elle éclaire la démarche identitaire telle que la formulent ces adultes et offre potentiellement un renouvellement générationnel de cet entre-soi fondé sur une interprétation du passé dont le costume traditionnel est le témoin. Elle se présente également comme un lieu de transmission où les acteurs de la tradition partagent un corpus inédit de savoirs relatifs à la Provence et à son histoire. Enfin, cette fête des Mireillettes offre une tribune privilégiée pour affirmer le présent des valeurs mémorielles du territoire arlésien. Une manière de revendiquer une juste place dans la cité pour ce patrimoine de la tradition, un patrimoine immatériel qui conjugue savoir-faire et représentations mentales, et reconstruit un passé toujours en devenir. Every December since 2010, the city of Arles has been the setting of a singular event celebrating some fifty little girls dressed for the first time in the traditional costume of young women of France’s Belle Epoque. At the end of a formal ceremony accompanied by a parade and a performance, these children become ‘Mireillettes’, or ‘little Mireilles’, a reference to the heroine of a poem written in the Provençal language by Frédéric Mistral (1830-1914). As its founder recognises, this festival is an invention of tradition; abounding in local references, it draws on many regionalist ceremonies introduced in the second half of the 19th century. By addressing itself to a young audience, however, it aspires to be the first rite of passage along the itinerary of clothing traditions that, for today’s folklore groups and local experts, mark the steps of life. But this carefully orchestrated ceremony, organised by the association Festiv’Arles, goes beyond the simple transmission of the dress codes of another era. It touches on questions that are shared by those who consider themselves the ‘People of the Traditional Costume’ and thus sheds light on the adults’ own approach to identity. It potentially opens the way for a generational renewal of their self-segregation that is based on an interpretation of the past through the traditional costume. It is also a locus of transmission, where the protagonists of the tradition share the unfamiliar corpus of knowledge about Provence and its history. And ultimately, the festival provides a singular tribune for affirming the memorial values of the territory known as the Pays d’Arles. It is a way of claiming a just place in the society for this traditional heritage, an intangible culture that combines know-how and mental representations to reconstruct an ever-evolving past.

Dans le Haut Vallespir, les adultes organisent depuis plusieurs décennies des versions enfantines des fêtes de l’Ours qu’ils considèrent comme un trésor culturel dont ils veulent assurer la pérennité. Si les fêtes des adultes reposent sur une vision très genrée des relations sociales, cette dimension est en revanche totalement absente des fêtes destinées aux enfants auxquels les connotations sexuelles des pratiques ne sont pas transmises. L’article explore la façon dont cette désexualisation transforme en profondeur non seulement la fête des enfants et la répartition des rôles entre hommes et femmes, mais également celle des adultes, la fête des petits fonctionnant comme une sorte de laboratoire des évolutions possibles. In the Haut Vallespir (Pyrénées Occidentales department), adults have been organising children’s versions of the Festes de l’Os, the ‘Bear Festivals’ which they hold to be a cultural treasure that they seek to preserve. While the adults’ festivals are rooted in a highly gendered vision of social relations, this dimension is totally absent from the festivals for children, where the sexual connotations of the practices are not transmitted. This article explores the way such a desexualisation profoundly transforms not only the children’s festival and the division of roles between men and women, but the adults’ festival as well, insofar as the youngsters’ event functions as a kind of laboratory for possible changes.