Certains historiens allemands tiennent Huizinga pour responsable de la rupture avec André Jolles à Amsterdam le 9 octobre 1933 : Huizinga ne souhaitait pas fréquenter plus longtemps un nazi. Mais ils ne tiennent pas compte de ce que Huizinga note dans son autobiographie de 1947 Mijn weg tot de historie [Mon chemin vers l’histoire] à propos de leur amitié : « jusqu’à ce qu’elle se brise en 1933, pas par ma faute ».Alors, à qui la faute ? J’ai tenté d’imaginer un scénario, partant d’un incident qui se produisit le 11 avril 1933 à l’Université de Leyde. Lors d’un congrès international, Huizinga, en tant que Recteur, avait interdit la présence de Johannes von Leers, chef de la délégation allemande, connu pour son antisémitisme affiché. L’Allemagne réagit violemment : Huizinga reçut un Einreiseverbot (interdiction d’entrer en Allemagne) et un Vortragsverbot (interdiction de faire des conférences) et deux de ses œuvres traduites en allemand se retrouvèrent plus tard dans la liste des schädlichen und unerwünschten Schrifttums (liste des ouvrages nuisibles et non souhaitables). Par esprit de vengeance, von Leers aurait obligé Jolles à rompre avec Huizinga. Toutefois ce scénario n’exclut pas une autre hypothèse. Comme il est généralement admis, Huizinga, en provenance de Leyde, et Jolles, de Leipzig, se trouvaient le 9 octobre 1933 à Amsterdam. Le 8 octobre, André doit avoir appris par sa fille Jeltje, établie à Francfort-sur-le-Main, que son fils Jan Andries, en tant que delegado de la Comintern en route de Moscou vers le Brésil, ferait un séjour à Amsterdam. André, qui éprouvait pour son fils de l’amour mêlé de haine, comprit que Jan se trouvait en danger. Il contacta Huizinga, le priant de le rencontrer le jour suivant à Amsterdam. Là, il supplia Huizinga de faire usage de son influence auprès des autorités afin que Jan échappe à l’arrestation par la police, les nazis étant sans aucun doute à sa recherche. Aussi une extradition vers l’Allemagne signifierait pour Jan le camp de concentration. Mais Huizinga n’aurait pas satisfait à la demande. De ce fait Jolles mit fin à leur amitié et retourna sans résultat à Leipzig. La présence de Johan Huizinga, André Jolles et Jan Andries Jolles à Amsterdam le 9 octobre 1933 ne peut être l’effet du hasard. Le scénario présenté correspond à la définition du terme : « cours supposé des événements ». This paper concerns the question, why two eminent representatives of the history of civilization, Johan Huizinga (1872–1945) and André Jolles (1874–1946), separated in 1933 after an inspiring friendship that had lasted more than thirty-five years. Some historians of today tend to assume that in 1933 Huizinga rejected Jolles as a friend because of Jolles’ membership of the NSDAP. I come to the conclusion that this was not the reason and that—inadvertently—a third person led to their separation.