Cet article s’intéresse aux enjeux familiaux, sociaux et institutionnels de la construction d’une forme d’« autonomie intime » par les jeunes femmes dans le contexte de la Turquie contemporaine. Dans cet article, l’« autonomie intime » renvoie à l’idée selon laquelle l’individu est défini comme « auteur de ses activités » dans sa vie privée et sexuelle. Les jeunes femmes célibataires, font souvent l’objet d’une double représentation : à la fois considérées comme de potentielles victimes sexuelles ou des corruptrices morales, elles sont soumises à une surveillance qui s’exerce au nom de la « protection ». La famille est la principale structure responsable de cette « protection », et l’espace domestique reproduit des mécanismes de contrôle visant à réguler le corps et la sexualité des jeunes femmes. Mais comment cela continue-t-il si les jeunes femmes s’éloignent de la zone de surveillance ? Le cas des étudiantes partant à Istanbul pour leurs études universitaires constitue un cadre pertinent pour l’étude de cette question. L’article fait l’hypothèse que cette mobilité, considérée au premier abord comme une échappatoire aux normes sexuelles en vigueur, ne signifie pas pour autant un voyage linéaire vers l’émancipation sexuelle. Les habitations estudiantines jouent ici un rôle important. Afin d’éclairer les relations existantes entre jeunes femmes, intimité, espace et structures de contrôle, l’article examine d’abord les rapports de pouvoir au sein de l’espace domestique et les marges de manœuvre dont disposent les jeunes femmes habitant chez leurs parents. Ensuite, le départ à Istanbul et les nouveaux espaces habités (les résidences étudiantes et les (co)locations) sont présentés. Ces logements, surveillés par les institutions et les résidents des quartiers où ils sont situés, prennent en charge le rôle de la famille patriarcale concernant la « protection » morale des femmes. J’appelle ces espaces des « espaces domestiqués » car visant la « domestication » d’une sexualité féminine redoutée en l’absence de contrôle familial, tout en étant des espaces façonnés par les subjectivités des jeunes femmes. La « domestication » patriarcale de la sexualité des femmes et des espaces privés ne veut pas dire une obéissance totale des jeunes femmes, les tactiques de contournement sont ainsi analysées. A travers des exemples tirés du terrain, j’illustre comment l’agentivité (agency) individuelle et la résistance quotidienne s’articulent avec le respect de la morale collective. Ces jeunes femmes participent ainsi de ce processus de domestication patriarcale tout en le contournant. Enfin, la non-linéarité de l’émancipation sexuelle, le passage à l’âge adulte et l’évolution des rapports de genre et intergénérationnels sont étudiés à travers le suivi des allers-retours des jeunes femmes entre espaces domestiques et domestiqués. L’article conclut que les règles de ces espaces n’empêchent pas les femmes de rechercher les voies conduisant à l’émancipation sexuelle, et qu’elles construisent leur individualité et leur accès à la sexualité au carrefour de normes sexuelles et d’attentes morales différentes. Une autre conclusion importante est faite sur l’évolution des structures de pouvoir, notamment au sein du logement parental où les relations familiales sont marquées à la fois par le conflit, la divergence, le compromis, la négociation, la solidarité et l’affection. À cet égard, l’article prend en compte le caractère mouvant des relations et des espaces. Cet article utilise des données obtenues dans le cadre d’une recherche en master à l’EHESS. Il s’appuie sur une enquête sociologique menée entre 2018 et 2020 auprès de jeunes femmes installées à Istanbul sans leurs proches. Ces jeunes femmes – âgées entre 20 et 25 ans, étudiantes ou récemment diplômées – avaient intégré des universités publiques ou privées d’Istanbul et habité dans les résidences étudiantes et en (co)locations. L’enquête de terrain a consisté à mener des entretiens individuels semi-directifs regroupant des questions sur le départ du domicile familial et l’installation à Istanbul, l’évolution des rapports familiaux suivant la mobilité géographique et la construction de l’autonomie intime dans une recherche de liberté sexuelle. Les entretiens effectués ont été accompagnés par une ethnographie de terrain consistant à faire des observations et des conversations informelles dans des lieux de socialisation estudiantine, parmi lesquels des campus d’universités, cafés, bars et boîtes de nuit. This article focuses on the familial, social and institutional issues related to the construction of a form of “intimate autonomy” by young women in the context of contemporary Turkey. In this article, “intimate autonomy” refers to the idea that the individual is defined as the “author of their action” in their private and sexual life. Young unmarried women, often viewed as potential sexual victims or corrupters of the moral order, are subject to surveillance in the name of “protection.” The family is the main structure responsible for this “protection”, and the domestic space reproduces mechanisms of control that aim to regulate young women’s bodies and sexualities. But how is control exercised when young woman physically moves away from family’s surveillance? The case of female students going to Istanbul for their university studies provides a relevant framework for the study of this question. The article makes the hypothesis that this mobility into the city, which is considered at first sight as an escape from the dominant sexual norms and from parental control, does not however mean a linear journey towards sexual emancipation. Student accommodations play an important role here. In order to shed light on the relationship between intimacy, space, young women and structures of control, the article first examines the power relations within the domestic space by describing the leeway available to young women living with their parents. Then, the departure to Istanbul and the new living spaces (student dormitories and (co)rentals) are presented. These residential spaces are regulated by institutions which are in charge of maintaining the moral order and of undertaking the role hold by families in regards to the moral “protection” of women. I call these spaces “domesticated spaces” where “taming” women’s sexuality is at play in the absence of parental control. I take inspiration from the researches of Suad Joseph (1997) who shows the fluidity of boundaries between what she defines as the governmental, non-governmental and domestic spaces, to explain the permeability of moral values from one space to another. The patriarchal “domestication” of women’s sexuality and of private spaces is not unanswered, thus the article analyzes the tactics of circumvention and so-called conformism. Through some examples taken from my fieldwork, I illustrate how individual agency and daily resistance are articulated with the respect for the collective morality. Finally, the non-linearity of sexual emancipation, the transition to adulthood and the evolution of gender and intergenerational relations is studied through the following of the back-and-forth journeys of young women between domestic and domesticated spaces. The article concludes that the rules of these spaces do not refrain women to search for ways leading to sexual emancipation. It also underlines that these women construct their individuality and their access to sexuality at the crossroads of different sexual norms and moral expectations. Another important conclusion is made on the changing of power structures, especially within the parental house where family relationships are marked simultaneously by conflict, divergence, compromise, negotiation, solidarity and affection. In this regard, the article takes into account the moving nature of relationships and of spaces. This article uses some of the data I collected during a master’s research at the EHESS. It draws from a sociological survey conducted between 2018-2020 among young women living in Istanbul without their families. These women, most of them being heterosexual and aged between 20-25, were mainly issued from middle-class families from different towns and villages in Turkey. At the time of my enquiry, they were students or recent graduates. They had integrated public or private universities in Istanbul and lived in student dormitories or in (co)rentals. The field survey consisted in conducting semi-structured individual interviews bringing together questions about their experience of leaving the family home and settling in Istanbul, but also about the evolution of gender and family relations following student mobility to Istanbul. These interviews were accompanied by observations and informal conversations which took place in different spaces of student socialization, such as university campuses, cafes, bars, or nightclubs. يهتمّ هذا المقال بالقضايا العائلية والاجتماعية والمؤسساتية لبناء شكل من «الاستقلالية الحميمة» من قبل الشابات في سياق تركيا المعاصرة. ففي هذه المقال، يشير مصطلح «الاستقلالية الحميمة» إلى فكرة تعريف الفرد كـ«صانع لأنشطته» في حياته الخاصة والجنسية. وغالبًا ما تكون الشابات العازبات موضوع تمثيل مزدوج: حيث يتم اعتبارهن في آن واحد ضحايا جنسياتٍ محتمَلات أو مفسِدات للأخلاق، فإنهن يخضعن لمراقبة تُمارَس عليهن باسم «الحماية». والأسرة هي البُنية الرئيسية المسؤولة عن هذه «الحماية»، والفضاءُ المنزلي يعيد إنتاج آليات التحكم التي تهدف إلى تنظيم الجسد والحياة الجنسية للشابات. ولكن كيف يستمر هذا إذا ابتعدت الشابّاتُ عن منطقة المراقبة؟ إنّ حالة الطالبات اللواتي يذهبن إلى اسطنبول من أجل دراستهن الجامعية تشكِّلُ إطارًا ملائمًا لدراسة هذه المسألة. فالمقال يفترض أن هذا التنقل الذي يعتبر للوهلة الأولى هروبًا من الأعراف الجنسية السارية لا يعني رغم ذلك رحلة خطية نحو التحرر الجنسي. حيث إن مساكن الطلاب تلعب هنا دورًا مهمًا. من أجل تسليط الضوء على العلاقات بين الشابات والحميمية والحيّز المكاني وبُنَى التحكُّم، يَدرُس المقال أولاً علاقات السلطة داخل الفضاء المنزلي وهوامش المناورة التي تمتلكها الشابات اللواتي يعشن في أهلِهِنَّ. بعد ذلك، يَعرِض رحلةَ اسطنبول والفضاءاتِ الجديدةَ المأهولة (سكن الطلاب والإيجارات (المشتركة)). إن هذه المساكن التي تخضع لمراقبة المؤسسات وسكَّان الأحياء التي تضمُّ هذه المساكن تتكفّل بدور الأسرة الأبوية في «الحماية» الأخلاقية للمرأة. وأُسَمِّي هذه الفضاءات «فضاءات مُدَجَّنة» لأنها تهدف إلى «تدجين» الجنس الأنثوي الذي يشكّل مصدر خَؤف في ظل غياب مراقبة الأسرة، مع أنها فضاءات تشكلها النزعات الذاتية للشابات. إن «التدجين» الأبوي للحياة الجنسية للمرأة والفضاءات الخاصة لا تعني طاعة كاملة للشابات، وهكذا سيتم تحليل أساليب التحايل. من خلال أمثلة مستقاة من ميدان البحث، فأُوضِحُ كيف تترابط الفاعلية الفردية والمقاومة اليومية مع احترام أخلاق الجماعة. وهكذا تُشارِكُ هؤلاء الشاباتُ في عملية التدجين الأبوي وهنّ يتحايلنَ عليها في الوقت نفسه. وفي نهاية المطاف، سنَدرُس لاخطية التحرر الجنسي والانتقال إلى مرحلة البلوغ وتطور العلاقات الجندرية والعلاقات بين الأجيال من خلال متابعة تحركات الشابات ذهابًا وإيابًا بين الفضاءات المنزلية والفضاءت المُدَجَّنة. ويخلص المقال إلى أن قواعد هذه الفضاءات لا تمنع النساء من البحث عن طُرُق تؤدِّي إلى التحرر الجنسي ومن أنْ يَـبـنـينَ فرديتهُنَّ ووصولهن إلى الحياة الجنسية عند مفترق طرق بين الأعراف الجنسية وما يُنتظَر منهنَّ على الصعيد الأخلاقي. وتوصّلنا إلى استنتاج آخر مهم حول تطور هياكل السلطة ولا سيما داخل منزل الأهل حيث تتميز العلاقات الأسرية بالنزاع والاختلاف والتسوية والتفاوض والتضامن والمودة. وفي هذا الصدد، يأخذ المقال في الاعتبار الطبيعة المتغيرة للعلاقات والفضاءات. يستخدم هذا المقال البيانات التي تم الحصول عليها ضمن إطار بحث الماجستير في مدرسة الدراسات العليا في العلوم الاجتماعية EHESS. ويعتمد على مسح سوسيولوجي أُجريَ بين عامَي 2018 و 2020 بين الشابات اللواتي يَسكُنَّ في إسطنبول بدون أقاربهن. إنَّ هؤلاء الشابات - اللواتي تتراوح أعمارهن بين 20 و 25 عامًا، سواءً كُنَّ طالباتٍ أو متخرِّجاتٍ حديثًا – قد تسجَّلنَ في جامعات عامة أو خاصة في إسطنبول وعِشنَ في مساكن للطلاب وفي إيجارات (مشتركة). ويقوم المسح الميداني على مقابلات فردية شبه منظمة تضمّ أسئلة حول ترك منزل الأسرة والاستقرار في إسطنبول وتطور العلاقات الأسرية وفقًا للتنقل الجغرافي وبناء الاستقلالية الذاتية في البحث عن الحرية الجنسية.وقد رافق المقابلات التي أُجريت دراسةٌ إثنوغرافية ميدانية تقوم على ملاحظات ومحادثات غير رسمية في أماكن التنشئة الاجتماعية للطالبات، بما في ذلك حرم الجامعات والمقاهي والحانات والنوادي الليلية.