L’heure est à la crise de l’énergie et aux réponses à apporter à la flambée des prix, mais la question du «comment financer le coût du vieillissement», en particulier celui des pensions, subsiste. La moins mauvaise manière de financer le coût du vieillissement consiste à prolonger les carrières et stabiliser le rapport entre retraités et travailleurs. Augmenter les cotisations et prélèvements ou baisser le montant des pensions s’apparente à une stratégie de simple répartition du coût du vieillissement entre générations. Le financement par la dette le reporte sur les générations futures. À l’opposé, les stratégies d’allongement des carrières motivant ce numéro de Regards visent à limiter voire éliminer ce coût. Des travaux réalisés à l'OCDE ont montré que l'indexation de la longueur des carrières sur l'espérance de vie pourrait stabiliser le rapport retraités/travailleurs, évitant une hausse des cotisations ou une réduction généralisée du niveau des pensions. En écho direct à ces analyses, en Belgique, l’objectif est d’atteindre un taux d’emploi de 80%, notamment via un fort relèvement du taux d’emploi au-delà de 50 ans. Beaucoup de progrès ont déjà été enregistrés depuis le milieu des années 1990, au départ il est vrai d’un taux d’emploi des personnes plus âgées parmi les plus faibles de l’OCDE. Surtout, les progrès supplémentaires, attendus par les responsables politiques, risquent de s’avérer plus compliqués à réaliser. Car au-delà de gains mécaniques découlant de relèvements de l’âge légal de la retraite, l’allongement effectif des carrières dépendra pour une bonne part de la capacité à lever les barrières qui entravent l’emploi âgé. Le premier enseignement de ce numéro de Regards est que la (mauvaise) santé ne constitue pas la principale barrière à l’allongement des carrières. Dans un pays comme la Belgique, l’individu moyen dispose aujourd’hui d’une capacité raisonnable à exercer un emploi rémunéré, et ce jusqu’à 70 ans. L’enjeu est avant tout celui de l’hétérogénéité (croissante avec l’âge) de l’état de santé et du bon instrument à utiliser pour y répondre. La prise en compte de l’hétérogénéité doit-elle se faire à l’intérieur du système des pensions, par exemple via une différenciation de l’âge de départ ? Ou faut-il prendre appui sur l’assurance maladie-invalidité ? Ce texte avance un certain nombre d’arguments en faveur de la deuxième option. Le plus important est qu’à l’inverse de l’assurance maladie-invalidité, le régime des pensions n’est pas équipé pour évaluer, au cas par cas, la capacité à travailler et son évolution. Le deuxième enseignement est que l’essentiel des freins à l’emploi des personnes plus âgées découle de facteurs économiques et institutionnels. Certains se rapportent plutôt à l'offre de travail, c’est-à-dire relèvent des préférences et des choix individuels. Ainsi certaines personnes sont suffisamment riches et assurées pour envisager de lever le pied relativement tôt. Certaines encore aspirent à rejoindre leur conjoint plus âgé déjà retraité. D’autres barrières pointent vers la demande de travail, c’est-à-dire les employeurs. Elles correspondent à leur réticence à garder en emploi des travailleurs au-delà de 50 ans, en raison d’une baisse de productivité, d’un coût salarial élevé ou encore du risque de déséquilibre dans la pyramide des âges. Des deux côtés de la relation de travail peuvent exister des réticences à allonger les carrières ou des désaccords sur les modalités d’un tel prolongement. Considérons l’exemple du travail flexible/à temps partiel. Le «flexitime» est largement plébiscité par les travailleurs âgés, car il améliore l'équilibre vie professionnelle-vie privée. Mais il faut aussi compter avec le manque d'enthousiasme de certains employeurs. Les travailleurs ne choisissent pas seuls leurs horaires. Si le flexitime prend la forme d’une réduction du temps de travail, surgit, chez les employeurs, la crainte d’un effet inflationniste sur le coût horaire moyen. Car le coût total de la main-d'œuvre n’est pas strictement proportionnel aux heures prestées. Le gisement vers des emplois flexibles réside donc probablement plutôt dans les secteurs où la composante fixe du coût salarial est faible et qui seraient donc ceux à privilégier pour répondre aux aspirations des travailleurs plus âgés. Aussi, afin de promouvoir les opportunités de flexitime, les autorités devraient s’assurer que les politiques fiscales, sociales et salariales minimisent la part fixe des coûts salariaux. Enfin, ce numéro de Regards souligne l’urgence de remédier à la faible propension des entreprises, non pas tellement à prolonger l’emploi des travailleurs en poste, mais à recruter de nouveaux collaborateurs âgés. La hausse du taux d'emploi des personnes plus âgées depuis le milieu des années 1990 est principalement due à un taux de rétention plus élevé parmi les seniors. Autrement dit, les gains enregistrés sont le résultat de travailleurs restant plus longtemps auprès de leur employeur historique. Mais il ne s’agit là que d’une des modalités de l’allongement des carrières. D’autres modalités impliquent un détour par la case chômage. Et, dans ce cas, l’allongement effectif de la carrière dépend des opportunités d’emploi qui se présentent. La réticence des employeurs à recruter peut relever de la discrimination et les stéréotypes négatifs liés à l'âge qu’il a lieu de combattre vigoureusement. Mais elle peut aussi correspondre à un handicap d’employabilité qu’il convient de combattre tout autant. Cela implique, entre autres, de lutter contre le risque de baisse de productivité avec l’âge, via notamment un effort accru en matière de formation continue. Rappelons à ce titre qu’une étude récente de la BNB montre que la Belgique se caractérise par un des handicaps les plus élevés en Europe en termes d’accès à formation formelle ou informelle (définition Eurostat) des travailleurs de 55-64 ans. Cela pose également la question du maintien des règles de progression salariale à l’ancienneté telles qu’héritées des années 1970.