Avec l’épistémologie générique, Anne Françoise Schmid fait cadeau aux sciences, aux hommes qui la font et à ceux qui les transforment, de la possibilité d’une expansion de leurs mondes. Un cadeau magnifique et exigeant, fruit d’une philosophe d’état, de métier et de terrain, œuvre de celle qui se risque à défier l’histoire, à défaire les amalgames de dimensions pour les réarranger en couches et à immerger le tout dans la vraie vie, y inclus celle des sciences contemporaines. Le tout fait un futur avec ses savoirs, ses non-savoirs, ses insavoirs tous assumés, le tout replace l’homme dans les sciences. Qui suis-je pour affirmer cela ? Une scientifique –une de celle qui ne croit qu’aux résultats- qui a construit, sans le savoir, un laboratoire de science interdisciplinaire et transformé, en le décidant, un centre de recherche en lieu naturel d’interdiscipline, une gestionnaire de l’interscience en quelque sorte. Dans l’un comme dans l’autre, Anne Françoise Schmid y a approfondi le façonnage des fondamentaux de l’épistémologie générique, grâce à son travail j’ai extrait en confiance les primitives des sciences et des inter-sciences. De quoi affirmer qu’il y a une science adisciplinaire de la gestion de la science. Les processus et dispositifs de gestion répondent à cinq fondamentaux de l’épistémologie générique : les disciplines sont dans un espace générique, leur interactivité est réglée par une matrice, la matrice est légèrement orientée par une fiction, leur inter-production se fait sous condition de fabrique d’une intimité collective. Le cinquième élément est la présence d’une discipline additionnelle qui sous détermine le tout. Dit ainsi cela peut paraître naïf, inaccessible, imposé, trop complexe, irréaliste, alors que c’est la résultante d’un travail exigeant en ce qu’il cherche à mobiliser un nombre maximal de dimensions en se retenant de les évaluer, les catégoriser ou les hiérarchiser. Mais où est la philosophie et où sont les sciences ? En fait, elles sont conjuguées sans être mélangées et dans la position rigoureuse de la sous-détermination. On ne remarque que l’effet, et encore est-il diffus et rapidement approprié par les organisations, disciplinaires ou des laboratoires. C’est bien ainsi qu’il doit en être. Ainsi l’épistémologie générique traite-t-elle le commun des sciences, et l’inter-science traite-t-elle le commun de l’épistémologie. Les résultats sont, pour le laboratoire de recherche interdisciplinaire ceux qui étaient prévus au programme ANR qui le finançait, une analyse anticipatrice précise des risques associés à des biotechnologies, et des effets non prévus sur la proposition de nouveaux concepts au sein de chacune des disciplines engagées. Pour le centre de recherche les résultats sont ceux qui étaient souhaités (construction d’une identité scientifique commune et assumée, sécurisation des dispositifs, orientation des moyens communs au service de projets fédérateurs) et ceux qui ont émergé (réflexes de coopération et de subsidiarités, fédérations scientifiques sur la base d’une nouvelle ambition scientifique, plan d’amélioration du bien-être au travail). En résumé, tout ce qui permet d’engager les transformations pour le futur sans se décoller de la réalité du contexte. Les effets sont dédiés au « commun », à la vie scientifique de tous les jours, invisibles, indécomposables par les sciences et par les philosophies dans leurs acceptions classiques, non synthétisables et néanmoins efficaces. En résumé, un sens futur avec une épistémologie qui ouvre les frontières et qui se vit. Des projets philosophique et scientifique sans mesure ou démesurés, en position d’humilité.