Les Jésuites missionnaires dans les aires rurales italiennes n’affrontent presque jamais, de manière explicite, le sujet de la communication linguistique. Cependant, les sources permettent de reconstruire la conscience de facto du problème et les solutions repérées et fixées : les missionnaires prennent en compte la condition linguistique de leurs destinataires et la nécessité de pourvoir la communication de qualités significatives, pour la rendre capable de mobiliser les capacités des participants et pour qu’ils s’approprient, dans la courte durée de la mission, les pratiques chrétiennes des sacrements et de la dévotion, afin de les exercer dans la vie quotidienne. À cette époque, le Pays est linguistiquement fragmenté et les locuteurs disposent en premier lieu de dialectes très variés. La mission interne est, d’autre part, une expérience itinérante et, en tant que telle, exige que des relations s’établissent entre des locuteurs d’extraction linguistico-dialectale différente (les missionnaires et les communautés individuelles). Il n’y a pas en Italie une langue surégionale, même si le processus d’unification fut engagé en 1525, dans le milieu littéraire (la date est symbolique et correspond à l’ouverture de celle qui est appelée la « question de la langue », avec la publication à Venise des Prose della volgar lingua de Pietro Bembo). La question reste controversée, toujours associée au débat intellectuel et au lien avec la langue littéraire ; l’objectif d’une langue unitaire est entravé, des siècles durant, par des raisons culturelles et sociales. Au milieu du XIXe siècle, lors de l’unification politique du Pays, le pourcentage des locuteurs « italianophones » est considéré encore comme fluctuant entre 2,5 et 10%. Dans l’âge post-tridentin, au-dehors du milieu littéraire (auquel appartiennent aussi les missionnaires jésuites), le nombre de personnes capables de lire, comprendre et reproduire, à l’écrit comme à l’oral, la langué appelée « italien vulgaire » n’est pas précisé ; n’est pas précisé non plus le nombre de ceux qui se positionnent à la frontière entre oralité et écriture ; il est par contre certain que les paysans des campagnes sont complètement analphabètes. La perspective linguistique proposée par le colloque permet de faire émerger certaines interrogations, qui intéressent des questions générales de l’expérience missionnaire des Jésuites actifs entre la deuxième moitié du XVIe siècle et la première moitié du XVIIIe, dans les aires rurales italiennes.Quand les missionnaires parlent de « compréhension » de la part des pauvres des campagnes, de quoi parlent-ils ? D’un problème linguistique ? Le traitent-ils en le rapportant au critère ecclésiastico-rural selon lequel les pauvres et les ignorants (les rudes de Loyola) ne peuvent pas avoir accès au discours rationnel ? Quels sont et comment sont affrontés les moments de l’activité missionnaire dans lesquels la compréhension linguistique devrait être cruciale et, qui plus est, la communication s’opère entre des registres différents (doctrine chrétienne : didactique ; confession et colloques individuels : argumentatif et sacramentel ; prédication : médiateur de la parole sacrée et persuasif ; chants, processions, etc. : entretien dévot, ordre, mémorisation) ? Quelle langue parlent à leur tour, les missionnaires (qui ne connaissent pas les dialectes locaux et, en tout cas, ne les connaissent pas tous) ? Et que nous disent leurs textes autographes de leur langue orale ? Leur style de prédication – « visible », « dramatisée », doté d’un bagage figuratif et fondé sur l’oralité (ils ne prêchent pas de textes écrits et appris par cœur) – est-il la réponse au problème essentiel de la compréhension linguistique de la part des fidèles des campagnes ? Ce style constitue-t-il une « lingua franca », une langue « générale », qui veut se faire comprendre par tous les fidèles au-delà des différences locales, partout dans le Pays où les missionnaires opèrent ? Quel est le rapport entre les actions physiques et les actions verbales dans les activités que les missionnaires font exécuter à l’ensemble de la communauté (processions, chants, prières, demandes et réponses, etc.) ? Les missionnaires ont-ils opéré, indirectement, en faveur de pratiques liées aux processus d’apprentissage linguistique, au moins à travers d’utilisations codifiées de la langue de l’Église (prières, chants, doctrine chrétienne, etc.) ? Comment faut-il encadrer les choix de communication des missionnaires dans leur cheminement de perfection personnelle et, en particulier, dans la pratique spirituelle et comportementale de l’accomodatio ? Comment s’articule-t-il dans les missions le rôle des fidèles qui savent lire et de ceux qui ne le savent pas, c’est-à-dire presque la totalité des participants ? Peut-on supposer que le système mis au point par la plupart des missionnaires jésuites entre le XVIe et le XVIIIe siècle, améliore le niveau de compétence linguistique des participants à la mission ? Et, si c’est le cas, pouvons-nous imaginer que les missions permettent aux fidèles d’améliorer aussi leur qualité de vie et de participation religieuse ?Je vais essayer de considérer rapidement les interrogations posées jusqu’à maintenant, en m’intéressant notamment à la prédication et en me référant à des sources directes (relations et lettres des missionnaires – il faut savoir que les Jésuites italiens n’écrivent pas leurs prêches après les avoir prononcés) et indirectes (documents didactiques ignatiens, règles générales pour les prédicateurs, traités d’éloquence sacrée), à partir desquelles je vais proposer certains cas significatifs.