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L’Idylle XIII, considérée essentiellement jusqu’à maintenant comme une remise en cause des thèmes et du langage épique traditionnels, peut également se lire comme une réaction face à leur utilisation par les Philadelphes pour promouvoir leur idéologie, laquelle rompt, en grande partie, avec celle de leurs prédécesseurs. Plusieurs éléments suggèrent en effet que ce poème possède une portée politique significative : que ce soit le cadre mythique du banquet, le choix d’un mythe étiologique de la geste argonautique – celui des amours d’Héraclès et d’Hylas – ou encore le renversement des rapports de force entre le masculin et le féminin dans le cadre d’une expérience douloureuse de l’éros, tout porte à croire que Théocrite dans ce poème cherche à montrer par l’ironie le caractère obsolète et par trop ambigu de la figure et des attributs traditionnels d’Héraclès pour incarner les nouvelles valeurs mises en avant par le couple royal. Cette critique, qui va jusqu’à la dénonciation d’un usage éculé du langage encomiastique traditionnel, et qui semble en grande partie être dirigée contre l’œuvre d’Apollonios de Rhodes, ne reste toutefois pas stérile : le poète pose également les jalons d’une expression poétique inédite, plus apte à représenter et propager l’imagerie royale, et qui se concrétisera dans d’autres poèmes comme les IdyllesXIV et XV. L'Idillio XIII, finora considerato sostanzialmente come una revisione dei temi e della lingua epica tradizionale, può al tempo stesso essere letto con una reazione al loro impiego da parte dei Tolemei per promuovere la loro ideologia, che rompe, in gran parte, con quella dei loro predecessori. Numerosi elementi suggeriscono in effetti che questo componimento possieda una significativa dimensione politica: che si tratti della cornice mitica del banchetto, la scelta di un mito eziologico dell'impresa argonautica - quello degli amori di Eracle e di Ila - o ancora il capovolgimento dei rapporti di forza tra maschile e femminile nel quadro di un'esperienza dolorosa dell'eros, tutto porta a credere che Teocrito in questo carme cerchi di illustrare attraverso l'ironia il carattere obsoleto e fin troppo ambiguo della figura e degli attributi tradizionali di Eracle per incarnare i nuovi valori propugnati dalla coppia reale. Questa critica, che si spinge fino alla denuncia di un impiego banale del linguaggio encomiastico tradizionale, e che sembra in gran parte diretta contro l'opera di Apollonio Rodio, non resta tuttavia sterile: il poeta getta anche le fondamenta di un'espressione poetica inedita, più adatta a rappresentare e diffondere l'immagine reale, e che si concretizzerà in altri carmi come gli Idilli XIV e XV. Theocritus’ Idyll 13 is certainly questioning the traditional epic themes and language, but can also be read as a reaction against their use by the Philadelphoi to promote their own ideology, which breaks, largely, with that of their predecessors. Several elements, such as the mythical setting of the banquet, the choice of an aetiological myth of the Argonauts gesture, indeed suggest that this poem has significant political implications. Theocritus in this poem seeks to show the obsolete irony and the ambiguous figure of Heracles and his traditional attributes to embody new values promoted by the royal couple.

Pendant longtemps, les médiévistes ne se sont pas intéressés à Gautier d'Arras, et, lorsqu'ils le faisaient, ils étaient loin de manifester un goût immodéré pour ses œuvres. Ils reprochaient principalement à ce " contemporain et rival très inférieur de Chrétien de Troyes " , " méritant et poussif " , son style médiocre et son ton sentencieux . Pour preuve, disaient-ils, Eracle n'est conservé que dans trois manuscrits alors que la tradition manuscrite des œuvres de Chrétien de Troyes est abondante . Même Guy Raynaud de Lage, l'un des éditeurs du poète arrageois, n'hésite pas à écrire dans son introduction d'Eracle que : "Gautier est un moraliste beaucoup plus qu'un artiste, quelqu'un qui est peu porté à l'humour et qui préfère prendre les choses au sérieux." Ainsi s'est imposée l'image d'un romancier austère et peu doué, qui ne parvient jamais à soutenir la comparaison avec son illustre contemporain Chrétien de Troyes, si bien que Paul Zumthor semble presque s'excuser quand il avoue apprécier Eracle : "On n'a de chance de parler bien que de ce qu'on aime : la condition, insuffisante certes, n'en est pas moins nécessaire. Si j'ai choisi de parler d'Eracle, c'est que j'aime ce roman qu'on a dit mal ficelé, dépourvu d'unité, parasité de digressions adventices." Gautier d'Arras mérite pourtant à plus d'un titre qu'on le lise sans a priori, et grâce à la présente traduction, le lecteur contemporain pourra enfin juger par lui-même des qualités singulières de cette œuvre et de son auteur.

"Eracle"est le premier roman composé par Gautier d'Arras, auteur de la fin du XIIe siècle, contemporain et rival de Chrétien de Troyes. Cette œuvre biographique s'inspire de la vie de l'empereur Héraclius qui combattit les Perses au VIIe siècle et leur reprit la sainte Croix. Le trouvère dépeint aussi les évènements ayant précédé l'accession du héros au trône impérial. Sa naissance prodigieuse et les dons surnaturels que Dieu lui a accordés font de lui un être prédestiné, appelé à accomplir les desseins du Seigneur à Rome puis en Orient. Malgré sa tonalité édifiante, le récit ne cesse de tenir la curiosité du lecteur-auditeur en éveil grâce à la variété de ses épisodes hauts en couleurs qui témoignent autant des convictions religieuses et morales du conteur que de son imagination fertile, de son humour, de son sens du détail savoureux ou révélateur. À travers l'itinéraire de ses personnages attachants s'élabore une éthique faite de simplicité et d'humilité qui s'inscrit dans une esthétique romanesque inédite au XIIe siècle. Gautier d'Arras est en effet le premier auteur à préférer la vraisemblance au merveilleux. Loin d'offrir une représentation idéalisée de la société, il n'hésite pas à peindre les défauts des chevaliers, les dangers de l'amour courtois et les mérites des petites gens. Ce roman inclassable, qui refuse l'uniformité, occupe ainsi une place essentielle dans le panorama littéraire médiéval car il annonce les récits dits « réalistes » du XIIIe siècle tout en conservant une irréductible singularité.

La place de la reine dans la société médiévale a parfois divisé les historiens comme Régine Pernoud ou Georges Duby. Quant à la littérature, elle offre le modèle d'une souveraine, Guenièvre, qui forme avec son époux Arthur un couple royal quasi mythique . Comment Gautier d'Arras, trouvère de la seconde moitié du XIIe siècle, a-t-il voulu dépeindre les impératrices ? Qu'a-t-il choisi, la réalité, ambigüe au point de partager les spécialistes, ou le modèle idéalisé que lui proposaient les œuvres de son rival Chrétien de Troyes ? Si l'on s'en tient à une lecture rapide de ses romans, il semble que l'écrivain n'ait confié ni une grande autonomie narrative ni une dimension exceptionnelle aux impératrices. Athanaïs est un personnage épisodique d'"Eracle", consacré à la vie de l'empereur Heraclius et sa reconquête de la sainte Croix. Elle occupe le devant de la scène dans la deuxième partie de la narration, mais disparaît définitivement au vers 5090, plus de deux mille vers avant l'explicit. Le titre d'"Ille et Galeron" prouve que l'impératrice Ganor n'est pas l'héroïne initiale, rôle rempli dans les deux premiers tiers du récit par l'épouse légitime d'Ille, Galeron. Faut-il alors croire que le trouvère n'a consacré qu'une place restreinte à Athanaïs et Ganor afin de mettre en valeur ses héros, appelés à incarner des monarques parfaits ? En étudiant la fonction politique dévolue aux impératrices, en examinant les limites de leur autonomie, en confrontant ces personnages à la reine Guenièvre des romans de Chrétien de Troyes, nous serons en mesure de répondre à ces questions et de dégager l'originalité de Gautier d'Arras.

Dans son "Histoire des ducs et des comtes de Champagne", Henri d’Arbois de Jubainville remarque, après avoir mentionné brièvement l’œuvre de Chrétien de Troyes : "Le genre d’étude auquel se plaisait Henri le Libéral était trop sérieux pour se concilier avec le goût de cette littérature légère, et à parler franchement nous ne pouvons le blâmer bien vivement s’il a trouvé quelquefois les romans de son temps un peu soporifiques. Bien entendu que nous ne parlons pas des romans d’aujourd’hui." Malgré la réserve apportée par la phrase finale, cette citation met en évidence le fossé qui a longtemps séparé l’histoire et la littérature. Pourtant, ces disciplines ne peuvent que s’enrichir mutuellement. L’analyse des prologues et épilogues des romans de Gautier d’Arras en donne une nouvelle illustration. "Eracle" et "Ille et Galeron" sont dédiés à un nombre surprenant de mécènes différents. "Eracle" mentionne Thibaut de Blois dans son incipit et son explicit, où il le place aux côtés de Marie de Champagne et Baudouin de Hainaut. L’introduction d’"Ille et Galeron" est consacrée à la louange de l’impératrice Béatrix de Rome, que la conclusion reprend en l’accompagnant d’un éloge du comte Thibaut. La pluralité des dédicataires pourrait suggérer que le trouvère venu d’Arras n’était pas attaché à une cour précise, point de vue communément partagé par la critique jusqu’à présent. Peut-on supposer, à l’inverse, que Gautier a rencontré dans une seule et même cour, l’illustre cour de Champagne, ces différents personnages ? Par-delà Thibaut de Blois, Marie de Champagne et Baudouin, n’est-ce pas la figure d’Henri le Libéral qui s’impose finalement au lecteur d’Eracle ? Nous verrons aussi comment le roman se rattache à la région champenoise, et plus particulièrement à la ville de Provins.

National audience; Les rois sont rares dans les romans de Gautier d'Arras, où l'on rencontre plutôt des figures impériales, romaines et grecques, incarnées d'une oeuvre à l'autre par différents personnages voués à l'anonymat - comme l'empereur de Rome et l'empereur grec d'"Ille et Galeron"- ou dotés d'un nom, tel Laïs, l'empereur romain d'"Eracle", et les deux héros, Eracle et Ille. Etudier les empereurs comme des émanations particulières de la personne royale est légitime dans la mesure où Gautier les désigne souvent par le substantif "roi" . Dans le sens strict de ce terme, on ne trouve que deux personnages, l'éphémère roi de France d'"Ille et Galeron", et le roi Cordroé, héritier de la tradition du roi païen des chansons de geste. La préférence affichée par le romancier arrageois à l'égard de la dignité impériale est signifiante : il tend à supplanter dans l'imaginaire de son auditoire le roi mythique, Arthur, évoqué par son contemporain et rival, Chrétien de Troyes. "Ille et Galeron" mentionne Arthur en reléguant son époque dans un passé lointain, alors que le héros, Ille, réactualise ses prouesses dans un cadre temporel s'apparentant au XIIe siècle. Les deux trouvères développent-ils la même conception de la royauté ? D'emblée, on remarque l'opposition entre l'unicité du roi Arthur, incarnation idéale du sommet de la société chevaleresque, et la multiplication des figures de monarques dans les oeuvres de Gautier d'Arras. Dépeint-il une souveraineté parfaite, ou cherche-t-il avec plus de réalisme, à en montrer les défauts et les défaillances ? Afin de répondre à ces questions, on pourra étudier la peinture critique des monarques, ennemis ou alliés, avant d'analyser le roi idéal incarné par les héros pour préciser la conception de la souveraineté propre à notre romancier.

National audience; Gautier d'Arras, auteur du roman d'"Eracle" et d'"Ille et Galeron", est un contemporain de Chrétien de Troyes. Il semble d'ailleurs avoir évolué dans les mêmes cours que ce dernier, en particulier celle de Marie de Champagne. La rivalité entre ces deux trouvères est donc plausible, et elle a déjà intéressé la critique qui a noté des ressemblances relatives aux rimes et à certaines métaphores avant de conclure sur la supériorité manifeste de Chrétien de Troyes. Il nous semble pourtant qu'avant d'établir une hiérarchie entre les deux romanciers, nous pourrions examiner à quel point ils s'opposent dans l'emploi de la matière descriptive en particulier. Nous verrons que les descriptions physiques des personnages sont pratiquement absentes d'"Eracle", ou qu'elles sont retardées dans la narration. Puis nous tenterons d'expliquer ce trait caractéristique par la méfiance de Gautier à l'égard des apparences et de la beauté, qui se révèlent le plus souvent trompeuses. En effet, l'auteur nous invite à dépasser les apparences pour découvrir l'essence des êtres et des choses, à l'aide de son héros, Eracle, le devin.

National audience; La vie du Gautier d'Arras reste encore presque entièrement inconnue. Nous ignorons s'il porte ce nom pour avoir vécu à Arras, comme certains critiques l'ont pensé, ou pour avoir quitté cette ville dans laquelle il était né. Cependant, sa connaissance approfondie des textes sacrés, évidente dans son roman d'"Eracle", prouve son érudition de clerc. Quant aux dédicaces de ses œuvres, elles révèlent qu'il a appartenu aux cours de Blois et de Champagne, en tant que trouvère, comme son illustre contemporain, Chrétien de Troyes. Il semble d'ailleurs, à son époque, avoir connu un certain succès puisque le prologue d'un "Miracle" de la vierge du XIIIe siècle le range, aux côtés de Chrétien, parmi les "bons ménestrels". Gautier est l'auteur de deux romans, "Eracle", composé entre 1176 et 1184, qu'il dit avoir commencé avant "Ille et Galeron", rédigé entre 1167 et 1178. Cependant, on peut se demander si Gautier n'a pas composé ses deux œuvres parallèlement, comme le soutient Anthime Fourrier en s'appuyant sur les doubles dédicaces qui apparaissent dans le prologue et l'épilogue de chaque roman. Si tel était le cas, nous devrions trouver entre eux des correspondances, bien qu'"Eracle" et "Ille et Galeron" paraissent de prime abord très dissemblables. Une étude plus fine montre pourtant que dans chacun de ces récits, Gautier a traité le problème du couple en se servant de la situation courtoise de manière originale et personnelle. En effet, la thématique du couple est étroitement liée chez cet auteur à celle du double, présente aussi bien au niveau des personnages qu'à celui de la structure narrative.