La présente thèse propose de traverser l’ensemble de l’œuvre cinématographique de Johan van der Keuken (1938-2001) en suivant le fil de la collection. Partant d’une reconnaissance de curieuses configurations d’objets et de corps rappelant les chambres de merveilles de la Renaissance et les entresorts du 19ème siècle, elle élabore un cadre théorique original fondé sur des travaux de Stanley Cavell, Gilles Deleuze et Siegfried Kracauer, afin d’analyser ce qui dans ce cinéma réfléchit le devenir filmique d’objets et d’êtres vivants saisis à même la vie ordinaire. Cette analyse s’enracine dans la pratique d’une forme d’ekphrasis qui veut épouser les rythmes, mouvements et inflexions de ce cinéma et de ses personnages, dont l’écriture répète les collections musicales. La thèse expose ainsi les responsabilités du cinéaste aux prises avec diverses formes de difformités, de marginalité et d’exclusion dues au colonialisme et à la logique réifiante du monde capitaliste, et montre comment les images qu’il réalise par les moyens propres au médium cinématographique manifestent un regard qui à la fois assume la violence inhérente à ce médium et parvient à en faire un instrument d’émerveillement. Ce regard collectionneur et merveillant affronte résolument l’exhibition, le voyeurisme, la stigmatisation, le sensationnalisme, l’accumulation, l’abstraction, la dispersion, la réification, pour en dégager une ligne de fuite au lieu d’en reconduire la violence. Tout en les heurtant, il suscite dans notre regard et notre écoute un amour du monde tel qu’il est. Van der Keuken met ainsi en œuvre, jusque dans le dernier film qu’il réalise alors qu’il est mis devant l’inévitabilité de sa propre mort, une éthique du cinéma dans l’oscillation entre merveille monstrueuse et merveille merveilleuse., This dissertation offers a path through the complete œuvre of filmmaker Johan van der Keuken (1938-2001), guided by the notion of collecting. Highlighting the curious configurations of objects and bodies that call to mind Renaissance-era Wunderkammern and nineteenth century freak shows, this dissertation formulates an original theoretical framework based on the works of Stanley Cavell, Gilles Deleuze and Siegfried Kracauer. This framework enables the dissertation to analyze how van der Keuken’s cinema thinks through the filmic becoming of objects and living beings plucked out of ordinary life. This analysis is rooted in an ekphrastic practice that seeks to mold itself to the rhythms, movements, and inflections of this filmic universe and its characters, whose composition repeats musical collections. The dissertation thus demonstrates the filmmaker’s responsibilities as he grapples with diverse forms of deformity, marginalization and exclusion due to colonialism and the objectifying logic of a capitalistic world, and shows how the images he creates through the means unique to the medium of cinema manifest a gaze that both acknowledges the inherent violence of the medium and manages to turn it into an instrument of wonder. This collecting and wondering gaze resolutely confronts the risks of exhibition, voyeurism, stigmatization, sensationalism, accumulation, abstraction, dispersion, and objectification, in order to open a line of flight rather than reproducing violence. Even while shocking our eyes and ears, van der Keuken elicits in our gaze and in our listening a love of the world just as it exists. He thus experiments, up through his final film, directed as he faces his inevitable death, a film ethics that oscillates between monstruous wonder and wonderous wonder., Cotutelle